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A l'aube de notre envol [Wyska Benorith & Elleynah Bàthory]

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Lorsque la soirée s'était amorcée, Elleynah s'était dirigée vers le cirque, le coeur léger. Malgré toutes ses craintes, malgré toutes ses appréhensions, elle avait senti qu'elle avait pris la bonne décision, et désormais, elle n'en doutait plus. Elle avait mis à profit le reste de la journée pour dire au revoir à Eleanor et son fils, Evan, puis pour les derniers préparatifs. Elle n'avait pas encore la réponse de Wyska, mais elle ne doutait pas un seul instant qu'elle serait positive. Elle l'avait vue dans le regard de la jeune fille, et plus encore, dans son coeur. Âme de lumière, âme d'harmonie. Ensemble, une partie de leurs âmes liées à tout jamais. La marchombre rayonnait. Elle semblait avoir fait une croix sur ses doutes et ses craintes, et si elles ne manqueraient pas de revenir à un moment ou un autre, rien n'aurait pu la faire reculer à cet instant.

Lorsque la représentation commença, Elleynah était là. Dans un coin, là où personne ne pouvait la remarquer, mais où elle pouvait tout voir, elle suivit le spectacle avec attention. Elle sourit devant les prestations des uns, s'émerveilla devant d'autres, et lorsqu'elle vit Wyska entrer en scène, un frisson de bonheur lui parcourut l'échine. L'acrobate était rayonnante. Sans le moindre doute, elle effectua son numéro. Emplie d'une grâce dont elle n'avait pas encore eu l'occasion de voir toute l'ampleur. Elle brillait de mille feux, étincelante sous les lumières du cirque, et chacun de ses mouvements semblait raconter une histoire qu'Elleynah écoutait avec attention. Lorsqu'elle eut fini, le public la noya sous un tonnerre d'applaudissements, et Elleynah ne put s'empêcher de sourire.

Lorsque le spectacle se termina, la marchombre attendit que tous les autres spectateurs quittent le chapiteau, et elle partit s'asseoir sur les marches d'une roulotte, invisible et silencieuse. Elle attendrait patiemment que Wyska ait terminé de se changer et de se préparer pour leur départ. S'il s'avérait qu'elle ne venait pas, Elleynah s'en irait. Elle avait décidé d'attendre jusqu'aux premières lueurs de l'aube, pour être sûre. Mais elle n'eut pas à attendre aussi longtemps. Lorsqu'elle vit au loin la silhouette de Wyska, qui la cherchait, la marchombre se leva et alla à sa rencontre. La jeune fille avait des étoiles pleins les yeux. Elle était prête. Elleynah avait ressenti une vague de nostalgie, ne pouvant s'empêcher de se revoir avec son maître, quatorze ans plus tôt. Le temps passait à une vitesse incroyable. La marchombre sourit aux étoiles, et ce sourire était dédié à Enyô. Où qu'elle soit, quoi qu'il lui soit arrivé, Elleynah savait que son maître ne l'avait jamais vraiment quittée.

Elle avait posé un regard bienveillant sur Wyska, et sans un mot, elle s'était glissée dans l'ombre. Ensemble, elles avaient longé les remparts de la ville, jusqu'à un endroit où deux chevaux étaient attachés. Un peu plus tôt, Elleynah était allée les acheter. Après des jours de prospection sans trouver son bonheur, elle avait trouvé ce qu'il lui fallait du premier coup. La sienne était une jument noire, fougueuse et au regard brillant d'intelligence, avec laquelle elle avait immédiatement accroché. Elle répondait au doux nom de Zéphyr. Cela en disait long sur ses capacités. Elle avait deux énormes sacs accrochés à elle, mais ça n'avait pas semblé la déranger. Le cheval de Wyska était un étalon gris pommelé légèrement plus petit, plus jeune, et surtout, bien plus calme. Au premier coup d'oeil, la marchombre avait compris que cela collerait entre la jument et celle qui était désormais son apprentie.

- Wyska, je te présente Tonnerre Céleste. Il est à toi. Tu verras, malgré son nom, il est assez calme. Prends en soin, d'accord ?

