descriptionRe: La taverne du Cheval Blanc
- « Pas vraiment, répondit-elle. On se connait depuis quoi, quelques semaines? Et vous, depuis combien de temps vous vivez chez lui? C'est étonnant de voir un Frontalier héberger un Thül, je pensais que vous utiliseriez plutôt une des chambres de la Citadelle pour les invités de passage! »
Ayden rit de bon cœur. Effectivement, c’était peu commun. Mais Ayden n’était pas un homme qui se souciait des idées préconçues ou des mauvaises réputations du passé.
- « Presque deux semaines maintenant. Ils ont été assez généreux pour m’offrir une chambre le temps que je trouve une caravane à escorter. Il n’en pleut pas, malheureusement, à cette période de l’année. Mais ce n’est pas plus mal, j’adore la famille d’Alec, et Daerys est particulièrement bonne cuisinière… »
Il lança un regard malicieux à Alec, sachant d’avance que sa vanne atteindrait son but. Il l’avait fait exprès, sachant à quel point Alec était protecteur de sa jeune sœur. Il le lui avait fait comprendre à la seconde où il avait rencontré la jeune Frontalière, même si celle-ci était hautement à même de se défendre et de l’éconduire toute seule.
- « Pour les remercier, je travaille sur la ferme. Cela me rappelle lorsque je m’occupais des troupeaux, dans ma région natale. J’aime beaucoup travailler de mes mains ainsi, ça me fait changement! Il y a toujours des millions de choses à faire dans une caravane, mais c’est tout un autre monde… »
Les yeux d’Ayden se perdirent un instant dans le vague, un sourire flottant sur ses lèvres, la tête dans ses souvenirs. Il se souvenait comme si c’était hier de la Plaine Shaäl où s’étendait à l’infini, au printemps, l’herbe sèche recouverte encore par endroit par la neige. Il y revoyait les troupeaux de chèvres et de siffleurs paitre sans barrière, à la recherche des nouvelles pousses plus nourrissantes.
Il avait vécu près de 20 ans avec son clan. Les siens étaient nomades et se déplaçaient dans les grandes étendues du nord avec leurs troupeaux, familles et campements. Parfois, cette vie lui manquait, mais il savait qu’il ne pouvait rester très longtemps au même endroit. Son cœur était celui d’un voyageur. Il avait besoin de bouger, de rencontrer d’autres gens, de vivre des aventures. Il restait un moment à un endroit puis repartait. Mais où il avait fait les plus belles rencontres, il revenait toujours. Il savait déjà qu’il reviendrait souvent sur la petite ferme de la famille d’Alec.
Alec enchaina avec des précisions sur les circonstances de leur rencontre et Ayden ne put se retenir de rire à cette évocation. Ça aurait pu très mal tourné comme rencontre inattendue, en effet!
- « Nous nous sommes rencontrés alors que je traquais des Raïs à l’ouest des Marches. Ayden à bien manqué de peu de couper Écho en deux de son épée, et moi de lui planter une flèche entre les deux yeux pour le coup, mais finalement, les Raïs nous sont tombés dessus. »
Alec lui lança un regard entendu et il fit une moue mi- amusé, mi- agacé, présentant la suite.
- « Ayden fut blessé par l’un des Raïs, pas gravement, bien sûr, mais si j’ai bien compris, aurait préférer se retrouver face à une horde d’ours élastiques plutôt que de devoir demander de l’aide à la Citadelle. Donc je l’ai invité chez moi. Ma sœur, Daerys, l’a soigné. Il reste chez nous depuis. »
Grognon, Ayden lança un faux regard mauvais à Alec.
- « Mphmm… plutôt crevé que de donner le plaisir à l’équipe médicale de la Citadelle de se moquer d’un Thül! »
Il but une gorgé puis abandonnant son ton bourru, ajouta à l’intention de Nirina :
- « De toute façon, je ne serais pas arrêté à la Citadelle, mais dans une auberge. Bien que j’aie été accueilli à la Citadelle quelques fois il y a plusieurs années comme représentant de mon peuple et clan, je ne suis pas en mission diplomatique ou martiale cette fois-ci. Je n’ai donc aucune raison de vouloir rester à la Citadelle. »
Plusieurs l’auraient fait, compte tenu de la sécurité et des lits confortables qu’offrait la Citadelle, mais pas lui. Il ne voyait pas pourquoi il aurait abusé de l’hospitalité des Frontaliers pour un voyage personnel. Il préférait les auberges où, comme dans le cas présent, se retrouver chez des amis. L’ambiance était d’ailleurs nettement meilleure et le risque de provoquer quelqu’un en duel par accident bien moindre.
