Lorsque les premiers rayons du soleil vinrent chatouiller le visage d'Elleynah, elle ouvrit les yeux. Le matin était encore jeune, mais beaucoup s'activaient déjà à l'extérieur. Le camp des mercenaires ne dormait jamais vraiment. Il y avait toujours trop à faire, et certaines personnes disaient même que la nuit était davantage propice au chaos qu'au repos. Elleynah n'était pas d'accord avec cela. La nuit n'appartenait pas au chaos. La nuit appartenait aux marchombres. Pour la première fois depuis qu'elle avait remis les pieds dans son lieu de naissance, Elleynah se permit d'avoir un léger sourire nostalgique. Rien n'était facile, mais elle s'en moquait. La blessure béante dans son coeur était bien plus mortelle que toutes celles physiques qui lui avaient été infligées.
Elle ne regrettait pas d'être venue. Elle ne regrettait pas ses choix. Si c'était à refaire, elle n'hésiterait pas la moindre seconde. Objectivement, elle s'en sortait plutôt bien. La maître marchombre était mal en point, mais elle avait survécu. Elle avait survécu à la colère et au sadisme de sa mère, elle avait survécu à tous ces mercenaires qui auraient dû lui planter une lame dans le coeur dès le début. La marchombre se leva et tituba jusqu'au miroir. Après quelques temps passés dans les cachots, Kaelleyn Bàthory, sa mère avait décidé de la maintenir en captivité dans leur ancienne maison. Ce n'était pas par bonté de coeur de sa part, mais parce qu'elle s'était rendue compte que sa fille leur était utile, et ne pourrait continuer à l'être que vivante. Elle était en permanence sous surveillance, mais peu à peu, elle gagnait la confiance de ceux qui l'entouraient.
Comme chaque matin, elle observa son corps. Une ecchymose marquait sa pommette droite et descendait jusqu'à ses lèvres, où un peu de sang séchait encore. D'autres marques descendait sur son cou, à la base duquel un bandage masquait une entaille qui avait failli lui coûter la vie. Elle ôta la courte robe en toile qu'on lui avait prêté en guise d'unique vêtement, et doucement, passa ses mains sur les marques qui jonchaient sa peau pâle. Elle était couverte de bleus, de plaies, de coups. Sa poitrine, son ventre, ses jambes, ses bras... Rien n'avait été épargné. Elle avait au moins une côte cassée, peut-être deux. Il n'y avait pas une seule partie de son corps qui n'était pas enflée ou douloureuse. Elle avait également beaucoup maigri, perdant des muscles et de la force. Mais pas une seule fois Elleynah ne s'était plainte. Pas une seule fois elle n'avait crié, supplié ou pleuré. Elle avait simplement encaissé. C'était sans doute la raison pour laquelle il y avait eu un aussi grand déchaînement de violence à son égard.
Tout s'était passé trop vite. La mort de son apprentie, ses derniers mots balancés sur un morceau de papier déjà froissé, son arrivée au camp. Tout n'était plus qu'un vague enchaînement de flashs aux couleurs du sang. Elle avait l'impression de sombrer dans un cauchemar qui n'aurait de fin que lorsqu'elle mourrait. Mais elle ne comptait pas mourir. Pas encore. Alors chaque matin, elle se déshabillait, et elle regardait. Elle regardait la souffrance inscrite en elle. Je suis en vie, songeait-elle alors. Elle soupirait, se rhabillait, et allait s'asseoir sur un fauteuil dans un coin de la pièce, la tête sur l'accoudoir, les jambes repliées contre sa poitrine, autant que son corps et ses blessures le lui permettaient. Et elle passait des heures à essayer de se souvenir, ou au moins, à essayer de ne pas trop oublier.
Tout lui échappait. Enfermée dans le noir pendant ce qui avait semblé être une éternité, elle avait perdu la notion du temps. Elle avait arrêté de compter les fois où on l'interrogeait, elle avait arrêté de compter les coups. La douleur alimentait une haine transcendante qui ne faisait que croître. Elle se haïssait. Elle haïssait ses faiblesses, elle haïssait ses choix. Elle haïssait le monde, elle haïssait les mercenaires, les Hommes, leurs esprits détraqués, et sa mère. Elle haïssait. Progressivement, Elleynah s'était rendue compte qu'inconsciemment, elle désirait seulement tout oublier. Elle voulait oublier sa peine, sa douleur, elle voulait oublier le goût du sang qui avait pris possession de sa bouche depuis son arrivée. Elle voulait oublier le visage de son apprentie, figé dans une expression d'horreur et de douleur pour l'éternité. Elle voulait oublier ceux qu'elle aimait, elle voulait oublier qui elle était. Mais elle était encore trop lucide pour savoir qu'il ne fallait pas qu'elle oublie. Elle devait se souvenir. Elle devait se souvenir.
