descriptionUn loup reste un loup
Frontières de Glaces | 21/05/2015
Alec Ezilea & Eileen Miyrshaï
- « Je sais Écho… »
Le Frontalier sourit en regardant son ami l’attendre impatiemment aux détours de la route. Le petit sentier de terre battu, couvert de neige par endroit, même en ce début d’été, leur était familier à tous deux et l’excitation d’Écho gagnait de plus en plus le cœur d’Alec. Le loup l’avait suivi sur les chemins de l’Empire, plus au sud qu’aucun membre de son espèce n’était déjà allé. Il l’avait suivi dans des terres inhospitalières et complètement étrangères à son propre univers, et jamais le loup n’avait regardé derrière. Il était resté auprès d’Alec, parce que plus encore que le Nord, c’était ensemble qu’ils étaient chez eux.
L’excitation de rentrée chez lui était palpable chez Écho. L’odeur de ces terres connues avait fait dresser ses oreilles et centraliser son attention sur l’horizon, droit vers les Frontières de Glace, depuis qu’ils avaient quitté les rives du Pollimage pour s’engager dans la danse et immense forêt sauvage qui séparait les Marches du Nord et le reste de l’Empire. La première fois qu’il avait revue de la neige, l’énorme loup avait semblé retombé en enfance. Le chiot en lui s’était roulé dans la neige blanche, les quatre pattes dans les airs, en grognant de contentement.
Alec aussi était impatient. Il n’était plus qu’à quelques lieux de chez lui, de ses Marches du Nord. Bientôt, très bientôt, dès qu’il sortirait de cette forêt et déboucherait sur les versants rocailleux marquant l’entrée des Marches, il pourrait apercevoir les pics enneigés de la chaine du Poll. Ses montagnes.
Alec rattrapa Écho, puis soudain le rideau de branches de conifères recouverts d’une fine couche de neige s’écarta devant lui. Alec s’arrêta, le regard accroché à l’horizon. Durant son voyage, il avait vu mille paysages incroyables et mille merveilles, en passant par les Dentelles Vives, le Lac Chen, l’Arche, les tours d’Al-Vor… Mais aucun spectacle n’était aussi beau que celui-ci.
- « … Nous sommes chez nous. »
L’émotion avait fait de sa voix un murmure, mais à part un loup qui leva la tête vers le vent du nord, il n’y avait personne pour l’entendre.
Alec avait tenu à arriver dans les Frontières de Glaces seul. Il appréciait énormément Nirina, son amie, sœur d’arme et compagnon de voyage. Il l’appréciait même plus qu’il ne pouvait, ou ne se permettait, de mettre des mots dessus. Ils se rejoindraient plus tard ce soir-là, il restait de toute façon une bonne journée de voyage avant d’atteindre les murs de la Citadelle. Néanmoins, il avait ressenti un besoin inexplicable de rentrer chez lui seul. Trop de choses s’étaient passées durant leur long voyage, durant plus de deux mois où il avait quitté sa terre natale. De belles choses, certes, en partie. Il avait vu des paysages incroyables, visité des lieux qu’il n’avait jamais cru voir un jour dans sa vie et fait des rencontres extraordinaires avec des gens qui avaient marqué sa vie. Plus encore, il s’était rapproché de Nirina.
Néanmoins, mêler au bonheur, la douleur aussi avait fait partie du voyage. Les raisons de son départ, le vide de laisser derrière lui sa vie, sa famille, son peuple… Puis sa rencontre inespérée avec Lasbelin. Las, cette femme qu’il avait tant aimée et qui était partie. Il avait cru ne jamais la revoir, mais ce qui aurait dû être des retrouvailles heureuses se révéla être l’un des moments de douleur et de faiblesse les plus grands de sa vie. Ses souvenirs, encore et toujours ses souvenirs, qui malgré la distance, ne s’étaient pas estompés. Et avec eux, un lot de souffrance de plus en plus lourd à porter.
