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Avant l'orage [Indel Valaom & Elleynah Bàthory] - RP FlashBack

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descriptionAvant l'orage [Indel Valaom & Elleynah Bàthory] - RP FlashBack EmptyAvant l'orage [Indel Valaom & Elleynah Bàthory] - RP FlashBack

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Lorsque les premiers rayons du soleil vinrent chatouiller le visage d'Elleynah, elle ouvrit les yeux. Le matin était encore jeune, mais beaucoup s'activaient déjà à l'extérieur. Le camp des mercenaires ne dormait jamais vraiment. Il y avait toujours trop à faire, et certaines personnes disaient même que la nuit était davantage propice au chaos qu'au repos. Elleynah n'était pas d'accord avec cela. La nuit n'appartenait pas au chaos. La nuit appartenait aux marchombres. Pour la première fois depuis qu'elle avait remis les pieds dans son lieu de naissance, Elleynah se permit d'avoir un léger sourire nostalgique. Rien n'était facile, mais elle s'en moquait. La blessure béante dans son coeur était bien plus mortelle que toutes celles physiques qui lui avaient été infligées.

Elle ne regrettait pas d'être venue. Elle ne regrettait pas ses choix. Si c'était à refaire, elle n'hésiterait pas la moindre seconde. Objectivement, elle s'en sortait plutôt bien. La maître marchombre était mal en point, mais elle avait survécu. Elle avait survécu à la colère et au sadisme de sa mère, elle avait survécu à tous ces mercenaires qui auraient dû lui planter une lame dans le coeur dès le début. La marchombre se leva et tituba jusqu'au miroir. Après quelques temps passés dans les cachots, Kaelleyn Bàthory, sa mère avait décidé de la maintenir en captivité dans leur ancienne maison. Ce n'était pas par bonté de coeur de sa part, mais parce qu'elle s'était rendue compte que sa fille leur était utile, et ne pourrait continuer à l'être que vivante. Elle était en permanence sous surveillance, mais peu à peu, elle gagnait la confiance de ceux qui l'entouraient.

Comme chaque matin, elle observa son corps. Une ecchymose marquait sa pommette droite et descendait jusqu'à ses lèvres, où un peu de sang séchait encore. D'autres marques descendait sur son cou, à la base duquel un bandage masquait une entaille qui avait failli lui coûter la vie. Elle ôta la courte robe en toile qu'on lui avait prêté en guise d'unique vêtement, et doucement, passa ses mains sur les marques qui jonchaient sa peau pâle. Elle était couverte de bleus, de plaies, de coups. Sa poitrine, son ventre, ses jambes, ses bras... Rien n'avait été épargné. Elle avait au moins une côte cassée, peut-être deux. Il n'y avait pas une seule partie de son corps qui n'était pas enflée ou douloureuse. Elle avait également beaucoup maigri, perdant des muscles et de la force. Mais pas une seule fois Elleynah ne s'était plainte. Pas une seule fois elle n'avait crié, supplié ou pleuré. Elle avait simplement encaissé. C'était sans doute la raison pour laquelle il y avait eu un aussi grand déchaînement de violence à son égard.

Tout s'était passé trop vite. La mort de son apprentie, ses derniers mots balancés sur un morceau de papier déjà froissé, son arrivée au camp. Tout n'était plus qu'un vague enchaînement de flashs aux couleurs du sang. Elle avait l'impression de sombrer dans un cauchemar qui n'aurait de fin que lorsqu'elle mourrait. Mais elle ne comptait pas mourir. Pas encore. Alors chaque matin, elle se déshabillait, et elle regardait. Elle regardait la souffrance inscrite en elle. Je suis en vie, songeait-elle alors. Elle soupirait, se rhabillait, et allait s'asseoir sur un fauteuil dans un coin de la pièce, la tête sur l'accoudoir, les jambes repliées contre sa poitrine, autant que son corps et ses blessures le lui permettaient. Et elle passait des heures à essayer de se souvenir, ou au moins, à essayer de ne pas trop oublier.

Tout lui échappait. Enfermée dans le noir pendant ce qui avait semblé être une éternité, elle avait perdu la notion du temps. Elle avait arrêté de compter les fois où on l'interrogeait, elle avait arrêté de compter les coups. La douleur alimentait une haine transcendante qui ne faisait que croître. Elle se haïssait. Elle haïssait ses faiblesses, elle haïssait ses choix. Elle haïssait le monde, elle haïssait les mercenaires, les Hommes, leurs esprits détraqués, et sa mère. Elle haïssait. Progressivement, Elleynah s'était rendue compte qu'inconsciemment, elle désirait seulement tout oublier. Elle voulait oublier sa peine, sa douleur, elle voulait oublier le goût du sang qui avait pris possession de sa bouche depuis son arrivée. Elle voulait oublier le visage de son apprentie, figé dans une expression d'horreur et de douleur pour l'éternité. Elle voulait oublier ceux qu'elle aimait, elle voulait oublier qui elle était. Mais elle était encore trop lucide pour savoir qu'il ne fallait pas qu'elle oublie. Elle devait se souvenir. Elle devait se souvenir.

Alors chaque jour, malgré les cris de ses cauchemars, malgré la douleur insupportable qui lui faisait parfois perdre connaissance, Elleynah entreprenait de faire des exercices d'assouplissement. Elle ne voulait pas tout perdre, elle ne voulait pas se laisser mourir. Elle avait encore trop de choses à accomplir. Et à chaque fois, son corps et son âme n'étaient que torture. Douleur, douleur, douleur. Ses oreilles sifflaient, le sang tambourinait à ses tempes. Elle avait mal. Atrocement mal. Les larmes ne coulaient pas sur son visage creusé, elle ne criait pas, mais elle avait mal. Puis, dans son fauteuil, là où elle avait grandi, elle fermait les yeux. Elle finissait par respirer calmement, s'interdisant la gestuelle marchombre mais se forçant à se la remémorer chaque jour pour ne rien oublier. Son esprit se vidait, et pendant un instant, elle avait l'impression de flotter. Puis, inlassablement, la réalité la rattrapait.

Lorsqu'elle entendit la clé tourner dans la serrure, Elleynah ne prit pas la peine d'ouvrir les yeux. Elle avait trouvé cette précaution particulièrement inutile. Même désarmée, elle n'aurait eu aucune difficulté à la crocheter si elle l'avait voulu. Elle savait pourtant que ni sa mère ni ses acolytes ne la sous-estimait. C'était pourquoi plusieurs hommes étaient toujours là pour la surveiller. Elle n'avait aucune chance de s'enfuir. Le pas qui résonna dans sa chambre ne lui était pas familier. Elle hésita. Avachie comme elle l'était, on aurait pu croire qu'elle dormait. Sa poitrine se soulevait laborieusement. Chaque respiration était un supplice pour elle. Au bout de quelques instants, elle prit une inspiration plus grande que les autres, et ouvrit les yeux. Son regard ambré, habituellement si pétillant, semblait éteint. Pourtant, une étincelle de curiosité s'alluma. Elle ne connaissait pas l'homme qui venait d'entrer.

descriptionAvant l'orage [Indel Valaom & Elleynah Bàthory] - RP FlashBack EmptyRe: Avant l'orage [Indel Valaom & Elleynah Bàthory] - RP FlashBack

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Avec précaution, le Mercenaire poussa le battant de la porte sans bruit, comme s’il s’immisçait par effraction dans la pièce. Il jeta un regard à la ronde. L’endroit était paré d’une banalité confondante, à laquelle plusieurs ne se seraient pas attendus à retrouver, ici, dans l’impénétrable repère des Mercenaires du Chaos. Pourtant, il s’agissait d’une cage. Il suffisait de repérer les volets clos pour le comprendre. Ou de s’imprégner de la pénombre oppressante, presque visqueuse sur la peau. De celles capables de s’immiscer dans les veines et d’empoisonner l’esprit. Un jour à la fois. Un jour après l’autre. Dans un martèlement incessant. Jusqu’à ce qu’une nuit d’un gris malade devienne la seule perspective d’avenir. Et devant lui, lovée dans un fauteuil, assoupie, ou indifférente à lui, se trouvait le fauve en personne. Un être tailladé. Sur lequel on s’acharnait avec une colère qui s’approchait de la folie. Une Marchombre qui, de l’avis de l’homme, méritait chaque blessure inscrite dans sa chair. La fille de Kaelleyn Báthory. Elleynah.

