descriptionLoups en terre de fauves
- Loups en terre de fauves
- __ Ouest de Gwendalavir | Nord d’Al-Vor, orée de la Forêt de Barail | 15/03/2015
Alec Ezilea, Elleynah Bathory, Loucian Naït & Anahkee Kayrän
Les odeurs du sous-bois étaient très différentes ici que dans le nord de Gwendalavir. Dans les marches du nord, l’odeur de sapins et d’épines de conifères emplissait l’air jusque dans les hauteurs des montagnes de la Chaine du Poll. Ici, les conifères étaient rares et laissaient la place à une variété d’arbres et de buissons feuillus dont l’odeur rappelait la rosée au matin. Le printemps était bien avancé au sud de l’empire, et même si Alec savait que dans les Marches du Nord la neige ne fondrait pas avant encore plusieurs semaines, il n’en restait ici que quelques traces à l’ombre des arbres. Les bourgeons ne tarderaient pas à faire naitre les feuilles nouvelles et le sol était recouvert de feuilles mortes en un tapis humide étouffant les bruits de pas.
Tôt ce matin-là, avant même que le soleil ne soit levé, Alec était monté sur la selle de son étalon à la robe grise, Éclipse, et avait longé la rivière durant plus d’une heure jusqu’à l’orée de la forêt de Barail. Dans la brume matinale, qui rend tout d’un gris uni, il avait pu voir les collines de Taj s’étendre sur l’autre rive de la rivière. Plus au sud, bien qu’il ne puisse plus voir la ville, Alec savait que se dressaient les hautes tours d’Al-Vor, qu’il avait quitté deux jours plus tôt.
Lui et Nirina avaient repris la route deux jours plus tôt après avoir mené à bien leur mission d’escorte du noble marchand Harrald Til’Alfir. Il y a plus d’un mois, ils avaient quitté la Citadelle et avaient entrepris le long voyage jusqu’à Al-Vor. Enfin, ils étaient sur le chemin du retour. Alec appréciait le voyage, lui qui avant cette mission n’était jamais descendu plus au sud qu’Al-Far. Néanmoins, ses montagnes aux sommets enneigés lui manquaient.
Leur voyage de retour avait été rapidement interrompu lorsque la veille, un peu avant midi, l’une des roues de la charrette que menait Nirina s’était prise dans un trou sur la route. La roue et l’essieu arrière s’étaient brisés et ils avaient dû s’arrêter dans un tout petit village non loin d’Ondiane. Ils avaient eu la chance de tomber sur un ébéniste chaleureux qui proposa de les héberger pour un prix très raisonnable le temps qu’il termine de réparer leur charrette.
Quitte à rester dans le village toute la journée à attendre, Alec avait annoncé la veille à Nirina qu’il partirait à l’aube chasser dans la forêt de Barail. S’il pouvait ramener un Siffleur ou un Coureur, ils n’auraient pas besoin de dépenser pour de la viande pour plusieurs jours. Selon l’avis d’Alec, aucune viande d’élevage n’était d’ailleurs aussi bonne que celles du gibier sauvage.
La région étant assez densément peuplée, il avait dû s’éloigner vers la forêt de Baraïl pour espérer pister un animal. En solitaire qui se respecte, s’éclipser dans la nature ne pouvait que lui faire du bien. Quoiqu’Alec n’était jamais vraiment seul. Comme une ombre grise, la masse impressionnante d’un loup du Nord marchait quelques mètres derrière Alec et sa monture.
Alec sourit en pensant que plus qu’à lui-même, ce moment de chasse loin d’autre présence humaine ferait la joie d’Écho. Le loup n’était pas habitué à côtoyer autant de gens et il passait donc la majorité de son temps à errer dans les boisés environnant des villes et villages où Alec et Nirina s’arrêtaient. Alec le savait nerveux. Les montagnes et les étendues sauvages du nord devaient lui manquer à lui aussi.
Plus nerveux encore qu’Écho, il y avait les villageois et autres Alaviriens qu’il croisait sur sa route. Un loup de plus d’un mètre au garrot, chose tout à fait insolite et menaçante au sud de l’empire, avait la capacité de rendre mal à l’aise même le plus fière des gardes de la cité d’Al-Vor. Écho se méfiait des étrangers, et ils le lui rendaient bien. D’expérience, Alec savait que les situations où Écho était en contact avec des inconnus pouvaient être dangereuses et facilement dégénérer. Déjà que les hommes du nord ne toléraient sa présence que pour ne pas offenser le Frontalier, ceux du sud le percevaient littéralement comme une menace et en avaient une peur bleue. La moindre occasion pour quitter la civilisation avec lui était donc la bienvenue.
Alec lui-même attirait l’attention. Grand, il avait une musculature forte, mais fine, typique des Frontaliers, et avec son armure de cuir et son sabre calé contre sa hanche ne le quittant jamais, tous devinaient rapidement qu’ils avaient affaire à un Frontalier. Cela seul suffisait à attirer le regard des curieux, mais en plus, Alec abordait des cicatrices au visage qui attiraient un tout autre ordre de curiosité. La plus gradée barrait le côté gauche de son visage, de l’arcade sourcilière, barrant son œil, et descendant sur sa joue jusqu’à la ligne de sa mâchoire. Son œil vert clair avait miraculeusement survécu à la blessure. Une autre cicatrice venait fendre ses lèvres, toujours à gauche de son visage, et une dernière, beaucoup moins nette et nettement plus large, zigzaguait à la base de son coup, s’étendant vers son épaule, cachée par sa chemise en lin et son armure de cuir souple.