La marchombre lui sourit à travers la nuit, et elle flatta l'encolure de sa jument. D'un geste souple, elle grimpa sur son dos, et si la jument renâcla, Elleynah parvint instantanément à la calmer. Il y aurait du travail avant d'instaurer une confiance totale entre elles, et de pouvoir la maîtriser totalement. Mais la marchombre était confiante. Elle n'en était pas à sa première fois. Patiemment, elle attendit que Wyska soit prête, et elle se pencha vers l'oreille de son cheval. Attentif, Zéphyr redressa les oreilles, et sembla se concentrer. Puis, Elleynah fit claquer sa langue. Docilement, il se mit en route. Intérieurement, la marchombre ne put s'empêcher de reconnaître que certaines choses qu'elle connaissait lui facilitait grandement la vie. En jetant un regard en coin à son élève, elle sourit, mais pendant un long moment, elle demeura silencieuse.

Elleynah pensait beaucoup. Elle pensait à ce bonheur immense qui l'emplissait, et qu'elle n'aurait su décrire. Enfin, après tout ce temps, elle reprenait la route. Son coeur bondissait de joie dans sa poitrine, et c'était avec délectation qu'elle profitait de la caresse du vent sur son corps, des étoiles qui brillaient dans le ciel, et de la lune qui les regardait avec bienveillance. Elle se rendait compte d'à quel point ça lui avait manqué. Et puis, il y avait aussi ce bonheur d'avoir Wyska à ses côtés. Jamais elle n'aurait pu imaginer qu'elle reprendrait déciderait de reprendre une apprentie sous son aile, et si on le lui avait dit, elle aurait sans nul doute explosé de rire. Et pourtant, elles étaient bien là, toutes les deux ensemble, et personne d'autre. Avec un sourire malicieux, elle se tourna vers Wyska.

- Tu ferais bien de t'accrocher.

Et elle se pencha à nouveau à l'oreille de sa jument, et murmura quelques mots inintelligibles pour une oreille extérieure. Zéphyr poussa un hennissement et après quelques secondes, elle s'élança au galop. Suivant la jument, l'étalon de Wyska s'élança aussi. Les cheveux au vent, Elleynah se laissa envahir par l'ivresse de la vitesse. Elle écarta les bras, et son rire éclaira la nuit. Depuis combien de temps ne s'était-elle pas sentie aussi bien ? Aussi libre ? Depuis combien de temps n'avait-elle pas sentie le vent fouetter son visage et son corps ? Depuis combien de temps n'avait elle pas senti ce frisson de plénitude l'envahir, au point de ne plus jamais vouloir le laisser partir ? Il lui sembla que c'était une éternité. Et pour la première fois depuis plus longtemps encore, elle se sentit vivante. Incroyablement vivante.

Peu à peu, sa monture ralentit, et Elleynah, ferma les yeux un instant, pour profiter au maximum des sensations qui envahissaient son corps. Elle n'avait pas monté de cheval depuis plus de deux ans, et elle n'était pas mécontente de retrouver la compagnie de ces êtres merveilleux. Derrière elles, Al-Jeit commençait déjà à s'éloigner, et avec elle, Elleynah sentit le passé s'effacer. Elle n'oublierait jamais tout ce qu'il s'était passé, et elle n'aurait jamais l'occasion de le faire. Mais elle acceptait cette partie d'elle-même, et désormais, elle avançait. Toujours plus loin, toujours plus vite. Les limites du monde l'appelaient, et cette fois, elle n'était pas seule pour tenter de les dépasser. Elle avait grandi, et elle avait avancé sur la Voie plus qu'elle n'aurait jamais cru être capable de le faire.

Les yeux plongés dans l'immensité céleste, elle écoutait les bruits nocturnes. Devant elle, les plaines herbeuses s'étendaient jusqu'à l'horizon, rejointes par le ciel obscur, piqué par des milliers d'êtres brillants. Elles n'auraient pu rêver d'une plus belle soirée pour ce départ. Pour leur départ. Et à l'écoute de ce qui l'entourait, Elleynah sentit son coeur exploser. A la lueur de ce futur nouveau, la lune lui offrit le plus précieux des secrets. Elle le garda précieusement en elle, et se fit la promesse de ne jamais l'oublier. Elle vivante, personne ne toucherait un seul cheveux de son apprentie. Elle attendit que Wyska soit à sa hauteur pour reprendre la parole. Sa voix ne fut qu'un murmure, et se fondit dans la nuit avec une facilité déconcertante.

- C'était un très joli spectacle que tu m'as offert ce soir, dit-elle en faisant référence au cirque.  