Sans la lâcher des yeux, Indel referma derrière lui et resta planté dans l’embrasure pour interdire toute fuite facile. Pour ce qu’il en savait, cependant, la femme n’avait pas tenté de s'échapper. Son souffle, heurté et douloureux, trahissait l’abattement, ce qui ne le rasséréna pas pour autant. Il n’excluait pas qu’elle puisse encore se montrer assez vigoureuse et vive pour l’attaquer. C’est pourquoi il avait dissimulé un poignard sur lui avant de venir la trouver. La méfiance excessive n'existait pas, pour Indel, même lorsqu'il détenait l'avantage. Elle ouvrit les yeux et lui lança un regard qu’il soutint. Grave. Il n’éprouvait pas de délectation particulière à se trouver là, mais il se pliait sans rechigner à la volonté de Kaelleyn. L’éminente Envoleuse ne s’était intéressée à lui que tout récemment, plusieurs jours après l’arrivée impromptue de sa fille au camp. Pas précisément le retour de l’enfant prodigue de ce qu’Indel avait pu en déduire… Sans en jurer et pour une raison qui lui échappait, Indel soupçonnait Ysoba, son ancienne Maître Mercenaire, de l’avoir placé dans les bonnes grâces de Báthory. Il l’imaginait très bien, avec sa malice sardonique habituelle, vanter la nature affreusement observatrice et suspicieuse de son protégé. Rouée, aussi. Parfaite pour la mission que Kaelleyn cherchait à attribuer à un Mercenaire de confiance. Soit : surveiller Elleynah et anticiper ses coups fourrés. Tenter aussi de mesurer l’étendue réelle de sa duplicité, qui se déclinait entre Harmonie et Chaos. En somme, Indel jouerait les informateurs. Bien qu’il ne le se soit pas formulé avec clarté, ça lui convenait. Surtout puisqu’il venait d’accomplir sa première mission de sabotage militaire pour le compte du Chaos. Il en était revenu depuis peu et se terrait au sein de la tanière des Mercenaires. Kaelleyn en personne l’avait félicité, de même que d’autres Mercenaires de sa connaissance, mais la nuit précédente, il avait fait un rêve gorgé de sang et de boue, pareil au champ de bataille qu’il avait abandonné derrière lui, une fois son méfait accompli. Il s’était éveillé en sueur, le cœur aussi agité que des ailes de petits oiseaux. Personne ne l’avait averti que ça arriverait.  Avec une lucidité plus horrible que tout le reste, il avait compris que de tels cauchemars s’enrouleraient désormais comme la vigne sur son squelette jusqu’à la tombe. Alors, pour l’heure, il avait décidé  d’engourdir sa conscience en se concentrant sur le cas de la fille du Chaos renégate. Perdue, puis retrouvée. Celle qui devait être dûment châtiée. Ordre de sa mère.

Un temps s’écoula. Le silence devint épais. Il traversa le parquet pour se placer en face d’elle. Dans une tactique subreptice pour gagner la confiance de la fille de Kaelleyn, il avait apporté un plateau de nourriture avec lui. Une nourriture fade, tout juste bonne à garder un prisonnier en vie, mais servie dans une portion plus généreuse que ce à quoi on l’avait habituée. Indel y avait veillé personnellement. Il connaissait la valeur inestimable d’un repas pour les affamés. Dans sa tendre enfance, il avait connu la privation. Il ne l’avait pas oubliée. L’estomac, les tripes, ne se débarrassait jamais tout à fait du désespoir engendré par la famine. Il tendit sans un mot sa pitance à la femme. De près, il put détailler les meurtrissures qui marbraient sa peau. Rouges, noires, violacées.  À différents stades de guérison. Une exploration de la palette de couleurs de la cruauté. Aucune émotion ne transparut sur le visage du Mercenaire.

-Tiens-toi tranquille et tu vas pouvoir sortir bientôt d’ici, annonça-t-il. Sa voix s’éleva à peine plus qu’un murmure, mais il lui semblait qu’elle avait emplie démesurément la pièce. Chaque mouvement distendait avec exagération l’atmosphère pesante de la minuscule chambre, à vrai dire.

Peu loquace, il n’explicita pas sa pensée. Néanmoins, il ne mentait pas. Kaelleyn projetait d’étendre la prison de sa fille au-delà des quatre murs de la chambre dans un avenir rapproché et lui permettre d’évoluer au sein du camp, mais d’abord Indel venait s'assurer qu'Elleynah était bel et bien brisée. Malgré ce qu’annonçaient les apparences, une part de lui en doutait.

descriptionAvant l'orage [Indel Valaom & Elleynah Bàthory] - RP FlashBack EmptyRe: Avant l'orage [Indel Valaom & Elleynah Bàthory] - RP FlashBack

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Depuis des jours déjà, le temps était en suspend. Il s'écoulait entre les doigts tremblants d'Elleynah, et elle n'avait pas même la force d'essayer de le rattraper. Elle se sentait détruite comme jamais elle ne l'avait été auparavant. En elle, la barrière qui opposait harmonie et chaos s'était brisée. D'un seul coup, sans même prévenir, et la douleur avait été si grande, si intense, qu'elle avait voulu hurler. Jamais, de toute sa vie, elle n'avait ressenti pareille douleur. Jamais, de toute sa vie, elle n'avait ressenti pareil vide. Tout était vide. Sa vie avait brusquement perdu tout son sens, et parfois, une voix en elle essayait de la persuader qu'elle n'en aurait plus jamais. Tout était terminé. Elle respirait encore mais au fil du temps, elle se mettait à croire qu'elle était morte. Elle allait mourir. Elle était morte. Quelle différence, lorsque le temps n'a plus d'impact ?

La curiosité dans son regard ne tarda pas à se transformer en lassitude. Elle était lasse. A quoi bon essayer de connaître cet homme-là ? A quoi bon essayer quoi que ce soit, alors que plus rien n'avait de sens ? Alors que la vie n'était plus qu'un amas de cendre ? Elleynah avait tout perdu. Progressivement, on lui avait enlevé ce qu'elle avait de plus cher, jusqu'à ce que son âme et ses certitudes volent en éclats. Mille et un éclats de sang, davantage encore d'hurlements du coeur. La souffrance la plus atroce n'était pas celle physique. Ca ne l'avait jamais été. Et pourtant, elle soutint le regard de l'homme. Ce n'était ni par fierté ni par défi. Elle savait qu'elle avait perdu, et la dernière partie d'elle-même ne tarderait pas à céder et à accepter aussi cette idée. Elle avait perdu.

- Tiens-toi tranquille et tu vas pouvoir sortir bientôt d’ici.

Quelque chose d'inexprimable agita son âme. Entre interrogations et silence, elle se vouait à disparaître depuis déjà longtemps. Sans même s'en apercevoir, elle avait laissé le chaos prendre possession d'elle, et depuis toujours, elle s'était laissée engloutir. Ca s'était fait progressivement, tant et si bien qu'elle ne s'en était pas même rendue compte avant qu'il soit trop tard. Peut-être aurait-elle pu demander de l'aide, si elle l'avait compris avant. Son apprentie, comme beaucoup d'autres choses avant, n'avaient fait que retarder ou accélérer ce processus vicieux qui évoluait en elle comme un million d'insectes grouillants. Au fil du temps, au fil de la vie, elle avait été gagnée par cette incertitude acerbe qui forge le chaos, et elle avait oublié comment accéder à l'harmonie. Fille du chaos, bâtarde de l'harmonie. Putain du chaos, enfant de l'harmonie. Quelle différence, après tout ?

Physiquement, elle n'eut pas la moindre réaction. Elle ne quitta pas l'homme du regard, mais aucune émotion n'y apparaissait. Juste le vide. Rien d'autre que le vide. Après plusieurs minutes, elle se décida à prendre la nourriture qu'on lui proposait. Elle n'avait pas envie de manger. Elle n'avait pas envie de vivre. Elle était fatiguée, plus qu'elle ne l'avait jamais été, et cette fatigue allait vite devenir insupportable. Mais la dernière part lucide d'elle-même refusait qu'elle se laisse aller davantage. C'était cette part là qui l'obligeait à se maintenir en forme, c'était cette part-là d'elle-même qui voulait encore vivre, et qui savait réellement qui elle était. Le contact se faisait de plus en plus difficile, mais cette partie là se battait encore, et se battrait jusqu'à sa mort. Tu ne peux pas t'ignorer, Elleynah. Tu ne peux pas ignorer qui tu es. Peu importe la force avec laquelle tu essaies, peu importe à quel point le désespoir s'est emparé de toi. Je serai toujours là.