Le soleil étendait ses premiers rayons de lumière sur l’eau de la rivière lorsqu’Alec arriva finalement à destination. Lorsqu’il mit pied à terre, il remarqua tout de suite des traces dans la terre meuble de la rive. D’énormes empreintes caractéristiques des Tigres des Prairies. Celles-ci étaient fraiches, l’animal les avait précédées de peu. Alec nota mentalement de dire l’information à Nirina lorsqu’il rentrerait au village, la jeune Frontalière étant passionné par ces félins, elle ne manquerait pas de venir tenter de l’observer sur son territoire s’ils devaient rester dans les environs encore quelques jours.
Étant sur le terrain de chasse d’un tigre, Alec hésita avant de descendre de la selle d’Éclipse, mais fini par mettre pied à terre. Son étalon était plus qu’une simple monture pour lui. Il l’avait lui-même entrainé depuis qu’il n’était qu’un poulain, et Éclipse était son frère d’armes au même titre qu’un autre Frontalier. Peut-être même plus, le lien qui les unissant était plus fort que la quasi-totalité des liens qu’Alec entretenait avec d’autres humains. Il en allait de même avec Écho. Néanmoins, il savait sa monture débrouillarde et alerte. Il n’avait nullement besoin d’entraver Éclipse pour que l’étalon ne s’enfuie pas, et cette liberté lui permettrait d’échapper au tigre si celui-ci le prenait pour cible. De toute façon, les traces s’enfonçaient dans la forêt devant lui. C’était plus à son propre potentiel à lui de devenir une proie qu’il devait s’intéresser.
Descellant Éclipse, ne lui laissant qu’un licou léger, Alec déposa la selle et les sacoches sur un tronc couché à l’orée de la forêt. Il caressa l’encolure de son cheval puis passa une main dans ses cheveux mi- longs blonds roux en bataille qui lui retombaient devant le visage. Il n’avait jamais su les dompter. L’air était frais ce matin, mais il ferait chaud dans quelques heures et Alec ne s’était pas embarrassé de sa lourde cape à capuchon rehaussé de fourrure qui lui tenait chaud dans les Marches du Nord.
Il passa son arc par-dessus sa tête et prit une flèche dans le carquois accroché dans son dos. Émettant un léger sifflement habituel réservé au départ pour la chasse, Alec s’engouffra entre les arbres, Écho sur ses talons, les oreilles frémissantes d’excitation.
La chasse lui donnait toujours la même sensation d’excitation au creux du ventre, comme s’il était en parfaite symbiose avec l’excitation du loup. Beaucoup, à la Citadelle, avaient pour dire qu’Alec comprenait mieux son loup que les hommes, depuis la tragédie qui l’avait éloigné de ses proches et amis. Ils n’avaient pas tort. Écho était son frère, son compagnon d’armes, son ami. Il l’avait recueilli alors qu’il n’était qu’un chiot près du corps sans vie de sa mère. La louve avait visiblement succombé à une blessure effectuée par un sanglier. Écho était venu combler le vide que la mort du frère d’Alec, Yaan, avait creusé en lui. Mais jamais Alec n’avait retenu le chien-loup contre son gré. Écho était plus sauvage qu’autre chose, allant librement, mais ayant décidé de rester auprès d’Alec. Ils étaient frères de meute, de la famille.
La région regorgeait de gibier et trouver des traces fraiches de Siffleur ne fut pas difficile pour Alec et Écho. Habituée à traquer des animaux rares et farouches dans les montagnes, la chasse dans le sud s’était révélée d’une grande facilité pour eux. Silencieux, leurs pas étouffés par l’épaisse couche de feuilles mortes et humides au sol, ils pistèrent les traces du siffleur pendant près d’une heure.
Soudain, Écho redressa vivement la tête, son attention détournée de la piste qu’il suivait. Alec, sensible à ses réactions, s’arrête et resserra sa prise sur le bois de son arc. Les oreilles d’Écho se rabattirent sur sa tête, et fixant un point entre les arbres, se mit à grogner agressivement. Alec sut qu’il ne s’agissait pas d’une proie, sinon Écho aurait gardé le silence. Il s’agissait plutôt d’une menace.
Alec pensa tout de suite au tigre des prairies dont il avait aperçu les traces près de la rivière. Avant qu’il n’ait pu donner un signal à Écho, ce dernier sauta en avant dans un grognement menaçant et disparut entre les arbres. Alec jura entre ses dents et ne réfléchit pas une seconde avant de se lancer derrière lui. Tigre ou pas, jamais il ne laisserait son ami courir seul vers un danger.
Il rattrapa le loup qui s’était arrêté, toutes dents sorties, les poils de son dos hérissés. Lui-même tenait son arc bandé, mais il rabaissa rapidement son arme, sans pour autant la lâcher. Alec se redressa lentement, sur ses gardes, se découvrant de l’ombre des arbres et avança jusqu’à Écho, l’effleurant de la main pour l’enjoindre à ne pas attaquer. La silhouette du tigre qu’il s’était attendu à trouver se révéla être une forme humaine.