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QUÊTE DE L'EMPIRE | L'Effort de guerre

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Ils sont là. Plantés comme des gueux devant leurs accompagnateurs. Ils ont le regard vide de ceux qui ne comprennent pas ce qu'il leur arrive. Than soupire. Il aurait préféré des criminels, des vrais, plutôt que ça. Au moindre danger, à la moindre difficulté, ils vont partir en courant. Et mourir. Il jette un oeil à Ilénia, tous deux semblent s'entendre sans avoir à le dire sur le caractère pitoyable de ce groupe. Ils n'ont, dans tous les cas, pas le choix. Il faut les briefer.

L'émissaire fait un pas en avant, pour prendre la parole. Les taulards ne bronchent pas, les pupilles toujours vitreuses. Il va falloir les secouer. Il choisit donc de passer entre eux tout en parlant, les bousculant par le manque de place. Ainsi il les garde éveillés, en alerte et un brin agacés. De quoi être certain qu'ils retiennent ses paroles.

-Vous n'êtes rien. Rien du tout. Le bas de la chaine alimentaire. Votre vie a si peu d'importance pour l'Empire qu'elle vaut tout autant sur le champ de guerre qu'au fond d'une geôle crasseuse.

Il perçoit quelques grognements et reçoit une bousculade légère en retour à la sienne. De quoi protester, mais sans prendre le risque d'être vu. Ils ne sont pas si débiles que ça. Tant mieux. Et au vu de la haine qui s'affiche sur les visages à être traités ainsi, ils disposent encore d'un égo. Deuxième espoir.

-Je dirais bien que si ça ne vous plait pas, c'est pareil. Mais non. On a toujours le choix. Toujours, tous. On vous l'a dit. Si vous vous battez à nos côtés, votre ardoise est effacée. Je sais ce que vous pensez. Que vous n'avez plus rien à perdre, si ce n'est votre vie, dans cette histoire. Et je sais que vos coeurs se révoltent de savoir que l'ardoise effacée ne veut rien dire. Vous ne serez toujours personne. De la sous-merde qui traine dans les rues, prête à récidiver.

Il continue de se faufiler entre eux et sent les esprits s'échauffer. Il perçoit les femmes de son groupe au devant, sur le qui-vive, prêtes à intervenir en cas de.

-Alors je vais rajouter un peu d'enjeu à tout ça. Tout comme moi, les charmantes personnes que vous avez en face de vous, font parties des personnes influentes de ce monde. Si vous vous battez bien, sans fuir, sans trahir et qu'en plus de tout ça vous êtes vivants... Non seulement l'Empire effacera votre ardoise et vous serez libres. Mais en plus, je m'engage et j'espère qu'elles voudront bien m'accompagner là-dessus, à vous aider à vous ré-insérer dans notre société. A faire de vous quelqu'un.

Les réactions ont tout bonnement cessées. Plus un son ne sort et ils acceptent les coups de coude de Than sans riposter. Choqués. La main puissante de l'aline vient s'abattre avec force dans la nuque de l'un d'eux qui se raidit. Et de l'espoir tranche la menace.

-Mais attention. Un mot, un geste, une pensée que je détecte pour nous desservir, et je vous jure qu'à côté la mort face à un raï vous semblera douce et délectable. De plus, en arrivant dans notre groupe, vous changez d'identité. Vous êtes de valeureux volontaires trouvés dans une auberge. La moindre mention à votre réelle condition merdique de taulard et vous perdez votre langue, ainsi que toute chance de devenir quelqu'un. Est-ce clair ?

Pas de réponse. Bonne réponse.

-En route.

Avant de se placer au devant de la file, Than s'approche de Rhéa et Ilenia et murmure :

-Où est Saba ?

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Jambes bien campées, mains ramenées dans le dos, menton volontaire. Rhéa s’appliquait à reproduire une image capable d’imposer un minimum de respect, similaire à celle des soldats qu’elle avait pu observer dans sa vie. Un simulacre.

Une crainte âcre avait pris naissance dans ses tripes, pareille à un début d’incendie. Elle avait peur de reconnaître un visage familier parmi ceux des prisonniers. Peur de repérer la silhouette longue et anguleuse d’un homme au regard brûlant. Et la crainte devenait une épaisse fumée dont les volutes venaient s’enrouler sur les sommets de sa conscience comme elles le feraient sur un plafond bas. Elle ne vérifia pas, mais elle savait que ses doigts noués tremblaient. Qu’est-ce qu’elle ferait si elle reconnaissait quelqu’un parmi ces déshérités ? Qu’est-ce qu’elle dirait si quelqu’un la pointait comme une des trafiquantes d’Al-Jeit ? Qu’est-ce qui la prenait de s’inquiéter autant d’une éventualité aussi pâle ? Ça ne lui ressemblait pas. Pas du tout.

Elle se força à inspirer avec lenteur. Relâcha. Braqua son attention sur Than en train de déballer son numéro. Balaya le groupe d’une œillade, à l’affût d’un mouvement sournois. Tout le monde écoutait l’émissaire en se tenant coi. De quoi forcer l’admiration. Elle écouta, elle aussi. Je m’engage à vous aider à vous réinsérer dans cette société. Rhéa ne tiqua pas lorsque Than l’inclut, elle et Ilenia, à sa promesse. Oui. Joli coup pour amadouer les malfrats. Mais comment ils feraient ça, hein ? S’il ne bluffait pas, l’intention était plutôt noble. Quoique justement, il fallait bien un noble pour se prêter à un tel engagement. Personne ici ne détenait le pouvoir réel de le mettre dans l’embarras s’il n’honorait pas sa parole. Le rapport de force, le rapport de classes, demeurerait toujours trop déséquilibré, trop en sa faveur. Et puis, sur une note différente, Rhéa s’imaginait mal Ilenia ne pas froncer le nez devant un forçat bégayant son désir de s’amender. À cette idée, décidément pas très dôle, ou même fausse, elle réprima un rire nerveux. Du moment que la manœuvre de Than porte fruit, elle garderait son scepticisme bien cynique pour elle.