Wyska l'avait suivie de son plein gré, et elle savait qu'elle était heureuse de son choix. Cependant, il n'était jamais simple de prendre ce genre de décision et de partir de chez soi. Par cette phrase, presque quelconque, Elleynah voulait signifier à Wyska qu'elle était là pour la soutenir et pour l'écouter si jamais elle en avait besoin. Qu'elle pouvait parler du cirque quand elle le désirait, et qu'il n'y avait aucune honte à avoir un passé et des attaches, même au coeur de la liberté. La marchombre songeait notamment à la famille que la jeune acrobate laissait derrière elle. C'était un nouveau monde qui s'ouvrait désormais à elle, et il allait falloir qu'elle s'y acclimate. Les premiers temps allaient être difficiles. Trois ans, c'était à la fois très long et très peu. La marchombre ne pouvait pas se permettre de perdre du temps dans l'apprentissage de son apprentie. Il y avait tant à faire...

Elleynah sentit une force tranquille l'envahir. Elle était paisible. Incroyablement paisible. Les journées étaient de plus en plus chaudes, mais les nuits étaient encore fraîches. Pourtant, Elleynah n'avait pas froid. Au contraire, elle se sentait envahie par une douce chaleur bienfaisante. Son coeur s'emballa encore lorsque, haut dans le ciel, un cri retentit. Elle l'aurait reconnu entre mille. Pendant un instant, la marchombre ferma les yeux, et lentement, elle sortit le bras droit de sous sa cape. Comme à l'accoutumé, il était recouvert d'un protège-bras en cuir. Après quelques secondes de silence, le cri retentit, plus près encore. Comme apparue de nul part, une chouette se posa sur le bras tendu de la marchombre. De la main gauche, elle sortit un petit bout de viande d'une de ses bourses, et l'offrit à l'oiseau. La marchombre rit.

- Bah alors ma belle, où étais-tu ? Tu m'as manquée, tu sais ?

Elleynah caressa affectueusement la tête de l'animal, qui se laissa faire et qui ferma les yeux. Elle n'avait pas revue la chouette depuis son départ du camp des mercenaires du chaos. Ca remontait à presque trois mois. Elle ne s'était pas vraiment inquiétée, parce que l'oiseau était très intelligent, et que c'était arrivé plusieurs fois par le passé qu'elle se débrouille seule pendant quelques temps. C'était dans l'essence même de leur relation. Parfois, elles faisaient un bout de chemin ensemble, et puis la chouette disparaissait quelques temps. A moins que ça ne fut Elleynah qui s'en allait un temps, puis revenait. Personne n'aurait réellement pu le dire.

- Wyska, je te présente Ea. Si un jour tu es perdue, tu pourras lui faire confiance pour t'aider à retrouver ton chemin.

Sa phrase avait un sens littéral, mais aussi un sens beaucoup plus profond, que Wyska ne pouvait sûrement pas encore saisir. Lorsqu'elle avait été au plus bas, et lorsqu'elle avait cru ne pas pouvoir s'en sortir. La chouette ne l'avait jamais abandonné, et elles s'étaient entraidées dans les moments les plus difficiles de leurs existences. L'une et l'autre étaient des survivantes. Ce point commun les liait déjà plus que de raison. Elleynah éprouvait une grande affection pour l'animal, et elle n'aurait su dire exactement si c'était la chance ou la providence qui l'avait mise sur son chemin au bon moment. Elle ne saurait jamais, mais ça n'avait pas la moindre importance. Il fallait accepter de garder une part de mystère. D'un geste du bras, elle aida la chouette à reprendre son envol. Elle la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans l'obscurité, et son coeur s'envola avec elle. Veille sur Wyska, d'accord ? Désormais, la chouette ne serait plus jamais très loin.

- Bienvenue sur la Voie, jeune apprentie.

Sa voix ne fut qu'un murmure qui se fondit parfaitement dans la nuit.

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Wyska ne s'était pas posée plus de questions avant de se mettre en marche. Les questions viendraient éventuellement, curieuse comme elle était, mais pour le moment, l'excitation qui envahissaient ses membres lui empêchait de voir plus loin que le moment présent. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine et elle ne pouvait que s'émerveiller devant les étoiles, devant la nuit et devant le monde. Elleynah la guida le long des remparts de la ville et Wyska observa Al-Jeit sous la lumière lunaire, comme si elle la voyait pour une première fois. Elle reporta enfin son regard vers l'avant lorsqu'elles arrivèrent près de deux cheveux. Une jument noire et un étalon gris pommelé. Le regard de la jeune fille se porta immédiatement sur l'étalon. Il était beau sous la lueur des étoiles. Sa robe semblait rivalisé avec un ciel d'orage ou avec les millions d'étoiles au-dessus de leur tête. Ce qui était certain c'est qu'il lui faisait penser au ciel.