D'une main tremblante, aussi squelettique que le reste de son corps, elle attrapa le plateau, et elle dut s'aider de sa deuxième main pour le ramena sur ses genoux. Vide. Toujours plus vide. Avec ce plateau paradoxalement plein sur elle. Mais plein d'une nourriture toute aussi fade qu'elle l'était. Peut-être même plus. Pendant un moment, elle regarda la nourriture, incapable d'avaler quoi que ce soit, incapable même d'initier un seul geste. De toute sa vie, elle n'avait jamais eu aussi faim. Pourtant, de toute sa vie, elle n'avait jamais aussi peu voulu se nourrir. Jamais elle n'avait refusé un repas chaud auparavant. Jamais elle n'avait craché sur un bout de pain rassis, ou sur quelques morceaux de viande séchée. Et pourtant, tout semblait différent désormais.

Au bout d'un moment qui parut être une éternité, elle approcha ses doigts du plateau, et prit une minuscule portion d'aliments. Elle mit presque autant de temps à le porter à sa bouche, et à l'avaler. Elle réitéra l'opération plusieurs fois, avant de repousser le plateau, à peine entamer. Manger juste assez pour survivre, c'était tout ce qui importait. Pour le moment, en tous les cas. La marchombre, ou ancienne marchombre, reporta ensuite son attention sur l'homme. Elle dut faire preuve d'une volonté inouïe pour essayer de se redresse un peu, laissant ses jambes retomber sur le sol.

- Je croyais que ma mère ne voulait plus que je vois la lumière du jour. Pourquoi a-t-elle brusquement changé d'avis ?

Sa voix était rauque et éraillée, et elle éprouva une réelle difficulté à formuler une phrase cohérente et correcte. Néanmoins, elle devait reconnaître qu'elle ne s'en était pas si mal sortie. Elle était réellement surprise par la décision de sa mère. Ca ne ressemblait pas à Kaelleyn de montrer une preuve de confiance. Il y avait donc deux hypothèses possibles. Soit ce qu'elle avait fait commençait à payer, et elle avait l'espoir de retrouver un semblant de confiance de la part de la mercenaire. Soit, c'était un piège qu'on lui tendait. Dans les deux cas, il allait falloir qu'elle soit prudente. Dans les deux cas, il allait falloir qu'elle essaie, au moins.

- Et puis... T'es qui, toi ? Je t'ai jamais vu.

En ce qui concernait cette phrase là, il était évident qu'elle aurait pu mieux faire. Mais elle s'en fichait. Au fond, elle n'avait plus rien à perdre et elle le savait. Même si elle n'avait pas encore totalement renoncé à ses objectifs, elle savait qu'elle était perdue. Et puis d'abord, quels étaient ses objectifs ? Ou en tout cas, qu'est-ce qu'ils étaient devenus ? Elle ne savait pas. Elle ne savait plus. A chaque élan de survie succédait un élan encore plus grand de mort et de néant. Pendant un instant, elle ferma les yeux. Là, juste derrière le vide, il y avait quelque chose. Faiblesse et souffrance. Elleynah n'était plus vraiment Elleynah. Elleynah n'était plus qu'une ombre.

- Est-ce que... Est-ce que je pourrais avoir un peu d'eau ?

descriptionAvant l'orage [Indel Valaom & Elleynah Bàthory] - RP FlashBack EmptyRe: Avant l'orage [Indel Valaom & Elleynah Bàthory] - RP FlashBack

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La prisonnière hésita un moment avant de se pencher sur le plateau, si bien qu’Indel passa près de l’intimer à manger d’un ton rêche.  Il savait que Kaelleyn ne permettrait pas que sa fille meure sans l’avoir elle-même commandé. Il savait aussi que se laisser crever demeurait parfois le seul acte de résistance disponible. Le dernier recours pour envoyer balader les salopards. Personne ne l’avait énoncé avec clarté, mais son rôle ici consistait entre autres à s’assurer qu’Elleynah ne glisse pas vers cette échappatoire. Ainsi, il aurait usé de force si nécessaire pour qu’elle ingurgite le repas, mais, immobile et silencieux, il la regarda plutôt enfourner bouchée après bouchée avec lenteur. Il remarqua qu’il s’agissait moins d’une lenteur motivée par le désir de savourer chaque indice de goût que d’une lenteur empesée d’une extrême lassitude. Les Marchombres demeuraient humains, donc. Ils pouvaient être mis à terre au terme d’un enfermement prolongé et de privations. Indel se prit à penser, cependant, qu’un autre élément entrait possiblement en jeu dans la résignation de la femme. Un fait pernicieux qui la rongeait et l’empêchait de se rebiffer d’une manière plus certaine que tous les moyens coercitions imaginées par Kaelleyn. Parce que, vraiment, lorsque le Mercenaire fouillait sa mémoire, il ne se rappelait pas que les geôliers ne lui ait évoqué le moindre incident. Elle semblait accepter son sort et, par là, elle signait sa véritable condamnation. Ce n’était pas lui qui allait s’en plaindre. Il veillerait à la sonder au mieux pour confirmer ses doutes, toutefois.

Elle repoussa son plateau vers lui. Encore presque plein. Au terme d’une infime tergiversation, Indel décida qu’elle s’était assez nourrie pour qu’il décide de laisser couler. Il ne reprit pas la nourriture de suite et attendit quelques secondes pour cueillir d'éventuelles paroles. De fait, elle finit par articuler :

- Je croyais que ma mère ne voulait plus que je vois la lumière du jour. Pourquoi a-t-elle brusquement changé d'avis ? Et puis... T'es qui, toi ? Je t'ai jamais vu.

-Tu la connais mieux que moi, grogna Indel dans un haussement d’épaules indifférent, sans jamais détacher son regard de sa silhouette recroquevillée. Hors de question d’aller lui recracher les motifs ultérieurs de Kaelleyn. Au fond, la prisonnière devait bien se douter de la réponse à sa propre question. Elle détenait une mine inespérée d’informations sur les ennemis du Chaos. Elle valait, par conséquent, davantage vivante que morte. Quitte à ce que les autorités mercenaires se montrent caressantes pendant un temps pour mieux lui retirer ses privilèges plus tard. Il existait, après tout, plusieurs façons de torturer quelqu'un et Kaelleyn, en tant que mère, devait connaître par coeur sur quels leviers appuyer. Et puis, plus Indel jaugeait Elleynah, plus il s’apercevait que, même en supposant qu’elle puisse parvenir à tromper leur vigilance, elle ne fuirait pas plus loin que quelques kilomètres dans son état actuel. Les risques de la laisser sortir s'en trouvaient donc réduits.

- Est-ce que... Est-ce que je pourrais avoir un peu d'eau ? demanda t-elle encore.

Un coin de la bouche d’Indel se releva en un rictus agacé, mais il obtempéra et porta une de ses longues mains à la gourde d’eau tiédasse qu’il portait sur le flanc, à sa ceinture. Il dévissa le bouchon et la lui tendit avec parcimonie. Les gestes de la Marchombre lui parurent si incertains qu’il se demanda l’espace d’une seconde s’il n’allait pas devoir l’aider. Alors qu’elle se désaltérait, Indel s’appuya contre le mur, les bras croisés. Son attitude était tout juste un pantomime de flegme. L’impassibilité minérale et sombre sculptée sur son visage ne disparut pas à un seul moment. Pas plus que l’étincelle d’attention acérée brûlant dans ses yeux.

-Je suis Indel, révéla-t-il. Si tu ne m’as jamais vu, c’est que je n’œuvre pas pour le Conseil depuis longtemps. J’ai été l’apprenti d’Ysoba Damas. Elle, tu la connais sans doute.

Indel ne sortirait pas le grand jeu de l’affabilité doucereuse pour gagner des parcelles de confiance chez la prisonnière. Elle n’avait que des ennemis, ici. Elle ne croirait jamais à un élan de sympathie et de bienveillance spontané venant d’un Mercenaire lambda. En outre, l’extraversion était si éloignée du tempérament d’Indel qu’il peinerait à maintenir le rôle longtemps avec naturel. Non, il préférait opérer avec subtilité, à coups d’échanges prudents et guardés.