-Aucune idée, s’empressa-t-elle de répondre au noble lorsqu’il demanda où pouvait se trouver Saba. Vraiment aucune idée. De mon côté, je continue d’ouvrir l’œil. Peut-être qu’on la repérera dans les rues d’Al-Far. Mais j’en doute. Avec nos nouveaux amis, je la comprendrais de se tenir loin.

Ils attendirent un long moment face au portail le temps de fouiller les prisonniers, qui avaient développé des trésors d’inventivité pour fabriquer et dissimuler des armes blanches aussi aiguisées que crapuleuses. L’herboriste préférait ne pas trop compter sur la possibilité que les gardes aient tout trouvé. Néanmoins, dans les entrefaites, elle en profita pour détailler un par un chaque individu. Il y avait des visages, des anonymes, des expressifs, des impassibles. Tous s’avéraient passablement crasseux. Au moins, elle ne reconnut personne. Ce qui ne la rasséréna pas un seul instant. Elle décompta les prisonniers une première fois. Puis encore lorsqu’ils se mirent enfin à avancer dans les rues sales et achalandées d’Al-Far. Elle décida de ponctuer le temps comme ça. Avec sa position sur le flanc de la procession, il lui semblait qu’il s’agissait d’une initiative pas top mauvaise. Son regard se déposait partout, ne s’attardait sur rien. En tout honnêteté, elle voyait mal comment cette histoire pouvait se terminer sans encombres. Alors, elle se tenait prête.

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Ilenia hausse un sourcil à l’écoute du discours enflammé de Than. Eh bien, pense-t-elle, il est inspiré pour trouver de choses à leur dire à ces taulards de basse envergure. Les insulter ne paraît pas être le meilleure solution aux yeux de la Sentinelle. Elle hausse un nouveau sourcil surpris lorsqu’il s’engage et l’engage avec lui à les aider à se réinsérer dans la société. Mais elle n’en a rien à faire elle de cette bande de traine misère puante. Une moue dégoûtée se dessine sur ses lèvres fines. Le Noble ne doit pas prendre de telles initiatives sans la consulter avant. Il s’est désigné comme le chef de leur petite expédition mais ça ne lui donne pas le droit de promettre des choses à sa place. Un sourire hautain finit par reprendre place sur son visage de marbre, elle n’a rien promis donc elle n’est en rien obligée d’aider ces gens. Than s’assurera de tenir sa promesse et elle sera déjà loin, aucune envie de s’impliquer là-dedans.

La Sentinelle approuve par contre bien plus les menaces employées par le Noble. Et d’aucun de la prendre pour une fragile femme. Tous doivent pouvoir sentir la puissance qui émane de cette femme fière et hautaine à ses côtés. Elle souhaite qu’ils hésitent avant de s’en prendre à elle au cas où ils tenteraient de fuir. Et s’ils s’y frottent, elle ne se retiendra pas. La piétaille n’a pas un très grand intérêt. Même pour l’armée, qui voudra de cette bande de bouseux incapable de se servir correctement d’une épée et de suivre les ordres ? Comment pourront-ils aider à la défense de l’Empire ? C’est vraiment une utopie de croire que cette masse hétérogène et indisciplinée pourra s’unir contre un ennemi commun lorsque ce sera nécessaire. Il leur en faudra des cours et des menaces pour qu’ils prennent les armes ensemble. Et Ilenia ne pourra jamais leur tourner le dos sans avoir peur qu’ils ne lui plantent un couteau entre les omoplates.

Mais bon, ils n’en sont pas là. Il faut déjà réussir à les faire rejoindre le camp sans incidents puis les faire accepter par le reste du groupe… Les escorter ne sera pas une mince affaire mais ensuite il faudra les surveiller au sein même de la caravane pour qu’aucun ne vole la cargaison ou se décide de prendre la fuite. Elle soupire puis répond à Than et Rhéa avant de se placer en fin de cortège.


-Oh, si j’étais elle, je serai bien tranquillement installée dans une taverne plutôt qu’impliquée dans cette mission impossible…

Il est hors de question qu’elle tourne le dos à ces individus. Elle préfère encore fermer la marche pour les surveiller tous que risque de se retrouver attaquée par derrière. Ilenia suit donc la troupe, notant la présence de Rhéa sur un flanc et de Than à sa tête. Ça c’est une sacré escorte pour un groupe aussi hétéroclite et si peu fiable. La Sentinelle n’aime vraiment pas ce rôle de garde-chiourne. Elle a juste accepté la mission d’escorter les ressources nécessaires jusqu’au front du Nord, pas de servir de nounou à des criminels. Mais elle n’a pas le choix de les accompagner alors elle prend son mal en patience et espère qu’il y aura le moins d’incidents possibles durant le trajet.

Comme pour répondre à cette inquiétude, elle aperçoit soudainement un homme sur le flanc du groupe qui regarde autour de lui puis tente de se glisser derrière un étal dans une ruelle sombre. Un fuyard qui veut échapper à ses responsabilités. C’est sans compter sur Ilenia est ses talents. Elle plonge immédiatement dans les Spires et dessine un filet d’air qui tombe directement sur l’homme et l’immobilise sans pour autant l’étouffer. Un Dessin simple et peu coûteux en énergie s'il n'est pas maintenu trop longtemps. Comme il est caché du reste de la foule de la cité et que la prison qui le retient est invisible, personne ne se doutera qu’il a ne s’est pas arrêté de son plein gré. Elle croise le regard de Rhéa à qui l’homme n’a pas échappé non plus mais qui semble surprise de le voir immobile. Elle lui fait un signe de tête rapide pour lui signifier qu’elle s’en occupe puis s’approche de l’homme, dédaigneuse :


-Je peux savoir ce que vous comptiez faire ? Nous fausser compagnie ?... Je ne crois pas que ça va être possible malheureusement… Rejoignez le rang maintenant.