- Wyska, je te présente Tonnerre Céleste. Il est à toi. Tu verras, malgré son nom, il est assez calme. Prends en soin, d'accord ?  

Tonnerre Céleste. Il portait très bien son nom, trouva-t-elle. Et il était à elle. Une boule de joie se forma dans son ventre et elle ne put empêcher un sourire d'illuminer ses lèvres. C'était la première fois qu'elle avait un cheval. Elle n'avait jamais eu grand possession, sans s'en plaindre, car elle n'en avait pas besoin. Mais là, tout de suite, elle se sentait heureuse et reconnaissante. Elle avait toujours adoré les chevaux. C'était des bêtes majestueuses et intelligentes, pleine de surprise parfois. Et elle avait maintenant son propre compagnon pour voyager sur les routes. Ce n'était pas une caravane, ni un groupe. Ce serait elle et Elleynah. Elle et Tonnerre Céleste, suivant Elleynah et sa jument. La joie lui gonflait la poitrine. Elle s'approcha de l'étalon et posa délicatement sa main sur l'encolure de l'animal. Elle plongea son regard vert dans celui foncé du cheval. Il était calme, patient et Wyska eut la certitude de pouvoir améliorer ses compétences très limitées en équitation. Elle sourit.

- Ravie de te rencontrer, Tonnerre Céleste.

Elle caressa le cheval qui attendait qu'elle se hisse sur son dos. Ce n'était pas la première fois qu'elle montait à cheval, mais disons qu'elle n'en avait pas l'habitude. L'étalon était plus petit que le cheval d'Elleynah, mais Wyska dut quand même sauter pour se glisser en selle. Elle remercia mentalement la femme de lui avoir trouvé un cheval calme et sage. Elle ne savait pas comment elle se serait débrouillée avec une tête de mule. Une fois bien installée, elle posa son regard sur Elleynah. Prête. Elles se mirent en route. Tonnerre suivit la jument sans broncher. Il avait beau être plus jeune, il était bien moins fougueux et laissait la tête à son aînée, comme le faisait Wyska. Les deux s'entendraient surement très bien.

En avançant, Wyska laissait son regard se promener partout et redécouvrir cette route qu'elle avait pourtant déjà emprunté. Mais le chemin quittant Al-Jeit lui sembla complètement différent en cette nuit encore froide du printemps. Elle ne l'avait jamais véritablement parcouru de nuit et la situation était tellement différente des dernières fois. La lune éclairait le chemin qu'elles empruntaient et réconfortait doucement la jeune fille dans son choix. Une vague de bonheur et de soulagement la submergeait d'enfin quitter sa cage. Elle se sentait déjà à des lieux de la caravane de cirque alors qu'elles venaient de partir. Son cœur n'appartenait plus au cirque depuis longtemps. Il appartenait à cette Voie. Voie du marchombre. Elle avait croisé Elleynah par hasard, ou était-ce la dame qui avait voulu les aider un peu ? Et depuis que Wyska avait posé son regard pétillant sur la marchombre, elle n'avait pu le détourner. Elle comprenait cette attirance qu'elle ressentait envers la liberté. Envers la Voie. Elle ignorait encore beaucoup de choses et pourtant, la certitude de s'avancer dans le droit chemin lui serrait le cœur. Le vent lui caressait délicatement le visage et la fraîcheur lui faisait le plus grand bien. Ce fut Elleynah qui la sortit de ses pensées. Wyska n'avait pas remarqué le silence qui s'était installé. Celui-ci était confortable, aucune des deux n'avait besoin de parler pour ne rien dire. Elle était ensemble et c'était tout ce qui importait. Elles avançaient ensemble. Sur la Voie.

- Tu ferais bien de t'accrocher.