-T’as vraiment une sale gueule,
observa t-il ensuite sans chaleur, lorsqu’elle eut vidé la gourde. Tu crois que tu serais seulement capable d’aligner trois pas dehors ? Parce ça ne sert rien que je dise à Bàthory de te laisser sortir si tu ne peux pas  marcher droit.

Il se décolla du mur et reprit sa position initiale, prêt à la rattraper au besoin. Prêt aussi à attaquer aussi sec et à lui péter un bras si elle tentait quoi que ce soit.

-Lève-toi pour voir.

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Elle ignorait encore pourquoi elle se laissait envahir par cet élan de vie, inutile et futile. Se maintenir en vie, pourquoi faire ? Depuis toujours, sa vie n'était que souffrance et chaos. Elle avait rencontré de belles personnes, mais les unes après les autres, elle les avait perdues. Et celles qu'elles n'avaient pas perdues, elle leur aurait fait du tort, comme toujours. Tout ce qu'elle touchait se brisait tôt ou tard. Quoi qu'elle fasse, malgré tous les efforts qu'elle pouvait faire, elle ne savait que répandre le chaos. Si seulement Enyô, son maître, ne l'avait jamais sortie du camp des mercenaires... Tous les autres marchombres avaient raison, finalement. La maître marchombre n'aurait jamais dû lui accorder sa confiance. Mais désormais, elle ne ferait plus de tort à quiconque.

D'un geste dépourvu de vitalité, elle attrapa la gourde que le mercenaire lui tendait. Elle but sans enthousiasme, malgré le feu qui avait envahi sa gorge desséchée. Elleynah était une véritable loque humaine, et jamais personne n'aurait pu imaginer qu'elle se retrouve dans cet état. La jeune femme s'était totalement perdue, et elle se sentait incapable de se retrouver un jour. Au fil des heures, elle ne faisait que s'enfoncer un peu davantage dans l'obscurité. Elle sombrait, et elle avait presque abandonné tout espoir d'inverser la tendance. Une part d'elle-même, minuscule et fragile, désirait encore se battre et s'en sortir, mais elle était peu à peu étouffée par tout le reste.

-Je suis Indel. Si tu ne m’as jamais vu, c’est que je n’œuvre pas pour le Conseil depuis longtemps. J’ai été l’apprenti d’Ysoba Damas. Elle, tu la connais sans doute.

Elleynah releva la tête, et plongea son regard brun et terne dans celui d'Indel. Ainsi donc, il était le nouveau jouet de sa mère. Elle s'était toujours vite lassée de ceux qui travaillaient pour elle. Peut-être qu'il aurait plus de chances que certains de ses prédécesseurs. Pour la première fois, elle le détailla réellement, observant son visage qui aurait pu être beau sans les lueurs qui brillaient dans son regard. Son corps fin et musclé était sans doute le résultat de centaines d'heures d'entraînement intensif. Un entraînement qu'elle avait elle-même connu dans sa jeunesse, et qu'elle avait poursuivi sous une forme qui n'était pas si différente. Mercenaires du chaos et marchombres. Harmonie et chaos. Ennemis jurés, et pourtant intimement liés les uns aux autres. Pendant longtemps, Elleynah avait été incapable de comprendre l'aversion que les uns éprouvaient pour les autres, tant la frontière entre les deux pouvait être ténue. Et pourtant.

Et pourtant le temps avait passé, et Elleynah était totalement perdue au milieu des secondes qui défilaient. La mention d'Ysoba n'arrangeait rien. Elle avait été une amie de son père, et Elleynah avait passé du temps avec elle, lorsqu'elle était enfant. Peut-être qu'elle aurait fini par la prendre sous son aile. Ou peut-être aurait-elle eu un autre maître. Elle serait devenue une excellente envoleuse, à la hauteur des attentes de ses parents, et elle n'aurait pas déçue ceux avec qui elle avait grandi. Jamais elle n'aurait accédé aux secrets de la Voie qui avait été la sienne, mais elle aurait évité tant de souffrances inutiles... Elle n'avait probablement jamais été réellement faite pour arpenter la Voie du marchombre. Pourtant, Enyô l'avait choisie et guidée... Elle n'avait pas pu se tromper à ce point. Ou peut-être que si. Une ombre traversa son regard, mais elle fut bien vite chassée. Cela n'avait plus d'importance. Elleynah reporta la gourde à ses lèvres, vidant l'eau jusqu'à sa dernière goutte, comme si elle avait voulu s'y noyer.

-T’as vraiment une sale gueule. Tu crois que tu serais seulement capable d’aligner trois pas dehors ? Parce ça ne sert rien que je dise à Bàthory de te laisser sortir si tu ne peux pas marcher droit. Lève-toi pour voir.

Elleynah hésita un instant. Elle tourna la tête vers l'unique fenêtre de la pièce, qui avait été soigneusement barricadée, mais qui laissait tout de même passer quelques rayons de soleil timides. Elle se savait faible, dépourvue de force, d'énergie et de volonté, mais peut-être que l'air frais lui ferait du bien. Après tout, elle n'avait plus rien à perdre. Avec toujours la même lenteur, elle déplia ses jambes nues, révélant les stigmates récents et rougeoyants de son séjour auprès de sa mère. Elle posa ses deux pieds à plat sur le sol, et après quelques secondes, elle donna une impulsion molle et sans aucune vitalité, pour se redresser. Pendant les premières secondes, ses appuies semblèrent fragiles, et elle donna l'impression d'être si faible qu'une bourrasque de vent un peu trop forte pourrait la casser en deux. Elle était brisée.

Et puis, les choses changèrent presque imperceptiblement. Elle donnait toujours l'impression d'être extrêmement fragile, mais Elleynah savait qu'elle ne tomberait pas. Etrangement droite, et avec une grâce qui n'appartenait qu'à elle, elle commença à faire quelques pas dans la pièce. Ils étaient hésitants, mais elle tiendrait bon. Elle n'avait que faire de pouvoir sortir ou non, mais la dernière lueur d'espoir qui demeurait tout au fond d'elle lui interdisait de laisser passer cette chance qui serait peut-être unique. Bien évidemment, elle ne s'enfuirait pas. Elle n'en avait ni l'envie ni la force. Mais au fil de ses pas, la jeune femme sembla s'ouvrir, et une bribe de lumière éclaira son visage. Fugace, presque invisible, mais présente.

- Alors, je marche droit, ou c'est pas assez convaincant pour toi ?

En d'autres circonstances, la marchombre aurait dit cette phrase sur un ton provocateur, avec un sourire au coin des lèvres. Ici, elle se contenta de poser la question d'une voix monotone et faible, le regard fuyant. Elle se tenait toujours droite, et malgré son état pitoyable, l'on pouvait apercevoir le fantôme d'une force paisible qu'elle avait toujours possédé. Sans doutes était-ce les vestiges d'un passé qui n'avait plus d'importance pour elle, à ce moment précis. Elle arriva au bord de son lit et s'appuya tant bien que mal sur la partie en bois qui formait son squelette.

- Si j'avais voulu fuir, j'aurais tenté quelque chose depuis longtemps. Et puis, j'ai à peine la force de me tenir debout. Je ne suis même pas certaine de faire le poids contre un seul de vos apprentis.

A l'entente de cette vérité qu'elle n'avait pas encore accepté au fond d'elle-même, ses épaules s'affaissèrent légèrement. Pour la première fois, elle sembla réellement abattue, et son être tout entier ne devint que tristesse. Aussi vite qu'elle avait semblé s'ouvrir, elle se referma entièrement, pour ne laisser la place qu'à la loque humaine qu'elle était devenue.

- De toutes façons, ça n'a pas d'importance. Plus rien n'a d'importance, murmura-t-elle davantage pour elle-même que pour Indel.

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La Marchombre se leva avec lenteur du fauteuil, dressée comme une acrobate de misère dans la pénombre. Indel prit âprement conscience qu’il regardait en cet instant une femme évoluant sur une corde raide, au-dessus du gouffre du désespoir véritable. La seule main qui pouvait encore se tendre si elle tombait demeurait la sienne. Or, Indel n’envisageait plus d’esquisser le moindre geste bienveillant. Il se tenait à une extrémité de la corde, à l’arrivée, et il gardait à l’esprit qu’il n’était là que pour allonger le parcours et le semer de pièges. Sans même s’en rendre compte, le Mercenaire serra les dents et attendit. Concentrée pour trouver un semblant d’équilibre, la Marchombre ne sentit sans doute pas la vague agitation dans le sang de son geôlier, circulant sous son immobilité de statue.