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L'Effort de Guerre




ACTE 1 | Sur le chemin d'Al-Far


La bande hétéroclite des prisonniers file droit. L’intervention d’Ilenia, bien que discrète, n’est pas passée inaperçue. Le prisonnier concerné n’a pas tardé à prévenir ses camarades et le bruit a couru tout le long de la procession ; une dessinatrice leur servait de maton, impossible de filer.

Le reste du trajet se déroule donc sans anicroche. Lorsque les nouvelles recrues atteignent la caravane, le soir se profil et les caravaniers ont allumés des feux pour s’offrir un peu de chaleur et un repas amélioré. Peu de personnes, finalement, ont rejoint le bourg d’Al-Far. Chacun s’est habitué à la présence des autres et le groupe est plus soudé que jamais.

Vous présentez aux détenus les chariots qui leur serviront de couchettes la nuit. Ils y sont groupés par cinq. Des groupes se créent entre les prisonniers par affinités. Vous supervisez encore l’installation, feignant de simplement montrer leurs quartiers aux nouveaux arrivants.

Avant que vous ne les quittiez, Jolgeir vous rejoind et passe d’un groupe à l’autre pour souhaiter la bienvenue à tous. Il en profite pour leur dire qu’ils ont fait le bon choix, que bientôt, ils seront des héros reconnus par tout Gwendalavir et qu’alors, nul ne saurait leur tenir rigueur du passé.

Puis, Le chef de la caravane fait signe aux nouveaux arrivants de s’approcher du feu central. Il se met debout sur une caisse qui attend là d’être rangée


« -Mes amis, camarades, permettez-moi d’interrompre quelques instants votre repas pour vous annoncer une bonne nouvelle ! clame le thül. Ces jeunes gens se joignent à nous pour aller découper du raïs sur le champ de bataille. Je compte sur vous pour les accueillir avec respect et amitié. »

Un brouhaha de bienvenue se lève dans la troupe itinérante et on se pousse pour faire une place au coin du feux pour les nouveaux arrivants.

Vous-même restez en alerte, vous n’arrivez pas encore à faire totalement confiance aux nouveaux venus même s’ils semblent parfaitement s’intégrer à leur nouvel environnement.
Et au petit matin, vos inquiétudes s’avèrent inutiles. Tout le monde est là.

Vaäntas donne l’ordre de procéder aux derniers préparatifs avant le départ. Il s’est résigner à laisser Saba derrière. Elle ne donne plus signe de vie et Jolgeir ne peut pas se permettre de perdre du temps pour une seule personne. Ainsi, vous partez peu après midi.

_______________

Les habitudes de route se remettent vite en place. Chacun se concentre sur sa tâche et les nouvelles recrues choisissent les leurs, bien conscientes qu’ici, c’est un pour tous et tous pour la caravane.

Le temps est au beau fixe et Than est maintenant bien remis de ses blessures. Rhéa semble se porter tout aussi bien. La seule qui semble préoccupée, c’est Illenia. Elle n’a certes jamais été très ouverte aux autres, mais depuis peu, elle semble encore plus renfermée.

La raison en est simple. Deux nuits après avoir quitté Al-Far, elle a reçu un message par l’imagination, de la part du Palais Impérial. Elle le ressasse en boucle dans son esprit, ne sachant trop quoi en penser. N’arrivant pas à se décider. Dois-t-elle partager l’information avec le reste de la troupe ? Avec Vaäntas seulement ? En attendant, les mots de la missives la hantent;

A la Sentinelle Nil’Lysah,

Sur décision de notre Empereur  Jinus Fil’Ophel, Chef des armées et des Terres Alaviriennes, vous Ilenia Nil’Lysah, êtes chargée d’informer, à votre arrivée sur le Front du Nord, le Prince Uttys Fil’Ophel du décret qui suis :

Dans quarante-sept jours, sa Majesté Uttys Fil’Ophel, Prince des Terres Alaviriennes et Général des Légions Noires, unira sa vie à Freÿa Brepalus, Princesse de l’Amiralerie.
Ainsi, par les liens sacrés du mariage, le Prince et le Princesse des deux Terres serons les garants d’une paix commerciale et militaire entre les deux parties.

Cinq jours avant la date indiquée la Sentinelle Nil'Lysah devra faire-faire un Pas au Prince jusqu’à Al-Jeit.

Comptant sur vous pour transmettre et accomplir votre mission,

Du conseillé Dil'Crâmen à la Sentinelle Nil'Lysah

Par l’intermédiaire de la Sentinelle Fil’Naharis


Ilenia, à toi de décider maintenant de ce qu tu feras de cette information.


_______________

Mais pour l'heure, il se fait tard, la caravane est éreintée et tous s'asseyent autour du feu. Seulement, et cela fait maintenant quelques jours que la situation tend à s'envenimer, vos nouvelles recrues commencent à s'impatienter d'un si long voyage.
Jolgeir vous fait discrètement demander de les distraire quelques instant.

Peut-être pourriez-vous aller chercher du bois dans la forêt, ou bien aider en cuisine? A vous de trouver un activité assez captivante pour que tous s'occupent l'esprit et abandonnent leurs idées belliqueuses.

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L’homme rejoins les rangs et c’est le seul incident qui perturbe leur retour jusqu’aux chariots. Ilenia s’en assure et surveillant le groupe avec son regard inquisiteur. Impossible de l’ignorer tant elle en impose par sa présence. Elle a entendu les murmures parmi les hommes et les femmes du groupe lorsque l’homme est revenu. Tous savent donc ce dont elle est capable. Une moue satisfaite se peint sur son visage fin. Tant mieux. Si la crainte est le seul moyen de les garder raisonnables, elle s’assurera de continuer dans cette voie lorsqu’ils auront rejoint les rangs de la caravane. Sur place tout s’organise simplement, chacun trouve sa place sans qu’il y ait d’incident notoire. Oh, bien évidemment, il y a quelques accroches entre le groupe, choisir avec qui dormir ne se fait pas simplement. Surtout quand on ne peut pas faire confiance à son voisin. La Sentinelle observe l’ensemble sans intervenir, tout rentre en ordre facilement mais elle garde un œil sur eux. Elle reste sur ses gardes, attendant le moment où l’un d’entre eux commettra une erreur. Elle ne peut se retenir de sourire de manière sarcastique lorsque le chef de la caravane les accueille comme des volontaires pour combattre les Raïs. Une bande de rebuts et de bras cassés voilà ce que sont ses personnes. Mais elle ne dit rien aux autres, il n’y a aucune raison de les inquiéter plus, ce voyage est déjà bien assez éprouvant.