Elle eut à peine le temps de regarder avant de comprendre ce qui se passait. Elle s'accrocha de son mieux alors que l'étalon s'élançait au galop à son tour. Il avait beau laisser docilement la jument diriger, il n'avait pas l'intention de se faire distancer. Une petite inquiétude trouva une place en Wyska alors qu'elle se tenait fermement. Elle ferma les yeux un instant, mais la peur de tomber s'estompa peu à peu. Elle réalisa que ce n'était pas le temps de fermer les yeux. Et ce ne le serait plus. Elle devait poser son regard sur ce monde nouveau. Elle devait lui appartenir complètement. Elle ouvrit les yeux, se releva un peu pour sentir le vent fouetter son visage. Elle adora la sensation que lui offrit cette course. La vitesse lui montait à la tête et bientôt, elle éclata d'un rire joyeux et discret dans la nuit.  

Graduellement, l'étalon ralentit, suivant le mouvement de la jument quelques pas devant lui. Il respirait bruyamment et Wyska ne put que comprendre son essoufflement après les aventures de sa journée à elle. Aventure qui lui semblait déjà si loin et qui s'était pourtant déroulé quelques heures auparavant seulement. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle avait cette impression que ce qu'elle laissait derrière elle s'éloignait plus vite qu'elle n'avançait. Peut-être était-ce parce que tout ce qui importait était l'instant présent ? Elle et Elleynah. Elle avait fait ses adieux. Elle avait pris le temps qu'il lui fallait pour dire au revoir, pour ranger ses souvenirs là où ils allaient. Maintenant, elle se sentait libre d'avancer. Sans oublier pour autant, mais en laissant de côté cette partie de sa vie qui l'avait vue grandir. Qui l'avait rendue heureuse malgré tout.

- C'était un très joli spectacle que tu m'as offert ce soir.

La voix d'Elleynah aurait pu ne pas se rendre jusqu'à elle, mais Wyska portait bien trop d'attention à la femme pour ne perdre qu'une seule phrase. Et les phrases lui étant destinées venaient la chercher sans même qu'elle n'y mette d'effort. Wyska sourit. Au fond d'elle-même, elle avait espéré qu'Elleynah apprécie le spectacle et son numéro. Elle avait véritablement aimé ses années dans le cirque. C'était quelque chose de merveilleux, emplie de surprises et d'émerveillements. Et même si elle disait avoir mis le cirque dans le passé, elle avait conscience que les acrobaties feraient partie d'elle pour toujours. Elle ne voulait pas que ça en soit autrement. Elle avait toujours aimé avoir le contrôle de son corps et elle comptait continuer dans cette voie. Quelques étirements avant de se coucher et le tour était joué. Elle n'était peut-être plus acrobate à part entière, mais son âme allait continuer à tournoyer vers l'avant. Elle avait toujours aimé voir le monde la tête en bas. Ça ne changerait pas du jour au lendemain. Comme ce désir de voir le monde et de le comprendre. Comme ce besoin d'être plus libre que l'air qui lui caressait le visage. Malgré tout, ce serait les premières fois sans sa famille. Elle se demanda comment seraient les premiers temps. Elle avait l'habitude de l'effervescence du cirque, d'avoir un de ses frères dans les pattes ou d'aider ses parents. Tout serait différent maintenant.

Elle était concentrée dans ses pensées lorsqu'un cri attira son attention. Wyska leva le regard avec curiosité vers le ciel. Qu'est-ce que c'était ? Pour elle, la chouette apparut de nulle part, sortant de la nuit et s'agrippa au bras droit d'Elleynah qui l'attendait. Avec curiosité, la jeune se pencha pour admirer l'oiseau qui se tenait fièrement. Ce devait être la première fois qu'elle voyait une chouette d'aussi près. Celle-ci fermait les yeux sous les caresses de la marchombre et Wyska ne comprit pas tout à fait le lien qui les unissait. Elleynah ne cessait de la surprendre. Et elle devinait facilement qu'il en serait ainsi pour les trois années à venir.

- Wyska, je te présente Ea. Si un jour tu es perdue, tu pourras lui faire confiance pour t'aider à retrouver ton chemin.  

Wyska hocha la tête en continuant d'observer l'oiseau. Elle garda une distance avec l'animal, pas par peur ou inquiétude, mais simplement par respect puisqu'elles ne se connaissaient pas. La chouette posa son regard un moment sur elle et Wyska continua de la fixer. Puis, l'oiseau reporta son attention sur Elleynah qui l'aida à reprendre son envol. La plus jeune suivit des yeux l'animal qui s'éloignait jusqu'à ce qu'il disparaisse complètement dans la nuit. Elle tourna ensuite son regard vers la marchombre. En elle se mélangeant bonheur et fébrilité. Elle se sentait privilégié de suivre la femme et que celle-ci lui partage ce monde. Elle se sentait fière d'être à ses côtés. À sa place. Elle ne voulait être nulle par ailleurs en cet instant et le murmure que lui partageait son maître vint conforter cette idée.  