Elle resta un instant debout avant de tenter la traversée. Puis, avec une insigne maladresse, elle entreprit d’avancer.

Devant le spectacle pitoyable de la prisonnière, si une quelconque once de commisération animait encore Indel, elle était brûlée dans la fournaise d’un cœur hostile. Il acceptait sans réels regrets de devenir comme ça. Charognard qui observe avec distance les premiers pas tremblants d’un faon, aux ordres d’un clan pour lequel il jurait une allégeance sans failles.

Précautionneusement, Elleynah aligna les pas. Un après l’autre. Pour Indel, la dense grisaille de la pièce parut se mouvoir avec elle et se charger de quelque chose de nouveau. Une teinte de clarté, peut-être. Un souffle d’azur. Avant qu’il ne comprenne ce dont il s’agissait vraiment, et encore moins qu’il ne l’accepte chez la prisonnière, l’impression  disparut. Pour attentif qu’il soit,  Indel ne voyait déjà plus assez en couleur pour repérer l’étincelle fugace, tremblante, d’espoir qui s’était invitée dans la pièce. Les derniers soubresauts de la grâce Marchombre sur le dernier mètre, par contre, il n’avait pu y manquer. Un Mercenaire comme lui apprenait très tôt à se tenir à l’affût de la marque de l’ennemi. Il s’agissait de reflets, pourtant. Rien d’autre. L’essentiel avait été brisé par le Chaos ambiant.

- Alors, je marche droit, ou c'est pas assez convaincant pour toi ?


À présent, la femme se tenait agrippée à la structure de son lit comme une naufragée à son radeau, épuisée par l’effort. Ça, Indel le comprit très bien. D’autant qu’il ne trouva pas la note d’arrogance qu’aurait pu accompagner de telles paroles.

-Ça ira, se contenta t-il de rétorquer, sans parler de la performance de la Marchombre, mais pluôt de sa propre satisfaction quant à ce qu’il avait glané. Il allongea le bras, récupéra sa gourde vide restée sur une table basse près du fauteuil aux couleurs passées, la replaça à son flanc. Presque par inadvertance, ses doigts passèrent sur  le petit poignard qu’il tenait dissimulé sur lui. Sans relâcher sa vigilance, il se détendit un instant et réfléchit. Elleynah n’avait plus de résistance physique à opposer. Plus du tout. Même lui pouvait se rassurer. Avec un détachement las, Elleynah poursuivit et, tout de suite, Indel comprit qu’elle s’adressait à part elle. Il n’en écouta que davantage, sachant que les paroles dites pour soi-même à voix haute recelait souvent une part intime de vérité.

- Si j'avais voulu fuir, j'aurais tenté quelque chose depuis longtemps. Et puis, j'ai à peine la force de me tenir debout. Je ne suis même pas certaine de faire le poids contre un seul de vos apprentis. De toute façon, ça n'a pas d'importance. Plus rien n'a d'importance.

Il n’y avait que les lâches et les condamnés à mort pour parler de cette façon avec sincérité. Indel savait, dès à présent, ce qu’il demeurait de sa force morale. Il l’avait entraperçu en entrant dans la pièce, au fond, mais il en détenait maintenant la confirmation. Elleynah avait conscience d’avoir perdu. Elle avait abandonné toute lutte. En fait, pour aujourd’hui, il ne tirerait sans doute plus rien d’elle. Par acquis de conscience, il promena un ultime regard lent sur la pièce, à la recherche d’une arme bricolée ou d’un allié improbable, fantasmé dans les ombres. Il ne trouva rien, bien sûr. Enfin, il récupéra le plateau de nourriture.

-Je vois…, marmonna t-il, acerbe. Tu aurais dû manger plus que ça, tu sais. Tant qu’on te sert encore quelque chose de soutenant. Ça, je te jure que ça finit par avoir de l’importance.  

De manière délibérée, il ne lui partagea rien de ce qu’il comptait dire sur son compte à son Envoleuse de mère. L’incertitude était parfois un poison, et il veillerait à en doser les effets pour s’assurer de garder la main haute. Mais il savait par avance que la patronne se montrerait satisfaite.

-Reste bien sage, acheva t-il dans un avertissement équivoque, où il était impossible de savoir s’il détenait une touche cruelle de moquerie ou non. Il l’abandonna à elle-même et sortit, referma à double-tour la porte de bois noir. Dehors, un Mercenaire chargé de guarder l’entrée et qui, visiblement, s’emmerdait ferme, jeta un regard inquisiteur en sa direction.

-Prépares-toi à voir cete enflure Marchombre hanter les couloirs prochainement, dit Indel en réponse à sa question silencieuse. Et rappelle-moi de ne jamais contrarier Kaelleyn.

-On ne la récupérera pas. Qu’est-ce Báthory espère, au fond ? La reconvertir en Mercenaire ? Pour récupérer des informations sur nos ennemis ? La belle affaire…. Il vaudrait mieux la torturer un bon coup et en finir avec elle.

-Et tu crois qu’il se passe quoi dans cette chambre ?


C’est avec déférence, ce soir-là, qu’Indel communiqua  à Kaelleyn Bathory ce qu’il avait observé chez Elleynah, soit qu’elle ne représentait pas une menace. Elle avait été oubliée par ceux pour qui elle avait trahi et leur appartenait désormais complètement. La laisser dans une cage si étroite, par contre, l’étoufferait avant qu’ils n’en ait tiré quelque chose d’utile. Ça, c’était une certitude.

***

Indel revint au bout d’un temps qui se calculait en jours, mais qui dut paraître indéfini à Elleynah. Il ouvrit la porte, la tint grande ouverte, puis sans un mot, il s’écarta d’un pas sur le côté. La lumière du clair-obscur inonda la pièce. Pour eux deux, les véritables épreuves allaient commencer.  Ni l’un ni l’autre n’était dupe.

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Elleynah n'avait plus offert une seule autre parole à Indel. Elle avait montré ce qu'elle était capable de faire, elle avait dit ce qu'elle était capable de dire. L'étendue de ses forces s'arrêtait quelque part ici. La marchombre qui n'en était plus vraiment une était vidée, et c'est à peine si elle eut conscience du départ de l'envoleur. Qu'il soit là ou non ne changeait rien pour elle. Rien du tout. Il n'était qu'un autre fantôme qu'elle pouvait parfaitement avoir imaginé dans son esprit, et qui lui avait proposé une sortie qui ne viendrait jamais. Une autre ruse de sa mère pour la torturer, psychologiquement cette fois ? Ca n'avait pas d'importance. Le grand air ne manquait pas à Elleynah. Ou peut-être que si. Elle ne savait pas très bien. Après les efforts fournis pour Indel, elle ne put que retourner s'allonger sur le lit dans lequel elle avait passé ses nuits d'enfant, se rouler en boule, et attendre une mort qui ne viendrait pas.

Elleynah ne voulait pas mourir. Dans de rares moments de lucidité, elle se souvenait pourquoi elle était revenu là où tous ses cauchemars puisaient encore leur source. Mais ces moments ne duraient jamais, et ils n'étaient jamais suffisamment puissants pour surpasser tout le reste. Alors, inlassablement, elle finissait par oublier qui elle était. Quelle importance de toutes façons ? Ca vie n'avait plus grande valeur, désormais. Elle n'en avait jamais vraiment eu. La marchombre fermait les yeux et se laissait bercer par quelques certitudes insipides qui se frayaient un passage de plus en plus grand dans son esprit torturé. A quoi bon lutter ? Elle ne sortirait sans nul doute jamais d'ici. Quelle que serait sa mort, elle serait infiniment plus paisible que la vie qu'elle avait mené. Mais méritait-elle vraiment la paix ?

Au fil des secondes, des minutes, des heures qui passaient, Elleynah perdit la notion du temps. Lorsqu'elle sentait une pointe de vitalité revenir à elle, elle la mettait à profit pour se lever un peu, faire quelques exercices d'assouplissement qui lui tiraient à chaque fois une grimace de souffrance, méditer sur ce qui était en train de lui arriver. Plus le temps passait, plus elle se sentait faible, et plus le délai entre deux séances de "survie" grandissait. Ca n'était pas évident pour elle de se motiver à faire des gestes qu'elle n'avait plus la force de faire, et qui avaient de moins en moins de sens à ses yeux. Comme si une part d'elle espérait encore pouvoir s'en sortir. Ridicule. Pourquoi était-elle venue ici, déjà ? Elle ne se souvenait plus vraiment.