Les deux jours suivant s’écoulent sans qu’un incident ne trouble l’apparent calme de la caravane. Chacun suit son rôle et participe à la vie du camp. Même les recrues trouvent leurs places dans le groupe et se mêlent aux conversations. Plus on s’éloigne d’Al-Far plus les alentours de la route semblent devenir sauvages. Ilenia se souvient alors du Nord de l’Empire et frissonne d’avance, elle n’est vraiment pas prête à revivre le froid mordant de cette zone isolée. Heureusement, elle est équipée et ne compte pas faire le chemin de retour avec la caravane vide. Elle rentrera directement par un Pas sur le Côté. Aucun risque qu’elle ne reste trop longtemps dans ces terres hostiles et inhospitalières. Elle s’assure que la cargaison arrive au Prince sans perte notable puis elle rentre tranquillement chez elle. En tous cas, il leur reste encore au moins une ou deux semaines pour atteindre le front et ils ne sont pas à l’abri du danger. Ilenia veille, bien plus attentive qu’au début du voyage.

Perchée et très droite sur son cheval, Ilenia se trouve à côté d’un chariot occupé par les recrues lorsqu’une intrusion familière dans les Spires la surprend. Elle s’ouvre à l’Imagination et accepte ce qui semble être un message d’un autre Dessinateur. Elle reconnaît la trace comme celle de Thalianne Fil'Naharis, une Sentinelle comme elle. Dès qu’Ilenia l’aura reçu cette dernière le saura. Cette méthode de communication est très utilisée entre les puissants Dessinateurs et demande moins d’énergie qu’un échange directe. Elle laisse alors le message pénétrer son esprit :


« A la Sentinelle Nil’Lysah,
Sur décision de notre Empereur Jinus Fil’Ophel, Chef des armées et des Terres Alaviriennes, vous Ilenia Nil’Lysah, êtes chargée d’informer, à votre arrivée sur le Front du Nord, le Prince Uttys Fil’Ophel du décret qui suit :
Dans quarante-sept jours, sa Majesté Uttys Fil’Ophel, Prince des Terres Alaviriennes et Général des Légions Noires, unira sa vie à Freÿa Brepalus, Princesse de l’Amiralerie.
Ainsi, par les liens sacrés du mariage, le Prince et le Princesse des deux Terres serons les garants d’une paix commerciale et militaire entre les deux parties.
Cinq jours avant la date indiquée la Sentinelle Nil'Lysah devra faire-faire un Pas au Prince jusqu’à Al-Jeit.
Comptant sur vous pour transmettre et accomplir votre mission,
Du conseiller Dil'Crâmen à la Sentinelle Nil'Lysah
Par l’intermédiaire de la Sentinelle Fil’Naharis »


Ilenia retient alors une exclamation de surprise qu’elle cache avec un toussotement. Ça pour une surprise, c’est une surprise. Le Prince héritier de l’Empire va donc épouser une Princesse Aline. Et bien, cette annonce, lorsqu’elle sera officielle, va faire du bruit. Les relations entre Gwendalavir et les pirates Alines n’ont jamais été tendres. C’est vraiment très astucieux de la part de l’Empereur et de ses Conseillers et mettre en place ce mariage convenu. Il n’y a rien de plus sacré que les liens du mariage pour unifier deux nations et apaiser les tensions. Le peuple se satisfera de voir son Prince marié autant qu’il détestera cette union avec un ennemi centenaire. La femme hésite pendant plusieurs jours sur la marche à suivre. Doit-t-elle en parler aux autres membres du groupe ? Si Than n’était pas aussi distant avec elle, elle lui aurait déjà tout raconté comme il est un émissaire et un Conseiller important. Elle se demande aussi si elle doit en parler au chef de leur caravane. Mais finalement sa volonté est faite, elle l’annoncera en premier au Prince. Il devrait être le premier à recevoir ce genre de nouvelle. Elle est d’ailleurs étonnée d’être celle envoyée pour lui dire. Il doit bien avoir un Dessinateur puissant à ces côtés là-haut contre les Raïs.

Ilenia observe son beau-frère lui faire signe, il accompagne une partie des recrues vers la forêt pour chercher du bois. Elle n’a pas fait vraiment attention ces derniers jours aux membres de la caravane, fonctionnant par automatismes et restant très concentrée sur ses pensées. Alors, elle se reprend et analyse les comportements, la tension dans les membres ou la colère sur certains visages. La Sentinelle relâche son attention quelques jours et c’est déjà le bazar. L’impatience a remplacé la peur donc. Il va falloir éviter que tout explose dans le camp. Elle réfléchit un court instant puis s’approche du groupe de Thül chargé de protéger le convoi, elle interpelle alors un certain Taryk avec qui elle a plusieurs fois discuté durant le voyage :


-Dites, seriez-vous d’accord pour occuper nos recrues avec moi ?

-Oui bien sûr, ils sont un peu tendus dernièrement. Ma Dame, qu’avez-vous en tête ?

-Un petit cours pour les former à ce qui les attend au Nord, ça va leur permettre de se défouler et leur rappeler pourquoi ils se sont engagés.


Il fait un petit signe de tête, comprenant la stratégie et l’utilité d’un tel exercice. Il sourit à son groupe et leur fait signe de surveiller le camp sans lui, puis il va chercher du matériel d’exercice. Il revient d’un chariot avec un paquet d’épées de bois et un sourire aux lèvres. Il les laisse tomber au centre des chariots et s’écrie:

-Allez, approchez les recrues ! Je vous propose un petit entraînement au combat histoire de pas vous faire tuer au premier Raïs venu !