- Bienvenue sur la Voie, jeune apprentie.

Cette Voie s'étendait devant elle. Tout autour. Jusqu'au plus profond d'elle-même. Elle se sentait respiré à nouveau. Elle offrit un sourire à la femme. Elle ne sut pas quoi répondre avec des mots, mais en elle explosait tant de sentiments face à cette nouveauté. Et les questions commencèrent à se formuler lentement dans l'esprit de l'apprentie en question. Elle avait d'abord été sur l'effervescence du départ et occuper à admirer la nuit qui lui ouvrait grand les bras. Mais maintenant, sa curiosité reprenait le dessus sur ce monde qui l'attendait. Elle avait hâte de découvrir ses moindres facettes. Trois ans. C'était si court et si long en même temps. Elle jeta un coup à Elleynah, mais resta silencieuse, ne sachant pas comment lancer la discussion sans avoir l'air trop insupportable. Elles continuèrent en silence alors que la tête de Wyska croulait sous les réflexions et questions.

Après un moment, Wyska se tourna pour regarder la capitale qui reflétait encore au loin la lumière des étoiles. Elles avaient parcouru un bon chemin depuis leur départ et Wyska se demanda vers où elle se dirigeait réellement. Elle réalisait qu'elles avançaient vers le nord, mais la capitale étant au sud du continent, non loin de l'océan, les vastes territoires au nord de celle-ci laissait un grand choix. Et tant d'autres questions lui caressaient l'esprit concernant cette guilde dont elle venait d'apprendre l'existence. Marchombre. Un mot si doux, mais dont elle ignorait encore toute l'étendue. Elle voulait en apprendre plus. Beaucoup plus. Après quelques coups d'œil qui ne devait pas s'avérer si discret, Wyska se risqua à prendre la parole pour briser le silence paisible qui régnait depuis un moment. Une légère hésitation se fit sentir quant à comment débuter la discussion, puis elle laissa sa voix se glisser dans la nuit.
 
- Allons-nous avancer toute la nuit ?

Il n'y avait aucune plainte dans sa voix. Seulement de la curiosité. Elle espérait aussi qu'avec la réponse à cette question, elle saurait où elles se dirigeaient. Peut-être bien. Elle essayait de préparer le terrain subtilement, pour ne pas être trop énervante avec ses questions. Elle ne pouvait s'empêcher de vouloir en savoir plus. Les interrogations dansaient sur le bout de sa langue et elle attendait le moment propice pour les poser. Elle ne savait pas non plus si elle recevrait de réponses. Ni si elles allaient être précises. Mais elle n'était pas certaine de pouvoir rester silencieuse toute la route.  

Cependant, elle n'attendit pas de réponses très longtemps, car son regard se posa sur le paysage nocturne. Elle observa les plaines les entourant. Elle entendait le clapotement de l'eau qu'elle devinait provenir du Pollimage. Sur le ciel le nocturne se découpait les montages à l'Est qui l'avait plus d'une fois fait rêver. Et son esprit s'envola vers elles. Vers ses hautes montagnes qui surplombaient la terre. Elle n'avait pas eu souvent la chance de s'en approcher, mais les rares fois où elle l'avait fait, elle s'était sentie écrasée par leur présence. Elle avait semblé si minuscule, si insignifiante. Et elle n'avait eu qu'une envie : se retrouver là-haut. Voir le monde à partir du ciel. Sentir le vertige des hauteurs. Avoir l'impression d'appartenir autant au ciel qu'à la terre. Comprendre la montagne. Jouer avec le vent. Ce désir ne l'avait jamais quitté et encore aujourd'hui, elle avait l'espoir qu'Elleynah l'y emmène un jour.  

- Vous vous souvenez... lorsque je vous ai parlé des montagnes ? (Elle marqua une légère pause, cherchant ses mots) Un jour... J'aimerais me rendre au sommet. Vous m'apprendrez ?  

