descriptionRe: La taverne du Cheval Blanc
Alec aurait tout donné pour être seul, ne pas avoir à parler, trouver des excuses et encore moins parlé de ce qui s’était passé. Tout était trop instable, dangereux dans sa tête présentement. Comme un loup mis en cage, la morsure était à craindre, et Alec voulait à tout prix éviter de blesser ses amis.
- « Perdre ton sang-froid… Une Goule aurait perdu le sien, pardi! Tu n’as rien à te faire pardonner Alec, c’est plutôt à cette tête de Raïs de te présenter ses excuses. D’ailleurs, si tu n’avais pas réagi, je lui aurais moi-même mis mon poing au visage, tu ne crois pas? »
Alec tenta d’ignorer le commentaire d’Ayden et se figea. Il n’y avait rien à répondre, autant le Thül avait raison qu’Alec ne pouvait se résoudre à accepter son geste. C’était trop confus, trop douloureux. Les paroles de Neyd faisaient toujours le même effet au Frontalier. Il était le seul qui lui disait en face ce que plusieurs avaient pensé tout bas. Le seul dont les paroles faisaient écho à la culpabilité qui le rongeait de l’intérieur. Autant il n’aimait pas le jeune frontalier, pour une quantité innommable de raisons, autant il était divisé sur la justesse de ses paroles. Que ses amis lui disent qu’il avait tort n’y changeait rien, qu’ils connaissent ou non la raison de sa haine.
Alors qu’Alec serrait les dents, se maudissant de ne pas arriver à prononcer les mots, Ayden se leva, une lueur menaçante dans le regard. Alec ne leva pas immédiatement la tête vers lui. Toute son énergie était focalisée sur son expression, pour la rendre neutre, calme, et cacher le cyclone qui rageait en lui sans qu’il ne puisse y faire quoi que ce soit.
- « Ça suffit. Maintenant tu vas m’écouter. Tu crois vraiment qu’on t’aurait laissé seul après ce qui vient de se passer? Je n’en ai rien à faire de la raison pour laquelle l’autre abruti t’en veut. Je vois clairement que tu t’en veux toi aussi pour ça, mais ça ne change rien. Je ne veux même pas savoir. Personne n’a le droit de dire des trucs pareils sans s’en prendre une. Et si tu crois un instant que tu n’as qu’à enfiler ta tête de faux semblant et nous balancer tes sornettes pour qu’on arrête de s’inquiéter pour toi, tu es plus stupide qu’un Raïs! »
La voix d’Ayden s’éleva et devint plus rude. Alec sentit son ami se tendre comme la corde d’un arc et ses propres muscles en firent autant. Il leva enfin la tête vers lui.
- « Que ça te plaise ou pas, on va rester avec toi. Je vais t’emmerder même si tu menaces de me jeter en bas de cette foutue falaise, tu m’entends? Parce que je suis ton ami, Alec. »
Alec tiqua. Un mélange de peur, de colère et d’une autre émotion plus vive et profonde qu’il n’identifia pas lui serra la poitrine. Ne comprenaient-ils donc rien? Il ne s’isolait pas du reste du monde parce que cela lui « plaisait », bien au contraire! La raison pour laquelle il n’avait plus d’amis, qu’il se fût éloigné de tout le monde, même sa propre famille, n’était pas aussi simple que cela.
La honte, la peine, les remords, la rage… tout cela était un monstre qui échappait à toute logique, à tout contrôle. C’était comme dévaler une falaise sans pouvoir se rattraper. La seule chose qu’il pouvait faire, c’était éviter d’entrainer les autres dans sa chute. Plus encore, c’était son honneur, son devoir et sa parole qui avaient été brisés. Pour un Frontalier comme Alec, cela est pire que la mort.
- « Si tu me dis une fois encore que tu vas totalement bien, que tu t’excuses ou que cette fiente de Raïs ne méritait pas que tu lui plantes une flèche entre ses deux yeux d’abrutis, c’est moi qui te cogne. C’est compris? »
Les mots d’Ayden résonnèrent avec force dans son esprit, lui faisant tourner un peu plus la tête.