Un groupe se forme et l’exercice commence, les épées s’entrechoquent bruyamment et les cris retentissent. Soit de consigne par Taryk soit d’encouragement par les autres recrues. Ilenia reste en retrait pour observer l’entrainement mais aussi le reste de la caravane qui s’active à diverses tâches. Elle ne relâchera plus son attention jusqu’à ce qu’elle ait délivré son message au Prince.

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L'escorte des nouveaux venus ne fut pas un problème. Un homme eut le malheur de tenter la fuite. Un seul. Et dans le regard de sa belle-soeur, Than reconnut la puissance de la famille Nil'Lysah. De quoi lui couper tout envie d'être démasqué. Ilenia serait capable de l'anéantir d'un simple dessin sur le moment même de la révélation. Et ce n'était pas son piètre don agricole qui allait pouvoir le sauver.

De fait, alors que tous sont assis autour du feu, à parlementer tranquillement, l'émissaire, lui, se tient à l'écart. D'une parce qu'il n'a jamais été très social, hormis lorsqu'une de ses missions le lui demande, de deux parce que moins il parle avec sa belle soeur et plus son secret est en lieu sûr. Il est serein sur la qualité de sa couverture. Mais bien moins sur l'évidence que son supposé don du dessin puisse le trahir.

Alors qu'il songe à son retour auprès de sa femme et de son fils et aux multiples solutions pour améliorer leurs relations, quelques brides de conversations arrivent à ses oreilles. Les hommes sont agités et des expressions de rebellions naissent. Rien de très sérieux, mais au vue des récentes recrues, Than statue qu'il ne vaut mieux pas tenter le diable. Il faut faire diversion à tout cela. Occuper les hommes. Jolgeir a visiblement repéré également le danger, puisqu'il vient poser une main sur son épaule, comme un bon ami pour lui murmurer d'agir et vite.
Il se lève donc, entrainant automatiquement les regards vers lui. Y compris celui d'Ilenia. Par un bref échange silencieux, il lui démontre la situation. Puis, il désigne un cercle d'hommes.

-Vous, avez moi. Profitons de la forêt avoisinante pour aller chercher du bois. Plus nous avancerons et plus les arbres se feront rares. Et croyez-moi, vous ne voulez pas vivre une nuit sans feu.

Son groupe lui emboite donc le pas, tandis qu'il entend à l'arrière Ilenia proposer un entrainement de combat. Ils s'enfoncent, silencieusement, dans les bois, haches à la main. Une fois l'endroit parfait trouvé, le noble veille à ne pas trop les disperser, afin de pouvoir garder un oeil sur eux. Et la récolte commence. Les conversations vont bon train, certains même chantonnent. Than, lui, guette. Une forêt n'est jamais sûre. Et il ne fait aucunement confiance aux hommes. Sa méfiance lui donne d'ailleurs raison assez vite. Alors qu'il effectue une ronde autour du groupe, il surprend une conversation entre deux volontaires, légèrement à l'écart des autres.

-Il cache quelque chose, j'te l'dis, moi.

-C'est vrai qu'il est étrange. Il parle pas, il reste à l'écart alors que Dame Nil'Lysah est de sa famille. Entre nobles et famille ça parle normalement. Même trop parfois.

-Héhé pour sûr que ça parle de trop les nobles. Moi c'qui m'inspire pas confiance dans c'mec, c'est qu'il a pas dessiné une seule fois de tout l'voyage.

-Et alors, toi non plus ?

-T'es couillon ou quoi ? J'ai pas l'don. Lui si. Et parait même qu'il est puissant alors... J'aimerai bien voir ça, moi. Ça aurait pu nous sortir d'la merde plus d'une...

Sa voix se coupe aussi soudainement que si on lui avait coupé la langue. Très certainement parce qu'une dague vient de se planter au beau milieu de sa gorge, sous le regard effrayé de son comparse. Than, dague en main, regarde sans émotion le deuxième homme. Il lui plante l'arme du crime entre les mains avec force. Et se met à rugir.

-Putain Evans t'es con ou quoi ?! Qu'est-ce t'as fait ?! Pose ça. J'ai dis, pose ça ou je te bute !

Il le bute.

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On intégra les prisonniers au reste du groupe de convoyeurs. Tout se passa bien au début, mais la greffe ne prit pas tout à fait. Il fallait sans doute s’y attendre. Rhéa ne tardit pas comme les autres à percevoir la grogne parmi les recrues. Comme avec tout le reste de la troupe, elle badinait avec les nouveaux parfois autour du feu, le soir, mais elle n’avait jamais le cœur de les démentir lorsqu’ils exprimaient leur conviction que les généraux les placeraient en toute première ligne, une fois au front. Elle aurait peut-être dû.

La première chose qu’elle avait faite en revenant dans le groupe avait été d’abandonner avec discrétion son rôle de gardienne. Aussi, elle salua la judicieuse initiative d’Ilenia, mais elle ne s’y joignit pas en dépit de sa propre habileté à manier la rapière. Déjà, elle préférait ne pas attirer davantage l’attention de la Noble sur elle. Même si, à ce stade-ci, le mal était fait.

Le tintamarre des épées de bois dans son dos, elle prit la direction des arbres environnants. Elle détestait plus que tout rendre des comptes sur ses allées et venues. Néanmoins, la jeune femme avertissait toujours quelqu’un qu’elle partait herboriser dans les parages. Simple question de sécurité pour qu’on s’inquiète d’elle en cas de pépin et qu’on ne lève pas le camp en son absence. Cette fois-ci, pourtant, elle s’éclipsa sans prévenir.

À cette latitude, les plantes avaient du mal à prospérer, mais elles étaient là pour qui savait regarder. Ternes et discrètes, accrochées dans la terre semée de gel et de rocaille. Rhéa connaissait un peu les variétés présentes dans le coin et leurs utilités, mais elle se devait de saisir l’opportunité de parfaire ses connaissances. Elle était occupée à récolter des échantillons de spécimens locaux, lorsque des gens approchèrent. Elle se redressa, émergea d’entre de petits bosquets enchevêtrés et salua deux recrues dépenaillées. Elle les reconnaissait pour avoir discuté à quelques occasions avec eux. Ils avaient souvent, comme maintenant, quelque chose d’affamé dans les yeux en la regardant, mais Rhéa demeurait égale à elle-même, droite et effrontément joyeuse, sa longue rapière noire à l’épaule.

