L’homme émit un vague reniflement, semblant s’adresser à lui-même plus qu’à Alizarine :
– Bien sur que je peux soulever ce type, je pourrais même le porter jusqu'à Al-Far sans trop de problèmes, mais je ne bougerais pas tant que tu ne seras pas en selle avec tes armes bien a porté de vu, et surtout hors de porté de main !
La jeune femme retint un ricanement. Effectivement, l’ermite fou devait la prendre pour une sacrée psychopathe. Mais, songea-t-elle en le détaillant d’un bref coup d’œil, il ne mentait sans doute pas sur sa force. Il était grand et costaud, presque deux mètres, et des épaules bien larges. Un ancien guerrier, soldat peut-être ? Il avait une aisance dans ses mouvements que même plusieurs mois d’errance dans un milieu hostile et glacé n’avaient pas réussi à effacer. Il n’était pas aussi gracieux que Morden l’Envoleur, loin s’en fallait ! Mais il avait définitivement reçu un apprentissage semblable.
– Montes en selle, et je te le passe, lâcha-t-il.
Alizarine essuya son épée dans la neige, la rengaina ostensiblement, puis s’exécuta et enfourcha Ellébore d’un bond. Elle prit garde à rester assez proche d’Ulmar, pour l’assommer s’il essayait de filer. Mais le bandit n’en fit rien. Resté debout à côté du cheval, il jeta un regard méfiant à Nat’Ash quand celui-ci s’approcha, mais ne tenta pas de se débattre : l’homme de deux mètres en manteau et chapeau était sans doute plus impressionnant, dans son esprit étriqué, que la jeune femme qui venait tout juste de le rendre infirme à vie.
Quel abruti celui-là. Comme si seule la taille comptait !
Nat’Ash souleva Ulmar comme s’il ne pesait rien, et le balança comme un sac en croupe, juste derrière Alizarine. Derrière son bâillon, le prisonnier beugla comme un cochon : son genou avait violemment tapé la jambe d’Alizarine. La jeune femme l’ignora, se retourna sur sa selle, et le tira jusqu’à ce qu’il soit à peu près bien positionné. Voilà. Il ne tomberait pas pendant le voyage du retour. Et il ne mourait pas. Enfin, probablement.
Alizarine réfléchit une seconde, puis ôta le bâillon d’Ulmar. Celui-ci cracha par terre, mais c’était uniquement parce qu’il ne pouvait pas atteindre la Pie Voleuse.
– Je vais te tuer, gronda-t-il.
– Je ne t’ai pas ôté le bâillon pour le plaisir d’entendre ta voix mais pour t’éviter d’être étouffé si ton nez se bouchait avec le froid, lâcha la mercenaire d’un ton égal. Si tu tiens à la vie, je te conseille donc de la boucler.
Ulmar cracha à nouveau, et pesta entre ses dents : mais il ne dit rien. La jeune femme avait raison. Le nez bouché était un aléa presque certain d’un voyage dans le froid : mais avec un bâillon dans la bouche, et les poumons compressés par le poids de son corps sur le cheval, bonjour les difficultés à respirer.
Satisfaite, Alizarine se tourna vers Nat’Ash, le jaugeant du regard. Elle ne faisait pas du tout confiance à ce lunatique, mais…
– Al-Far est à deux heures d’ici. C’est là que tu te rends ?
Parce qu’il n’y avait pas trente-six raisons possibles pour se trouver là, dans la lande du Nord en plein hiver, si proche de la ville.