Non. Ils n’avaient pas besoin de comprendre. Il avait eu tort de croire qu’ils ne comprenaient rien, qu’ils ne feraient rien. Savoir, comprendre, tout cela leur était désuet, non nécessaire, superflu. Ils étaient là, car Alec était là. Ils étaient là pour la même raison qu’Alec s’était tenue devant un Géant pour tenter de sauver Yaan. Pour la même raison que lui-même aurait été là au moindre signe de détresse de l’un ou de l’autre de ses amis. Alec s’en voulut.
Il planta ses yeux verts dans les yeux d’Ayden, mais ne prononça aucun mot. Les paroles sont souvent de trop, dans ce genre de situation. Quand bien même aurait-il voulu parler, il n’aurait pas pu. S’excuser était une erreur, les remercier un autre. Ils étaient là, car lui aussi aurait été là. Tout simplement. Il mit toute cette force, cette reconnaissance et cette compréhension dans son regard vert, espérant que le Thül comprendrait son silence.
Son masque n’était pas tombé et ne tomberait probablement pas avant longtemps, sinon jamais. Néanmoins, le Thül avait réussi l’exploit de faire accepter l’impossible à Alec : la présence et l’existence d’amis. C’était un pas énorme. Un pas chancelant, dangereux, qui risquait à tout moment de se rétracter, mais victorieux pour l’instant. S’il arrivait à le comprendre, il saisirait qu’il ne pouvait en demander plus pour l’instant.
Écho poussa un gémissement en levant ses yeux d’ambre vers lui. Alec prit conscience de l’anxiété dans laquelle il avait plongé le loup et ses réflexes prirent le dessus pour le rassurer. Ses épaules se relâchèrent un peu et la tempête dans son cœur et sa tête sembla s’apaiser. La réalité reprenait peu à peu ses droits sur sa folie.
Alec fit un signe à son loup et celui-ci répondit dans l’instant, s’approchant vivement de lui, toujours inquiet, mais rassurer qu’Alec communique de nouveau avec lui. Le museau d’Écho vint se frotter contre sa main et le Frontalier réprima un soupir de soulagement, comme si on venait de lui retirer un énorme pieu d’entre les épaules. La guerre n’était pas gagnée, mais la tempête s’éloignait, il reprenait contrôle. Il ne pouvait rien demander de plus.
Il chercha alors Nirina des yeux, prenant soudain conscience qu’il ne l’avait pas entendu parler depuis un bon moment. Il la trouva rapidement, légèrement caché dans l’ombre, à quelque mètre de lui et d’Ayden. Elle non plus ne semblait pas bien aller, malgré son expression aussi froide et dure que le roc. Alec fronça les sourcils puis se rappela le détail du cheval. Sa sollicitude pour son amie finie de lui faire gagner le pas sur la réalité.
Il s’approcha de Nirina, cherchant son regard dans l’obscurité. En s’approchant, il distingua des tremblements dans ses mains. Il se doutait qu’elle ne voudrait pas qu’il en parle, qu’il en fasse toute une histoire. Les Frontaliers détestaient purement et simplement exposer leurs faiblesses, il le savait mieux que personne. Néanmoins, il ne pouvait pas non plus ne rien faire. Aussi, se tourna-t-il vers Ayden et proposa, sa voix redevenue plus calme et claire que plus tôt.
- « Rentrons à la Citadelle alors. Je préfère y aller à pied, il ne neige presque plus. M’accompagnerez-vous? »
D’une pierre deux coups, il pouvait témoigner ce qu’il ne savait dire à Ayden tout en aidant son amie à se sentir mieux et surmonter son traumatisme du moment. D’un côté, sa demande confirmait à Ayden qu’Alec avait besoin de temps, mais qu’il ne les rejetait plus. De l’autre, la marche, bien que longue et éprouvante, allait éviter à Nirina de devoir remonter à cheval ou énoncer son refus de le faire. Également, Alec savait que rester immobile n’aiderait pas Nirina, déjà que l’immobilité rendant d’ordinaire la plupart des Frontaliers fous ou mal à l’aise… Elle devait bouger, et la marche pour redescendre jusqu’à la Citadelle était l’exercice parfait.