Ils l’informèrent que Than les avaient entraînés ici, eux et un petit groupe de volontaires, pour trouver du bois mort. Avec tout le sérieux du monde et une mauvaise foi aberrante, Rhéa annonça qu’elle ne pourrait certainement pas les aider. Qu’elle ne voyait pas comment ramasser du bois sec pourrait se concilier avec la cueillette de plantes médicinales en forêt. Le traits du premier type se froissèrent et il passa près de l’injurier, mais le deuxième rit de ce qu’il comprit être une plaisanterie et toute tension fut désamorcée. Ils se séparèrent comme le faisaient les amis.

Rhéa retourna à sa besogne. Cachés par les frondaisons, elle entendait les deux hommes maugréer plus loin sans saisir la teneur de ce qu’ils disaient. Sans s’en préoccuper non plus. Tout juste si, à un moment, elle en entendit un pester plus fort sur le compte de quelqu’un qui aurait pu les sortir de la merde à plus d’une reprise.

Il y eut alors un drôle d’intermède de silence, puis une voix tonna.

-Putain Evans t'es con ou quoi ?! Qu'est-ce t'as fait ?! Pose ça. J'ai dis, pose ça ou je te bute !

Incertaine, Rhéa tergiversa une seconde, puis se précipita. Lorsqu’elle découvrit les cadavres des deux recrues, faces contre terre, un air mortifié se peignit sur son visage. Choquée par tout ce que la scène avait de scabreux, mais un calme incongru pris dans les tripes, elle s’imprégna de ce qu’elle voyait. À ses pieds, une dague ensanglantée se trouvait près de la main du plus trapu du misérable duo. Elle releva presque aussitôt les yeux sur Than et sentit la garde de sa rapière contre sa paume. Sa main s’y était portée sans même qu’elle s’en rende compte.

-Oh, merde, Evans ! Oh, merde !

- Ils sont morts ! Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

- Sieur Fil’Kalam, vous n’avez rien.

D’autres hommes et femmes, alertés eux aussi par les cris, les avaient rejoints. Vive, Rhéa rafla la dague par terre dans l’énervement et fila en vitesse en direction de la caravane. Là, elle attrapa quelqu’un par une épaule, le prévint d’une voix blanche qu’ils avaient désormais deux morts sur les bras.

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L'Effort de Guerre




ACTE 1 | Sur le chemin d'Al-Far


Les recrues ont donc été divisées en deux groupes. Le premier sous la bonne garde d’Ilenia s’entraîne à l’épée et le second, sous le regard vigilant de Than s’empresse d’amasser suffisamment de bois pour entretenir le feu toute la nuit.
Jolgeir est serein. Le trajet jusqu’au campement de l’armée ne durera plus très longtemps maintenant. Si ses calculs sont justes, ils seront à destination d’ici trois jours.
Le regard plongé dans le feu, et l’esprit dans ses pensées, il profite de petit moment de détente.

Lorsque soudain, une main s’abat sur son épaule, il sursaute presque. C’est l’Herboriste qui vient littéralement de se jeter sur lui et explique d’une voix calme mais anxieuse, qu’elle vient de trouver deux corps sans vie parmi les ramasseurs de bois. Dans sa main, elle tient une dague sanglante qu’elle désigne comme l’arme du crime qu’elle a trouvé dans les bois. Le chef de caravane se lève d’un bond et demande à la jeune femme de le conduire jusqu’aux corps. Ils s’y rendent en courant et pendant toute la course, Jolgeir étouffe dans sa barbe les jurons les plus fleuris de la langue Thül. Pourquoi fallait-il que cela arrive maintenant ? Ils étaient presque arrivés !

La scène du crime est entourée par un petit attroupement mais lorsque tous voient  le chef caravanier, un espace s’ouvre pour le laisser passer. Deux hommes gisent là, l’un égorgé,par surprise sûrement, comme l'indique son expression. Le second, les yeux exorbités a une auréole de sang sur la poitrine, touché en plein cœur. A quelques pas de là, se tient le noble Fil’Kalam. Il est calme et son regard est froid, ses bras son croisés sur sa poitrine mais la lame qu'il porte au côté est rougie. Jolgeir se retourne alors vers l’herboriste qui l’a suivi jusque ici, elle tient toujours la dague ensanglantée.

Pendant un instant Vaäntas ferme les yeux et prends de grandes inspirations. Il doit avoir les idées claires pour juger de la situation. Mais alors qu’il s‘imprègne peu à peu de la scène et des différents paramètres, la foule se fend une seconde fois. Un Thül déboule, essoufflé, le chef caravanier ouvre les yeux et reconnaît l’homme qu’il avait envoyé en reconnaissance un peu plus tôt dans la soirée.

« -Les Raïs Jolgeïr, à deux kilomètres au Nord-Ouest d’ici. Un escadron entier en campement. »

Le premier réflexe du chef caravanier est de fusiller son homme du regard. Il déteste que ce genre d’informations soient divulguées en public. Mais le mal est fait et il comprend qu’il est avant tout temps d’agir. Sa voix de stentor s’élève alors au-dessus des deux cadavres et du reste de la caravane qui s’est maintenant rassemblé ici.

« Ecoutez-moi bien, tous, parce que je ne tolèrerais aucune entorse à ce que je m’apprête à vous dire. Pour commencer, je n’ai pas le temps de démêler cette histoire de morts. Donc, les deux seules survivants de l’affaire, Fil’Kalam et Syriambre, seront escortés sous bonne garde tout le reste du trajet par deux de mes hommes. Que trois volontaires s'occupent d'enterrer ces malheureux. En ce qui concerne les raïs, ils ne doivent pas savoir que nous sommes ici, sinon, ils nous auraient pillés depuis longtemps. Que chacun rejoigne son couchage a l’exception de Dame Nil’Lysha, j’ai à lui parler.
Que tous les feux soient éteints. Nous mangerons froid ce soir et je ne veux pas le moindre bruit. Que ce soit clair, je veux entendre le battement d’aile des chouettes! »


Alors, chacun s’exécute. Ne reste que les deux cadavres, bientôt enlevés par trois paires de bras qui s'en vont les enterrer plus loin. Than, Rhéa et les deux Thüls qui les surveillent, Jolgeir lui-même ainsi qu’Ilenia restent sur place.