Alec portait ses souvenirs comme un fardeau invisible sur ses épaules, mais aussi gravé dans sa chaire. Du haut de son œil gauche partait une longue cicatrice argentée, barrant son œil et courant sur sa peau jusqu’à sa mâchoire puis son coup. La blessure qui datait que 5 ans avaient été causés par la lame d’un Géant. À l’époque, je jeune Frontalier n’avait pas hésité une seule seconde à se jeter seule sur le colosse pour le combattre. S’il avait grièvement blessé le Géant, il avait manqué de peu d’y perdre la vie. Aucune bravoure, honneur, orgueil ou témérité n’avait pourtant motivé son geste. Il avait combattu un Géant en duel, geste complètement fou, même pour un Frontalier, pour la simple et indiscutable raison que c’était la seule façon d’essayer de sauver son frère. Le Géant avait pris pour cible Yaän, le frère cadet d’Alec. Mais Alec échoua. La lame du Géant l’avait marqué à vie, puis était allée se planter dans le cœur de son frère. Il n’avait plus jamais été le même depuis.
Alec était un fils du nord. Le sang des Frontaliers coulait dans ses veines et l’appelait dans les Marches du Nord. Ici était toute sa vie. Et malgré les mauvais souvenirs, alors qu’il contemplait l’étendue enneigée devant lui, les montagnes de glaces à l’horizon, il souriait. Il était heureux de rentrer chez lui.
Écho le sortit de sa contemplation en poussant un jappement joueur. Les pattes avant couchées au sol, le loup lui faisait face et semblait l’attendre pour commencer à jouer. Il jappa de nouveau, sa queue battant l’air, puis partit à la course en faisant voler des nuages de neiges. Alec sourit de plus belle. N’importe qui aurait vu un loup de la taille d’un poney jouer ainsi dans la neige comme un chien aurait été soit terrorisé, soit bouche bée, mais Alec avait l’habitude. Écho n’était qu’un chiot lorsqu’il l’avait trouvé, près du corps sans vie de sa mère. Le loup devait être également chien en partie, puisque sa fourrure n’était pas blanche comme les loups du nord habituels, mais grise et presque noire par endroit. Alec l’avait élevé, sans jamais lui retirer sa liberté. Encore aujourd’hui, Écho était libre de parties, mais il avait décidé de rester près d’Alec. Il était son frère et chef de meute. Alec, lui, considérait Écho comme son propre frère et tenait autant à lui qu’à son arc ou son sabre.
Écho revint vers lui, langue pendante et fourrure couverte de neige, foncièrement heureux. Alec se passa une main dans ses cheveux mi- longs châtains roux en désordre pour les rejeter vers l’arrière puis s’accroupit devant lui loup pour caresser à grand coup de main le coup et les oreilles de l’animal. Écho appuya avec force son énorme tête contre le torse d’Alec et le frontalier se mit à rire. Le loup se laissa tomber de tout son poids sur Alec qui, malgré un entrainement rigoureux et sa propre taille non négligeable, se retrouva aussitôt étendu au sol, écrasé sous le poids du loup. Alec rit de plus belle en tentant de repousser Écho, mais ce dernier se retourna face à lui et commença à lui lécher joyeusement le visage. Alec repoussa de la main le museau d’Écho avec une grimace à amuser puis parvint à se redresser. Il resta assis sur la pierre, juste en bordure de la forêt, et Écho appuya sa tête avec une grande expiration sur ses jambes. Le regard du Frontalier se reperdit vers le spectacle des montagnes alors qu’il caressait machinalement le dessus de la tête d’Écho. Tout comme le loup, il soupira d’aise.
Néanmoins, avant que ses épaules n’ait eu fini de se détendre après son expiration, Écho releva vivement sa tête puis sauta sur ses pieds. Alec l’imita par habitude, tous ses sens en alerte. Un grognement sourd et menaçant roula hors de la gorge d’Écho et Alec saisit son arc en encochant une flèche. Le Frontalier avait beau posséder un entrainement qui aiguisait ses sens, Écho en avait de beaucoup plus développés que lui, et Alec ne vit ni ne comprit tout de suite l’origine de l’agressivité d’Écho.