Lorsque le bruit de la clé dans la serrure raisonna à nouveau dans la pièce, Elleynah mit un moment à réaliser qu'il ne s'agissait pas d'un autre tour joué par son esprit malade. Les yeux écorchés par la lumière s'invitant dans l'obscurité de son quotidien, elle fut obligée de mettre une main devant son visage pour pouvoir s'y habituer. Lentement, elle se retourna dans son lit, pour faire face à l'ouverture qui lui ouvrait les bras. Elle crut vaguement reconnaître la silhouette d'Indel, et comprit avec stupéfaction qu'il l'invitait à sortir. Etait-ce un piège ? Rien n'était moins sûr. Elle avait fini par perdre espoir qu'il revienne un jour la chercher. Sa mère avait-elle vraiment fini par accepter qu'elle sorte ? Peu importait. Si elle devait se faire encore torturer, et bien soit. Si non... Elle ne pouvait décemment pas laisser s'échapper une chance de revoir le soleil.

Elleynah eut le plus grand mal à se redresser sur son lit. Elle avait encore maigri depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus - et pour cause, on ne lui donnait quasiment rien à manger. Elle dut s'appuyer sur l'armature en bois de son lit pour pouvoir se redresser. Jamais au cours de son existence elle ne s'était sentie aussi faible, et pourtant, elle réussissait toujours à puiser une force qui lui échappait. Un pas après l'autre, elle finit par atteindre l'encadrement de sa porte. Elle s'aida du mur pour rester debout, et s'habituer à la forte lumière qui inondait le reste de la maison. A son arrivée, elle n'avait pas réellement eu l'occasion d'observer les lieux. Elle sentit son coeur se serrer lorsqu'elle remarqua que tout était resté absolument comme dans ses souvenirs. Rien n'avait bougé, comme si Kaelleyn avait dressé un empire de fantômes en mémoire de son mari et de sa fille.

Le mercenaire qui gardait sa porte lui offrit un regard mauvais et s'autorisa à lui cracher dessus. La marchombre n'y prêta pas attention. Elle savait qu'elle n'était pas la bienvenue ici, et que si elle ne mourrait pas, c'était uniquement à cause de la peur inspirée par les potentielles représailles de Kaelleyn. Elleynah plongea son regard épuisé dans celui d'Indel, prit une grande inspiration et lâcha l'encadrement de la porte pour essayer de se tenir debout par elle-même. Son équilibre était précaire, mais s'ils n'allaient pas trop vite, elle pourrait parvenir à marcher un peu.

- Je peux vraiment sortir d'ici ?

La marchombre parlait bien évidemment de sa chambre, et non pas du camp des mercenaires. Elle savait qu'elle ne sortirait pas du camp vivante. Elle y était déjà résolue depuis un moment. C'est alors que la voix du mercenaire qui gardait sa porte s'éleva. Elleynah ne le connaissait pas. Il faisait parti de ceux qui avaient été recrutés après son propre départ, et qui, par conséquent, ne savait pas tout de son histoire. Il ignorait peut-être en partie pourquoi elle avait le droit à ce traitement de faveur, même si ça filiation avec Kaelleyn ne devait être un secret pour personne.

- Donne-moi une seule occasion, pourriture de marchombre, et je te tue de mes propres mains. J'en meurs d'envie, alors tente moi...

Elleynah ne tourna pas même la tête vers lui. Il n'était personne à ses yeux, et elle n'avait pas de temps à perdre avec lui. Enfin, dans les faits, elle avait tout le temps du monde à perdre avec lui. Mais elle n'avait pas envie de perdre sa visite au grand air pour un imbécile prétentieux qu'elle aurait sans doute eu les capacités de tuer sans la moindre difficulté. Si elle n'avait pas été dans cet état lamentable, cela allait de soit. Apparemment agacé par son manque de réaction, le mercenaire se leva et s'approcha de la marchombre. Il lui asséna une légère tape sur le bras, qui n'aurait pas dû avoir de grosses conséquences sur une personne lambda, mais qui, sur le corps fragilisé d'Elleynah, eut l'impact d'un coup de poing.

- Eh, je te parle, traitresse !

Elleynah, déséquilibrée par le coup donné par le mercenaire, bascula en avant et s'étala de tout son long sur le sol. Un long sifflement retentit à ses oreilles, et une douleur sourde l'envahit. Elle avait fait une mauvaise chute, sur ses côtes brisées, sur ses plaies ouvertes et suintantes. Pendant un instant, elle crut qu'elle ne pourrait jamais trouver la force de se relever. Le monde était flou autour d'elle, et des ombres se dessinaient avec une étonnante précision. Sa tête tournait, et le choc lui avait coupé le souffle. En un geste presque désespéré, elle releva la tête, pour voir les rayons du soleil se dessiner à travers une des fenêtres de la pièce principale. Son coeur bondit dans sa poitrine. Il fallait qu'elle voit ça de plus près. Il fallait qu'elle se relève.

Sans savoir comment, Elleynah trouva la force qui lui manquait. Elle rampa jusqu'au mur, et s'aidant de tout ce qui était à sa disposition, elle se redressa progressivement. Les meubles lui servirent d'appuis, le mur de soutient. Lorsqu'elle parvint à se remettre debout, elle tituba sur quelques mètres, faillit retomber sur le sol dur et froid, mais elle tint bon. Elleynah avait beau être brisé, elle restait forte, sans même savoir où elle puisait encore cette force qui la maintenant pourtant en vie. Pas à pas, hésitante et chancelante, la marchombre s'approcha de la porte d'entrée. Plus rien n'existait, à part les rayons du soleil qu'elle avait aperçu et le besoin pressant de les sentir contre sa peau glacée.

Lorsque sa main se posa enfin sur la poignée, elle marqua un moment d'hésitation. C'était comme si elle craignait que le rêve ne se brise à tout instant, comme si la réalité pouvait la rattraper et la clouer encore plus profondément dans sa prison couleur néant. Elleynah prit une inspiration aussi grande que possible, tiqua très légèrement sous le coup de la douleur, et fit tourner la poignée. Elle donna une légère impulsion à la porte pour qu'elle s'ouvre, et devant ses yeux presque apaisés, le soleil s'offrit à elle. La marchombre resta impassible, ferma ses paupières, et pendant un temps qui lui sembla infini, elle laissa la chaleur du grand astre caresser sa peau.

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La Marchombre ne parvenait pas à résister à l’invitation, à l’appel d’une liberté en toc, mystificatrice et coupe-gorge. Elleynah s’approcha avec lenteur et une infinie prudence. En arrivant à la hauteur d’Indel, elle plongea son regard dans le sien, comme si elle cherchait en lui une forme de soutien avant de sauter le pas. Cours toujours, paria… À ce stade, tu devrais avoir compris que tu étais seule. Son expression demeura impassible.

Elle finit par le dépasser pour être accueillie par la morgue du Mercenaire qui gardait sa porte. Il cracha à ses pieds, l’apostropha avec virulence, hostile. Il défoulait Indel par procuration, d’une manière tacite. De fait, il n’intervint pas lorsque l’homme la bouscula, leva la main pour calmer le jeu qu’une fois la Marchombre étalée par terre. Pitoyable. Le garde ricana et ils la regardèrent ensemble se traîner comme un animal dont on aurait cassé les reins. Une bouffée brusque de haine enfla dans la gorge d’Indel, comme si elle avait attendu que les jours aient passés et que l’examen de la situation de la Marchombre soit complété avant de le prendre d’assaut dans toute sa violence. Il revoyait son père infirme, dans une position semblable, sur la terre battue de leur cabane décrépite. Incapable de se relever, souillé de déjections, dépendant de son fils désemparé pour tout. Isolé par son refus de toute aide extérieure.  