Tous, vous vous dévisagez et une tension nouvelle s’installe. Vaäntas prends à nouveau la parole.

« Tous d’abord, Sir Fil’Kalam. Vous êtes nobles et vous comprendrez ainsi que je ne puis vous délivrer sur ce simple constat. Tous ici sont égaux devant la loi et rien, pour le moment, ne vous disculpe. Je n’ai pas le temps d’entendre votre histoire ni celle de mademoiselle. Aussi, cette affaire sera-t-elle jugée par le tribunal militaire. »

Than et Rhéa gardent la tête haute. Dans leurs yeux, on sent une fureur contenue mais ils ne disent rien. Chacun sait que les Raïs sont une menace bien plus sérieuse qu'un simple tribunal.

« Dame Nil’Lysha, à présent ,reprit Jolgeir .Je vous désigne pour prendre la tête d’une expédition de repérage. Ma sentinelle nous a déjà bien informés mais je souhaiterais un compte-rendu plus détaillé. N’hésitez pas à me faire part de toutes vos impressions. Choisissez qui vous voudrez pour vous accompagner. Des chevaux seront mis à votre disposition mais si vous le souhaitez, vous pourrez vous y rendre à pied »

Sur ces mots, Vaäntas donna congés à tout un chacun. Les deux suspects furent conduits jusqu’à leur couchage respectifs toujours sous la garde vigilante d’un Thül.

Imporant :


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Les coups s’enchaînent entre les recrues alors que Taryk crie des consignes ou des corrections de positions par exemple. Les visages se détendent alors que les mains se crispent sur la poignée des épées. Cet exercice leur fournit un nouvel objectif et rend leur mission plus concrète. Les criminels ont moins l’envie de s’enfuir maintenant qu’un mentor se dessine et que quelqu’un s’intéresse enfin à eux. Pas seulement pour les empêcher de voler ou de tuer mais bien pour leur apprendre quelque chose. Et tous ces individus savent ce que signifie la survie. S’ils peuvent tirer de cette expérience de nouvelles aptitudes ils ne vont pas refuser. La caravane entière commençait à s’ennuyer aussi, les badauds se pressent autour du groupe et les encouragent. Voilà une activité divertissante, voir des volontaires s’entraîner est plutôt inhabituel. Un nuage de poussière se soulève autour du groupe et le temps semble se suspendre.

La parenthèse s’arrête soudainement lorsqu’enfle la rumeur d’une altercation violente entre des recrues parties dans la forêt. Les épées d’entrainement sont abandonnées au sol et tout le monde se précipite sur place pour observer la situation. Ilenia les suit, un peu en retrait. Elle y découvre, comme les autres Than à côté de deux recrues mortes. Qu’est-ce qui a bien pu se passer ici ? La Sentinelle ne veut pas tirer de conclusions hâtives, elle ne veut pas croire son beau-frère capable de ce genre d’acte. Il doit y avoir une explication rationnelle qui l’innocente. Elle se persuade surtout en voyant que le Noble ne réagit pas du tout à la situation. C’est vraiment louche mais elle n’a pas le temps d’en savoir plus, un Thül surgit soudainement et leur annonce la pire nouvelle possible.

La panique commence à gagner les rangs, puisque que maintenant tous savent ce qui les attend. Mais le chef caravanier prend immédiatement les choses en mains et les décisions qui s’imposent. Il fait en sorte que le groupe se disperse avec des consignes claires et chacun semble y trouver son compte en se dirigeant vers le camp le plus silencieusement possible. Il ne résonnera aucun chant ni histoire ce soir autour du feu. Ne pas se faire repérer par les Raïs est une mission compliquée. On dit dans les livres que leur vue n’est pas très développée alors que leur odorat et ouïe sont très sensibles. Il faudra donc redoubler de prudence. Mais la grande question que se pose Ilenia c’est : que font des Raïs au sud des positions tenues par l’armée ? Ces dernières ont-t-elles été débordées ? Le prince est-il en vie ? Le groupe est à plusieurs jours du front et les Sentinelles ont repéré un escadron entier de ces créatures porcines.

La Dessinatrice retient une moue désappointée à la requête de leur chef. L’envoyer en reconnaissance. Non mais quelle idée ! Elle est incapable de marcher aussi silencieusement dans la nature que les sentinelles. Contrairement à elles, elle ne saura pas forcément évaluer le nombre d’ennemis et est absolument nulle lorsqu’il s’agit de se faire discrète. Il est vrai qu’elle peut utiliser le Don pour certaines de ces caractéristiques mais elle ne voit pas trop l’intérêt de l’envoyer là-bas. Et la faire choisir son groupe… Comme si elle connait les caractéristiques des combattants de la caravane, tout le monde sait qu’elle n’a rien écouté à ce sujet. Ce qu’il lui demande de faire c’est un boulot de marchombre pas de Sentinelle de l’Empire. Elle soupire en le voyant s’éloigner avant qu’elle n’ait pu contredire ce choix. Elle n’a aucune idée si elle doit aller faire du repérage maintenant ou demain matin. Bougonnant dans sa barbe inexistante, elle se rend vers le groupe de Thüls de Taryk, elle s’entend bien avec lui et il connait tout le monde ici. Elle le prend à part :


-Bon, Vaäntas m’a chargé d’aller avec un petit groupe repérer un peu mieux ces foutus Raïs. J’ai besoin que vous veniez avec moi avec deux hommes que vous estimez qualifiés pour cette mission et deux sentinelles qui connaissent l’endroit où ils se trouvent. J’aurai bien besoin de la discrétion de Rhéa et du Don de Than mais on risque d’avoir des problèmes si on les soustrait à leur bonne garde…

-Compris. Je m’en charge… Six personnes sont bien suffisantes pour du repérage si vous voulez mon avis.