La serveuse arriva rapidement, transportant les trois choppes dans ses mains. Ayden remarqua bien évidemment le petit jeu de force qu’elle tenta de jouer, mais son attention fut complètement happée par l’air qu’affichait Alec. Visiblement, il n’était pas du tout à son aise avec le jeu d’Anya, et c’était plutôt comique à voir!
Absorbé par cette vision comique, il rata de quelques secondes le moment où Nirina et Alec payèrent leur commande et se leva aussitôt en faisant de grands gestes, retenant ainsi la serveuse, légèrement interloquée. Elle en avait vu d’autres plus fous, mais un Thül debout faisant des simagrées est toujours un peu impressionnant.
- « Non, non, non… Je me suis fait avoir une fois, pas deux! Mademoiselle, veuillez rendre leur monnaie à mes amis, le reste de la soirée et sur moi! Alec, je t’avais dit que je te payais la soirée pour te remercier de m’héberger, ne fait pas de moi un parjure. »
Il se tourna vers Nirina en fronçant les sourcils, autoritaire malgré son sourire toujours accroché aux coins des lèvres :
- « Et je ne veux rien entendre, c’est un honneur pour moi de t’inviter aussi! On ne négocie pas avec l’honneur d’un Thül. »
Il se retourna vers Anya et lui tendit l’argent pour payer les trois consommations. Il ajouta à cela un petit clin d’œil charmeur. Le geste pouvait passer pour anodin, surtout pour le Thül en question, mais il n’en était rien. Il voulait attirer l’attention d’Anya sur lui plutôt que sur Alec. Il avait promis de lui faire passer une bonne soirée. Rien ne viendrait se mettre dans son chemin! Rien, pas même l’une de ses propres tentatives ratées.
Il se rassit, plutôt fière de son coup, un sourire satisfit et festif collé au visage comme un gommer à un mur. Il s’étira puis prit place confortablement sur sa chaise. La soirée se déroulait bien. Parfaitement bien. Il n’aurait pu en être plus content!
Alec enchaina la conversation.
- « Tu as dit tout à l’heure que tu retournais à la Citadelle lorsque tu nous as aperçus. Tu étais en patrouille à la frontière? »
Intéressé lui aussi, il écouta la réponse de Nirina, mais garda une partie de son attention sur Alec. Il avait vu ce que la présence de Nirina avait eu comme effet sur Alec. Elle-même ne pouvait certainement pas s’en rendre compte, puisqu’il avait changé d’attitude lorsqu’elle était apparue. Alec appréciait la présence de la Frontalière, cela aurait été évident pour un aveugle. Mais plus que cela, elle l’avait fait sortir de son mutisme et de sa tête d’asocial mésadapté. Elle le faisait même sourire et rire. Non pas par ce qu’elle disait, mais parce que sa présence semblait lui permettre de se détendre. Il ne l’avait vu comme cela que lorsque sa sœur, Daerys, était avec lui.
Nirina et lui l’avaient informé qu’ils ne se connaissaient pas depuis longtemps, pourtant il aurait juré en les voyant agir qu’ils se connaissaient depuis toujours. Il ne s’agissait pas de ce qu’ils disaient, mais de leur comportement. Du moins… celui d’Alec. D’autant qu’il pouvait en juger, Nirina se sentait également à l’aise avec lui, mais il ne la connaissait pas d’avant et la comparaison était impossible. La comparaison, cependant, était plus qu’évidente avec Alec.
Peut-être que le Thül pouvait tenter de ne pas se mêler de ses oignons, encore une fois, et aider sa tête de mule d’ami…? Il attendrait néanmoins la bonne occasion, les bons mots, question d’être le plus subtil possible. Subtil… si faillit lever les yeux au ciel et rire de ses propres pensées. Il était bien des choses, mais subtil n’en faisait pas parti.