Pour se soustraire au sentiment soudain d’étranglement, le Mercenaire aurait voulu attraper Elleynah par les cheveux et la fracasser contre le sol. Se livrer à un passage à tabac sanglant avec son acolyte, qui ne demanderait pas mieux. Comment pouvait-on accepter de se retrouver plongé dans une misère pareille ? Rampant et vaincu, satisfait du rôle du malheureux à plaindre. Lui, jamais. Jamais il n’en arriverait là. Acculé au pied du mur, il continuerait à montrer les dents et à déchiqueter les gorges qui passeraient à sa portée. Ou alors il trouverait le moyen de se donner la mort, en une injure dédiée aux tortionnaires. Elle, elle n’avait pas conservé pas ce genre de cran. Elle avait trahi et était revenue pour que quelqu’un l’achève. Parce que c’était la mort qu’elle espérait trouver ici, n’est-ce pas ? Il en prenait véritablement conscience à présent. À aucun moment, elle ne s’était attendue à obtenir un pardon après avoir fait acte de contrition. Pas chez les Mercenaires, pas auprès de sa mère. Il avait oublié qu’elle les connaissait mieux que lui.

Semblable à un grand épouvantail qui aurait pris vie dans le but unique de broyer la prisonnière, il s’avança d’un pas, mais s’immobilisa avant de commettre un geste que Kaelleyn lui aurait fait regretter. Il se força à retrouver une tête froide, le cœur sombre comme un puits, battant. Il pouvait patienter. Une de ses forces résidait là. Il était capable d’attendre que la ruine fleurisse et fasse son œuvre. La destruction s’orchestrait parfois avec finesse, elle demandait du temps. En militant du Chaos, il avait intégré cette notion paradoxale.

Au terme de lourdes minutes, la prisonnière parvint contre toute attente à se relever, chancelante, puis à ouvrir d’elle-même la porte qui donnait sur l’extérieur. Aussitôt, Indel s’immisça dans son dos comme une ombre, tandis qu’une lumière d’or blanc inondait l’entrée. Cette sortie pouvait représenter un coup de grâce dans le cœur de cette femme et Indel se concentra sur cette idée. Émue, éblouie, elle parlerait. Il s’appliquerait à la secouer un peu, à la sortir de son apathie et, ensuite, Kaelleyn se repaîtrait de ce qui resterait.

D’une main contre son omoplate, il la poussa dehors avec plus de rudesse qu’il ne l’avait escompté, la maintint de justesse debout au moment où elle vacillait.

-Doucement, fit-il avec un calme cassant, s’adressant, dans les faits, à lui-même. Ils avancèrent à l’intérieur du camp. Indel ignorait à quel point les lieux avaient changé depuis l’époque d’Elleynah. Pour sa part, il n’était Mercenaire du Chaos à part entière que depuis un an. Il considérait cet endroit comme un repère, pas encore comme un bercail véritable. Ça viendrait. Il éprouvait encore le besoin de faire ses preuves et ses marques. Chose certaine les paysages environnants demeuraient dissimulés à la vue par de hautes palissades hérissées, des râteliers d’armes étaient disséminés près de grands cercles recouverts de poussière, destinés à l’entraînement. Quelques bâtiments s’élevaient ça et là. Le caractère revanchard, presque militaire, de l’endroit crevait les yeux. À chaque séjour ici, Indel remarquait une odeur de corps en décomposition dans l’air, jamais assez forte pour qu’il s’en trouve indisposé, mais persistante. Il existait des cachots et des tunnels sous la terre qu’ils foulaient. Elleynah avait eu de la chance pour l’instant de ne pas y être aboutie. Indel savait que le camp n’avait pas encore l’ampleur et la prestance de celui que leurs prédecesseurs avaient pu bâtir pour eux-mêmes à l’époque d’Ewilan et qu’il ne pouvait prétendre au titre de Cité. Pourtant, il croyait dur comme fer en son potentiel et se jurait de le protéger envers et contre tout.

Les doigts refermés sur le bras frêle de la femme pour éviter qu’elle ne s’effrondre à nouveau devant lui, il la guida dans un coin plus à l’écart, jusqu’à une petite source d’eau glaciale qui émergeait d’un haut roc pour s’écouler dans un bassin naturel aussi noir et lisse que l’obsidienne.

-Kaelleyn a ordonné une demi-heure. Pas plus,
annonça t-il.

Il planta la prisonnière devant l’eau pour qu’elle puisse s’y abreuver ou s’y rafraîchir si elle le désirait, puis s’éloigna de quelques pas pour appuyer son dos contre un arbre noueux. Avec stoïcisme, pour s’occuper les mains, il tira un long poignard qu’il caressa à l’aide d’une pierre à aiguiser. Ses gestes, lents et appliqués. Son attention dirigée sur elle et les alentours sans en avoir l’air.

-Il faudra que tu m’expliques pourquoi tu as décidé de revenir ici,
grinça t-il au bout d’un moment, faussement détaché mais sincère quant à son interrogation. Il lui jeta un regard de biais. Qu’est-ce que t’as fait pour qu’ils cessent de vouloir de toi et pour que personne ne songe à venir te chercher ? Parce qu’aucun de tes petits amis ne se dérangera, n’est-ce pas ?

Le chuintement métallique de la lame contre la pierre murmurait entre eux, sous le clapotement serein de la petite cascade.

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Elleynah n'était plus qu'une poupée de chiffon, malmenée par des enfants capricieux et méchants. Ces mêmes enfants qui arrachaient les ailes des mouches avec un plaisir sadique et qui regardaient la mort dans les yeux dès qu'ils le pouvaient. Pour la marchombre, ça n'avait pas d'importance. Elle connaissait les mercenaires du chaos, et toute son enfance, c'est elle qui avait eu le rôle de la fillette mauvaise qui se délecte de la souffrance des autres. Elle se fit la réflexion fugace que l'homme qui la poussait et se croyait si fort n'aurait pas fait autant le malin s'il l'avait connue avant. Puis, son esprit retomba dans cette même torpeur sans fond, et elle se laissa guider par les mains sales d'Indel. Elle avait la sensation qu'il souillait son corps et son âme avec un plaisir malsain, et que, s'il serrait son bras avec un peu trop de force, il n'aurait pas la moindre difficulté à le briser.

Les yeux de la marchombre mirent un moment avant de s'habituer à la vive lumière qui inondait l'extérieur. L'obscurité était restée avec elle depuis son arrivée, parfois réconfortante, souvent oppressante. Pendant des jours entiers elle avait cru qu'elle ne reverrait jamais le ciel, qu'elle ne sentirait plus le vent sur sa peau, ni la terre sous ses pieds. Et pourtant elle était là, et elle découvrait avec stupéfaction que le monde ne s'était pas réellement effondré. Il restait un espoir fugace et étranger qui pouvait encore l'animer et la sortir de sa torpeur morbide. Lorsqu'ils arrivèrent devant le bassin naturel, Elleynah demeura immobile pendant un moment, observant le mouvement hypnotique de l'eau.

- Kaelleyn a ordonné une demi-heure. Pas plus.

Une demie-heure. C'était à la fois atrocement court et infiniment plus que ce qu'elle avait pu espérer. Lentement, la marchombre entreprit de se déshabiller. Elle laissa sa robe trouée, sale et trop grande pour elle glisser sur le sol, dévoilant son corps meurtri, couvert de cicatrices et de blessures terriblement laides. Elle n'avait que la peau sur les os, et pourtant, elle n'avait rien perdu de cette beauté sauvage qui la caractérisait depuis son enfance, et qu'elle avait hérité de sa mère. La jeune femme avança prudemment dans l'eau, jusqu'à ce que le liquide lui arrive au niveau des épaules. Le contact glacial sur sa peau abîmée lui fit un bien fou. Elle ferma les yeux et se laissa bercer par le bruit apaisant et la caresse de l'eau. Cela faisait des semaines qu'elle ne s'était pas sentie aussi vivante.

Elle avait la sensation d'être revenue plusieurs années en arrière, lorsqu'elle avait appris à apprécier les sensations que le monde pouvaient lui offrir, aux côtés de son maître. A l'époque, elle luttait déjà avec rage contre l'ambivalence qui s'emparait de son coeur et qui menaçait de la faire sombrer à tout instant. La marchombre ne pouvait s'empêcher de se demander où elle serait à ce moment précis, si son maître n'était pas morte. Serait-elle quand même revenue dans le camp des mercenaires ? Ou aurait-elle réussi à apprivoiser ses démons, pour le faire taire définitivement ? Elle ne le saurait sans doute jamais, et ça n'avait de toutes façons plus d'importance. Elle allait mourir ici, et pouvoir rejoindre ceux qu'elle avait tant aimé et qui s'étaient éteints, les uns après les autres.

- Il faudra que tu m’expliques pourquoi tu as décidé de revenir ici. Qu’est-ce que t’as fait pour qu’ils cessent de vouloir de toi et pour que personne ne songe à venir te chercher ? Parce qu’aucun de tes petits amis ne se dérangera, n’est-ce pas ?