Elle hoche la tête, pas besoin d’en dire beaucoup plus, elle lui donne rendez-vous dans une demi-heure afin de partir pendant qu’il fait jour et d’éviter de se faire surprendre par la nuit. Ils se mettent d’accord pour prendre des chevaux au début et d’ensuite s’approcher à pied afin d’éviter de se faire repérer par leur bruit ou les odeurs. Elle se dirige vers sa tente et change de tenue. Elle troque sa robe pour un pantalon et un haut marrons et tresse ses cheveux de manière serrée afin de se déplacer plus facilement et d’être plus discrète dans la forêt ou les fourrés. Elle fixe la ceinture offerte par son homme de main Corbyn où pend un poignard et glisse son stylet dans ses cheveux. Elle attrape un morceau de pain et de viande séchée à la caravane du cuisinier, qu’elle grignote en retournant vers l’enclos pour les chevaux où se trouve le rendez-vous. Tout se fait en silence, personne ne lui demande où elle se rend. Le camp entier semble retenir son souffle pour ne pas attirer l’attention des Raïs. Espérons qu’elle ne soit pas celle qui va les conduire ici par cette mission grotesque. Elle récupère sa monture, rejoint son groupe qu’elle salue sans un mot.

Puis le groupe disparaît du reste de la caravane, direction un point d’observation du camp de Raïs en suivant les sentinelles.

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Un silence angoissé planait sur le camp, et chaque bruit ténu qui froissait l’atmosphère semblait s’excuser d’exister. Le regard fixe sur un point imaginaire, les coudes appuyés sur les genoux, les doigts joints qui se se tordaient, Rhéa réfléchissait. Retournait la situation dans tous les sens. On la mettait sous bonne garde en raison de la valeur de son témoignage, n’est-ce pas ? Elle n’avait rien à voir dans la mort des deux pauvres hommes. Rien à se reprocher. On s’en rendrait bien vite compte. Pourtant, le confinement lui faisait élaborer compulsivement des stratagèmes de fuite. Si on portait des accusations erronées sur son compte et qu’une ouverture se présentait, elle se savait capable de s’échapper vers Al-Far sans hésiter ou se retourner. Au risque de ne jamais retrouver Al-Jeit et de jouer les fugitives pendant un bon moment. Ça faisait bizarre quand même de constater avec quelle facilité elle pouvait envisager de tout abandonner derrière elle. Avant de rendre l’arme du crime à Jolgeir, Rhéa s’était accordé le temps de l’examiner pour tenter de tirer ses propres conclusions. Il s’agissait une arme de bonne facture, relativement anonyme, en bon état, que jamais le dénommé Evans n’aurait pu récupérer parmi eux sans l’avoir volée. Than plaiderait la légitime défense. Quant à savoir si ce serait la vérité… Elle ne pouvait s’empêcher d’entretenir des doutes.

Les émotions, chez Rhéa, passaient toutes sous le crible de la cérébralité, de sorte qu’elles ne submergeaient jamais ses tripes ou même son cœur sans qu’elle puisse inverser la vapeur et changer d’approche. Au pire, ses états d’âme étaient mutés en énergie nerveuse. D’une manière toute factuelle, elle prit donc conscience qu’elle bouillait de colère. Dire que, en plus, les Rais rôdaient dans les parages alors qu’elle était privée de sa liberté d’action. Elle appuya son dos contre la paroi du chariot où se trouvait son couchage, coula un regard en direction de l’extérieur. Est-ce qu’ils comptaient assez de combattants sérieux dans cette caravane pour mettre en déroute des hommes-cochons ? Sans doute. Et il ne fallait pas oublier les Dessinateurs de talent dans leurs rangs, dont une Sentinelle. Mais ils avaient aussi une cargaison trop précieuse pour être abîmée dans les affres d’un affrontement et des civils.

Rhéa se leva, se dirigea vers l’entrée du chariot où une Thüle montait la garde et écarta la tenture délavée qui tenait lieu de porte.

- Dame Nil’Lysah est-elle déjà partie avec son expédition ?

- J’ai ordre de ne pas vous adresser la parole.


L’herboriste soupira, mais, pour faire bonne mesure, elle observa quelques instants de silence, avant de poursuivre :

-Si on ne bouge pas d’ici, le plus simple serait de songer à faire diversion. Le moral des troupes a visiblement été affecté par... par l’horrible incident de tout à l’heure. Et, franchement, on a trop à perdre à risquer une confrontation. Il faudrait attirer les Rais quelques kilomètres plus loin d’ici, les mettre sur une fausse piste et leur passer sous le nez, vous n’êtes pas d’accord ? Ce ne devrait pas être bien difficile de les duper.


-Personne ne vous a demandé votre avis,
répliqua sèchement la Thüle en jetant un regard mauvais par-dessus son épaule. Jolgeir a la situation en main. Retournez à votre couchage, madame Syriambre.

Rhéa fit la moue, leva les mains dans un signe de reddition feinte, prête à revenir à la charge, mais se figea, son attention accrochée à la présence silencieuse de Taryk, non loin d’elles. La gravité de son expression attestait hors de tout doute qu’il avait suivi l’échange et il lui adressa un signe de tête entendu, avant de s’éloigner. Qu’est-ce que ça voulait dire, ça ? Rhéa le savait acoquiné à Ilenia. Par réflexe, elle esquissa un geste dans sa direction. Elle aurait voulu le rappeler, expliciter où elle voulait en venir, mais la main sur le manche d’une lourde hache, sa geolière la convainquit de reculer plutôt à l’intérieur du chariot. Plus à l’étroit que jamais, Rhéa demeura debout, à écouter ce qui se passait. Elle entendit Taryk rameuter quelques personnes par des injonctions empressées. Puis, à nouveau, ce silence qui n’en était pas un. Lourd comme un ciel d’orage.

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