Elle y pense encore. Le revoit, Fynn. Et tremble devant le voile brisé. Croyait-elle la guerre terminée ? Ses princes vont s'entretuer. Inévitablement. Aucun ne laissera victoire à l'autre. Inconcevable. Frères, ils se ressemblent plus qu'ils ne le croient. Ils ont leur fierté, si différentes qu'elles soient. Mais ils ne perdront pas l'un contre l'autre. Le frère. Ils se battront jusqu'à la fin. Elle le sent, elle le sait. Les connait.
Et elle ? Où se placera-t-elle ? Que fera la perle ? Kaïllane l'ignore. Lorsqu'il s'agit d'autres, pas de doutes possible. Sa peau d'abord. Celle des autres ensuite, si nécessaire. Mais eux...
Ses princes sont tout. Ils sont sa raison d'être, sa famille, ceux qui ont fait d'elle qui elle est.
Elle les aime. D'un amour passionnel, depuis toujours. Comme si l'Océan lui-même l'avait poussée dans leurs bras.
Ross, son âme. Fynn, sa raison. Ses princes... Elle les aime.
Et est incapable de choisir. Pourtant, elle le sait, là est bien le problème. Elle n'a jamais su choisir entre eux. Ils haïssent sa façon de les aimer, tous les deux. En même temps. De deux battements de coeur identiques et pourtant à contre-temps.
Plutôt mourir que de choisir. Plutôt se battre contre ses princes que d'observer leur fin. Un calvaire insoutenable. Impensable. Choisir n'est pas une option, elle se battra s'il le faut.
Et la pirate le revoit, cet homme qu'elle a tant aimé, lui reprocher les maux du monde, dans cette ruelle froide du port. Quelques semaines à peine plus tôt, mais elle n'en a rien dit à Ross. Il n'a pas besoin de savoir, pour l'instant. Elle ne fera pas l'erreur de lui en parler dans les jours qui suivent. Et même si elle le fait, que fera-t-il ? A l'heure qu'il est, Fynn doit être bien loin de ce port, de cette ville. A la recherche de son frère ou non. Peu importe. Ils ne se croiseront pas, son amant ne saura pas. Pas tout de suite. Même si elle le lui avoue, il ne pourrait faire quoique ce soit à sa reine. Elle lui tient toujours tête, quoiqu'il dise. Dévouée, mais pas soumise. Surtout lorsqu'il s'agit de sa famille.
Et elle compte bien obtenir des explications de sa part. Pour toutes ces révélations faites par le capitaine du Fou de Bassan.
Kaïllane soupire. Et crie, fait sursauter ses deux compagnons.
- Un problème, Kaïllane ?
Ils ont quitté le navire pour quelques jours et marchent dans la rue, à la recherche d'une auberge quelconque. La lieutenante a exprimé son désir de dormir dans un lit stable l'espace de quelques nuits. Davantage pour s'éloigner de cette coque qu'elle rêve de voir réduite en cendres. Mais aussi pour réfléchir, seule. Il lui est légèrement difficile de le faire dans les bras de son amant ou au coeur du bâtiment et de son activité. Alors elle est là, dans cette petite ville bien loin de l'Océan.
- J't'ai pas sonné, Jakk.
L'homme d'une trentaine d'années soupir.
- T'sais, t'es pas obligée de nous faire subir ton humeur. Si on a accepté de venir avec toi, c'pas pour ça.
- Si j'ai accepté que vous veniez, ce n'est pas pour t'entendre tout le long du trajet.
L'homme éclate de rire, la laisse dans son coin, commençant une discussion avec leur troisième compagnon, une femme. Ane. Autre qu'eux auraient pu craindre le tempérament de la femme, seulement, de l'équipage, ils sont sûrement ceux qui la laisse le moins indifférente. Ils se permettent quelques écarts avec leur lieutenante. Et amie.
La pirate plongée dans ses pensées ne voit pas le temps passer. En une vingtaine de minutes, ils réussissent à trouver une auberge à la réputation pas bien mauvaise pour accueillir les alines qu'ils sont. Avant de rentrer, Kaïllane prend soin de voiler son corps tatoué. Détruire leur couverture à cause de ses tatouages alines serait du plus mauvais goût.
La porte grande ouverte, ils entrent. La salle est déjà de moitié remplie. Espérons qu'ils obtiennent deux chambres. La femme, par habitude, parle avant qu'ils ne prennent la peine de le faire, pour leur ordonner d'aller réserver deux chambres pour la nuit. Demander. Leur demander... Lorsqu'elle se posera à une table en les attendant, un verre de rhum à siroter. Ou vider cul sec.
Ses deux compagnons se dirigent vers l'accueil, la lieutenante vers la salle à manger de l'auberge.
- Par l'Océan, faites qu'ils aient du bon rhum.