La voix d'Indel la fit frémir. C'était, tout comme le chuintement de sa lame, un son qui lui rappelait à quel point elle était vulnérable et faible. Elleynah avait toujours été quelqu'un de fort, de déterminé et de combatif. Mais les choses avaient changé, et chaque jour qui passait la rendait davantage abattue et affaiblie. Pourtant, il y avait quelque chose qui l'empêchait de sombrer totalement, tout au fond de son coeur. Elle y avait de moins en moins accès, et n'en avait pas même conscience, mais tant que cette dernière étincelle ne s'éteindrait pas, il y aurait un espoir pour elle. Lentement, Elleynah se tourna, pour faire face au mercenaire du chaos. Elle planta son regard terne dans celui de l'homme, et resta silencieuse pendant quelques instants, avant de détourner les yeux.

- Quelle importance ? Je n'ai plus la moindre raison de partir d'ici, c'est tout ce qui compte.

Elleynah ne comptait pas s'étaler sur sa vie, et encore moins sur ce qu'elle ressentait. Même s'il n'y avait plus rien qui pourrait lui nuire, elle parvenait à avoir assez de lucidité pour savoir que les mercenaires du chaos étaient des êtres dangereux, et qu'en temps normal, il serait de bon ton de s'en méfier. A ce moment précis, elle s'en moquait tout particulièrement. Elle avait perdu tout ce qui lui importait, elle ne reverrait jamais ses proches et elle était coincée dans cette endroit jusqu'à ce que quelqu'un trouve la bonté nécessaire pour l'achever. C'était ainsi qu'elle voyait la fin de sa vie : dans cet endroit où elle était née, qu'elle avait fuit par nécessité, et qui avait fini par la rattraper, avec une violence contre laquelle elle ne pouvait pas lutter.

- L'amour rend faible, Indel. Ma mère avait raison, finalement. J'aurais dû le comprendre depuis déjà bien longtemps.

Un sourire dur apparut sur le visage de la marchombre qui n'en était plus vraiment une. Elle-même était incapable de savoir si elle croyait vraiment aux paroles qu'elle avait dit ou non, mais la balance penchait de plus en plus du mauvais côté des choses. Elle se faisait progressivement avoir par ses démons, par ses sentiments et par la douleur qui n'avait laissé qu'un trou béant dans sa poitrine. Elle prit une grande inspiration, et d'un seul coup, elle disparut sous l'eau. Être totalement immergé lui fit encore plus de bien que lorsqu'elle s'était enfoncée dans la source au départ. Elle eut l'impression, pendant un instant, d'être totalement en dehors de la réalité. Elle hésita à se laisser simplement couler, pour ne plus jamais revenir, mais quelque chose l'en empêcha. Finalement, elle refit surface.

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Indel vit la prisonnière se dénuder sans en frémir. À ses yeux. il s’agissait d’une nudité pâle et écorchée, celle associée à l’humiliation. Pas à la familiarité. Encore moins à l’érotisme. De toute façon, elle ne ressemblait à rien d’autre qu’une forçat, même s’il devinait tout de suite la combattante qu’elle dû incarner à peine quelque mois plus tôt. Il n’éprouvait aucune pitié à son endroit, mais à présent, il gardait sa hargne à distance.

Il se contentait d’observer avec le sérieux propre aux veilleurs, alors que l’air se tenait immobile et qu'une fraîcheur diffuse étendait son règne en ce début de matinée, qui rendait les baignades soit plus cruelles, soit plus gratifiantes, selon la force de caractère du nageur.

Avant de s’immerger et de disparaître dans l’eau noire, Elleynah demeura un instant silencieuse à lui renvoyer un regard éteint.

- Quelle importance ? Je n'ai plus la moindre raison de partir d'ici, c'est tout ce qui compte, opposa t-elle allusivement à ses questions.

Contrarié par la stérilité de la réponse, Indel se retint de grogner en reportant son attention sur l’affilage de son poignard. Ce genre de défaitisme gris lui portait sur les nerfs, même s’il signifiait que la prisonnière avait été matée. Elleynah n’était pas dupe, comprit-il. Il ne personnifiait peut-être pas un geôlier agressif, du moins pas frontalement, mais elle continuait de se méfier de lui. Il aurait fait pareil, à sa place. Il faisait toujours pareil, à vrai dire, même dans les circonstances les plus douces et les plus souriantes. Il allait donc devoir continuer à la pousser pour lui arracher ses secrets, avec beaucoup de patience et d’acharnement. Mais c’était son style, au contraire de celui brutal et débordant de Kaelleyn. On l’avait mandaté et choisi pour cette raison, d’ailleurs. Lui, le jeune loup désireux de démontrer sa valeur, ancien élève de la mythique Ysoba Damas. Il ne décevrait pas.

- L'amour rend faible, Indel. Ma mère avait raison, finalement. J'aurais dû le comprendre depuis déjà bien longtemps.


Indel suspendit ses gestes à ces mots, braqua son regard sur la Marchombre et eut tout juste le temps d’attraper son sourire en granit avant qu’elle ne plonge dans le bassin. Le Mercenaire demeura interdit, puis quitta en de longues enjambées sa position près de l’arbre pour aller rejoindre le bord de l’eau, son poignard toujours à la main. Il s’accroupit et trouva la silhouette de la Marchombre brouillée sous l’eau de l’étang, comme s’il la regardait par-delà le fond d’une bouteille. Il plissa les yeux, aveuglé par les miroitements de lumière claire. Il se demanda, vaguement offensé, si elle ne se foutait pas un peu de lui avec ses répliques ambiguës. Dans le doute, il considéra que oui, mais, dans l’immédiateté de l’instant, il prit compte qu’elle touchait quand même à une vérité universelle. L’amour rend faible. La condition humaine se basait là-dessus. Indel avait intégré la leçon au même titre que bien d’autres sales types et plusieurs blanc-becs ingénus. L’amour rend faible. Et désespéré. Et irrationnel. Et vile. Tout le monde est broyé dans une mesure ou une autre. Tout le monde finit par en mourir à la fin. Tout le monde n’en est transcendé que pour un très court instant. Il en éprouvait une rage profonde, presque fondatrice.  

Alors, comme ça, cette Marchombre n’y avait pas échappé… Dans une prise de conscience coupante, il venait de saisir de quoi toute cette histoire en retournait.

-C’est une question d’amour, alors ?
lâcha t-il à son intention lorsqu’elle refit surface après un trop long moment. J’aurais dû le comprendre dès le début. Tu t’es écorché le cœur, là dehors, et c’est ce qui t’as fait revenir…

Sans prévenir, il plongea le bras dans l’eau, assez agile et fort pour ne pas basculer et boire la tasse, il repêcha sans mal la femme tant elle était apathique et amaigrie, puis, sans ménagement, la mit à sa hauteur pour la forcer à le regarder dans les yeux.

-Je te jure que je connais la chanson,
assena t-il, ses doigts refermés en étau sur elle. À un moment, faire face à soi-même devient intolérable. Tout plutôt que de sentir la culpabilité te dévorer vive, hein ? Autant laisser ta mère se charger de ton cas. Autant crever…

Il émit un ricanement désabusé, puis la relâcha brusquement, secoua la main pour en enlever les gouttes d’eau. Il gronda, sardonique :

-Sauf que t’as réussi qu’à te coincer ici. C’est bien joué.

Il la fixa un quart de seconde, conscient que la patience qui lui collait d’habitude à la peau menaçait de passer à la trappe. Mise à nue, face à lui, il aurait cru être lui-même blindé vis-à-vis les tenants et aboutissants de cette vaste plaisanterie. Or, il se trompait. Il savait bien qu’il se trompait.

-La personne qui a causé ta perte, au final, c’était qui ?
fit-il avec une neutralité improbable, s’avançant d’un pas pour que son visage ne se trouve qu’à quelques centimètres du sien. Un amant ? Toute ta précieuse guilde ? À moins que ce soit la personne qui t’as poussée à t’enfuir pour commencer ? Ne t’avise pas de me dire que ça n’a pas d’importance, je sais quand on me ment.

descriptionAvant l'orage [Indel Valaom & Elleynah Bàthory] - RP FlashBack EmptyRe: Avant l'orage [Indel Valaom & Elleynah Bàthory] - RP FlashBack

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