Alors chaque jour, malgré les cris de ses cauchemars, malgré la douleur insupportable qui lui faisait parfois perdre connaissance, Elleynah entreprenait de faire des exercices d'assouplissement. Elle ne voulait pas tout perdre, elle ne voulait pas se laisser mourir. Elle avait encore trop de choses à accomplir. Et à chaque fois, son corps et son âme n'étaient que torture. Douleur, douleur, douleur. Ses oreilles sifflaient, le sang tambourinait à ses tempes. Elle avait mal. Atrocement mal. Les larmes ne coulaient pas sur son visage creusé, elle ne criait pas, mais elle avait mal. Puis, dans son fauteuil, là où elle avait grandi, elle fermait les yeux. Elle finissait par respirer calmement, s'interdisant la gestuelle marchombre mais se forçant à se la remémorer chaque jour pour ne rien oublier. Son esprit se vidait, et pendant un instant, elle avait l'impression de flotter. Puis, inlassablement, la réalité la rattrapait.
Lorsqu'elle entendit la clé tourner dans la serrure, Elleynah ne prit pas la peine d'ouvrir les yeux. Elle avait trouvé cette précaution particulièrement inutile. Même désarmée, elle n'aurait eu aucune difficulté à la crocheter si elle l'avait voulu. Elle savait pourtant que ni sa mère ni ses acolytes ne la sous-estimait. C'était pourquoi plusieurs hommes étaient toujours là pour la surveiller. Elle n'avait aucune chance de s'enfuir. Le pas qui résonna dans sa chambre ne lui était pas familier. Elle hésita. Avachie comme elle l'était, on aurait pu croire qu'elle dormait. Sa poitrine se soulevait laborieusement. Chaque respiration était un supplice pour elle. Au bout de quelques instants, elle prit une inspiration plus grande que les autres, et ouvrit les yeux. Son regard ambré, habituellement si pétillant, semblait éteint. Pourtant, une étincelle de curiosité s'alluma. Elle ne connaissait pas l'homme qui venait d'entrer.
Elle ne regrettait pas d'être venue. Elle ne regrettait pas ses choix. Si c'était à refaire, elle n'hésiterait pas la moindre seconde. Objectivement, elle s'en sortait plutôt bien. La maître marchombre était mal en point, mais elle avait survécu. Elle avait survécu à la colère et au sadisme de sa mère, elle avait survécu à tous ces mercenaires qui auraient dû lui planter une lame dans le coeur dès le début. La marchombre se leva et tituba jusqu'au miroir. Après quelques temps passés dans les cachots, Kaelleyn Bàthory, sa mère avait décidé de la maintenir en captivité dans leur ancienne maison. Ce n'était pas par bonté de coeur de sa part, mais parce qu'elle s'était rendue compte que sa fille leur était utile, et ne pourrait continuer à l'être que vivante. Elle était en permanence sous surveillance, mais peu à peu, elle gagnait la confiance de ceux qui l'entouraient.
Comme chaque matin, elle observa son corps. Une ecchymose marquait sa pommette droite et descendait jusqu'à ses lèvres, où un peu de sang séchait encore. D'autres marques descendait sur son cou, à la base duquel un bandage masquait une entaille qui avait failli lui coûter la vie. Elle ôta la courte robe en toile qu'on lui avait prêté en guise d'unique vêtement, et doucement, passa ses mains sur les marques qui jonchaient sa peau pâle. Elle était couverte de bleus, de plaies, de coups. Sa poitrine, son ventre, ses jambes, ses bras... Rien n'avait été épargné. Elle avait au moins une côte cassée, peut-être deux. Il n'y avait pas une seule partie de son corps qui n'était pas enflée ou douloureuse. Elle avait également beaucoup maigri, perdant des muscles et de la force. Mais pas une seule fois Elleynah ne s'était plainte. Pas une seule fois elle n'avait crié, supplié ou pleuré. Elle avait simplement encaissé. C'était sans doute la raison pour laquelle il y avait eu un aussi grand déchaînement de violence à son égard.
Tout s'était passé trop vite. La mort de son apprentie, ses derniers mots balancés sur un morceau de papier déjà froissé, son arrivée au camp. Tout n'était plus qu'un vague enchaînement de flashs aux couleurs du sang. Elle avait l'impression de sombrer dans un cauchemar qui n'aurait de fin que lorsqu'elle mourrait. Mais elle ne comptait pas mourir. Pas encore. Alors chaque matin, elle se déshabillait, et elle regardait. Elle regardait la souffrance inscrite en elle. Je suis en vie, songeait-elle alors. Elle soupirait, se rhabillait, et allait s'asseoir sur un fauteuil dans un coin de la pièce, la tête sur l'accoudoir, les jambes repliées contre sa poitrine, autant que son corps et ses blessures le lui permettaient. Et elle passait des heures à essayer de se souvenir, ou au moins, à essayer de ne pas trop oublier.
Tout lui échappait. Enfermée dans le noir pendant ce qui avait semblé être une éternité, elle avait perdu la notion du temps. Elle avait arrêté de compter les fois où on l'interrogeait, elle avait arrêté de compter les coups. La douleur alimentait une haine transcendante qui ne faisait que croître. Elle se haïssait. Elle haïssait ses faiblesses, elle haïssait ses choix. Elle haïssait le monde, elle haïssait les mercenaires, les Hommes, leurs esprits détraqués, et sa mère. Elle haïssait. Progressivement, Elleynah s'était rendue compte qu'inconsciemment, elle désirait seulement tout oublier. Elle voulait oublier sa peine, sa douleur, elle voulait oublier le goût du sang qui avait pris possession de sa bouche depuis son arrivée. Elle voulait oublier le visage de son apprentie, figé dans une expression d'horreur et de douleur pour l'éternité. Elle voulait oublier ceux qu'elle aimait, elle voulait oublier qui elle était. Mais elle était encore trop lucide pour savoir qu'il ne fallait pas qu'elle oublie. Elle devait se souvenir. Elle devait se souvenir.
Alors chaque jour, malgré les cris de ses cauchemars, malgré la douleur insupportable qui lui faisait parfois perdre connaissance, Elleynah entreprenait de faire des exercices d'assouplissement. Elle ne voulait pas tout perdre, elle ne voulait pas se laisser mourir. Elle avait encore trop de choses à accomplir. Et à chaque fois, son corps et son âme n'étaient que torture. Douleur, douleur, douleur. Ses oreilles sifflaient, le sang tambourinait à ses tempes. Elle avait mal. Atrocement mal. Les larmes ne coulaient pas sur son visage creusé, elle ne criait pas, mais elle avait mal. Puis, dans son fauteuil, là où elle avait grandi, elle fermait les yeux. Elle finissait par respirer calmement, s'interdisant la gestuelle marchombre mais se forçant à se la remémorer chaque jour pour ne rien oublier. Son esprit se vidait, et pendant un instant, elle avait l'impression de flotter. Puis, inlassablement, la réalité la rattrapait.
Lorsqu'elle entendit la clé tourner dans la serrure, Elleynah ne prit pas la peine d'ouvrir les yeux. Elle avait trouvé cette précaution particulièrement inutile. Même désarmée, elle n'aurait eu aucune difficulté à la crocheter si elle l'avait voulu. Elle savait pourtant que ni sa mère ni ses acolytes ne la sous-estimait. C'était pourquoi plusieurs hommes étaient toujours là pour la surveiller. Elle n'avait aucune chance de s'enfuir. Le pas qui résonna dans sa chambre ne lui était pas familier. Elle hésita. Avachie comme elle l'était, on aurait pu croire qu'elle dormait. Sa poitrine se soulevait laborieusement. Chaque respiration était un supplice pour elle. Au bout de quelques instants, elle prit une inspiration plus grande que les autres, et ouvrit les yeux. Son regard ambré, habituellement si pétillant, semblait éteint. Pourtant, une étincelle de curiosité s'alluma. Elle ne connaissait pas l'homme qui venait d'entrer.