Ça lui semblait un peu inconvenant de demander ainsi. Elleynah acceptait de la guider sur la Voie et déjà, elle lui demandait ce qu'elle y découvrirait. Mais elle avait ce besoin de demander et de comprendre. De savoir. Elle ne pouvait rester silencieuse alors que tant de nouveauté s'ouvrait à elle. Et malgré tout, elle se retenait pour ne pas éclater en millions de questions indésirables. Il y avait tant de choses qu'elle voulait savoir. Elle voulait en apprendre plus sur les marchombres, comprendre cette guilde, comment elle fonctionnait, ce que chaque membre y apportait. Elle voulait en apprendre plus sur cette Voie propre à chacun, sur la façon de la parcourir, sur la poésie qui l'accompagnait, sur les limites qui n'existaient que pour être dépassées. Elle voulait comprendre les murmures du vent et danser avec le ciel étoilé. Elle voulait apprendre. Cette vie lui échappait encore et elle voulait s'y avancer le plus loin possible. Sans arrêter ou se retourner. Elle avait tant de hâte et d'excitation qui parcourait sa colonne qu'elle ne savait pas comment rester tranquillement sur l'étalon. Son corps était encore fatigué, mais son esprit tournait trop rapidement pour lui permettre un repos.  Elle ouvrait la bouche pour une nouvelle question, mais avant de lui poser sa question à la réponse ridiculement évidente, elle s'arrêta.  

- Est-ce que je pose trop de questions ?

Elle n'en avait posé officiellement que trois, mais il y en avait une panoplie qui tournait dans sa tête. Elle avait déjà l'impression d'envahir la femme sous sa curiosité souvent mal venue. Au pire, elle se disait qu'elle ne recevrait aucune réponse. Elle voulait simplement ne pas énerver Elleynah au point que celle-ci regrette de l'avoir emmenée avec elle. Elle s'obligea à contenir ses interrogations et s'obligea à garder les lèvres fermées. Ce qui n'était normalement pas si difficile. Elle jeta tout de même un coup à la marchombre avec l'espoir de ne pas voir une expression irritée sur son visage.

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A ce moment précis, il n'y avait rien qui aurait pu assombrir l'humeur d'Elleynah. Pour la énième fois, elle s'était libérée des chaînes qui tentaient de l'entraver depuis toujours. Libre, voilà ce qu'elle était. Inconditionnellement et parfaitement libre. Et la présence de son apprentie à ses côtés ne pouvaient qu'en être une preuve supplémentaire. Comment aurait-elle pu accepter l'idée d'accompagner une autre personne sur la Voie si rien n'avait changé ? Son regard se posa une nouvelle fois sur la jeune fille. Elle semblait émerveillée et excitée par cette nouvelle vie qui s'ouvrait à elle. La marchombre pensa avec bienveillance que le sourire qui illuminait son visage risquait bien vite de se ternir. Elle n'avait pas prévu d'être tendre avec elle. Si elle voulait lui donner une chance de survivre, il allait falloir qu'elle lui offre un apprentissage encore plus strict qu'à l'accoutumée. Même lorsqu'elle deviendrait marchombre, Wyska ne pourrait pas faire abstraction de l'étiquette qu'elle avait posé sur son front en acceptant de suivre la rousse. Jusqu'à leur mort, Wyska était désormais l'apprentie d'Elleynah. Et que pouvait-il y avoir de mieux pour l'atteindre ?

- Allons-nous avancer toute la nuit ?

La marchombre sourit. Wyska était extraordinairement attendrissante. Elle avait cette pureté et cette innocence qu'Elleynah ne voulait lui enlever pour rien au monde. C'était, au contraire, une force brute à laquelle il allait falloir offrir un équilibre. L'acrobate était un diamant. Il allait falloir la polir un peu, et donner à son éclat toute la splendeur nécessaire, mais il y avait déjà une base extrêmement solide. Et en même temps, c'était un défi plutôt complexe qu'elle s'apprêtait à relever. Il allait falloir lui apprendre à se battre, il allait falloir lui apprendre la beauté de la vie et celle plus rare et subtile de la mort. Il allait falloir lui faire comprendre l'inexistence du vide et la profondeur du vent. Avec le temps, elle apprendrait la couleur du temps et la douceur des ombres, l'infini du monde et toutes les limites qui n'en étaient jamais. Celles qu'elles trouveraient ensemble, et qu'elles franchiraient. Celles qu'elles chercheraient ensuite, pour toujours les franchir. Peut-être comprendrait-elle, quelque part au creux du ciel, l'impossibilité de l'impossible.

- Vous vous souvenez... lorsque je vous ai parlé des montagnes ? Un jour... J'aimerais me rendre au sommet. Vous m'apprendrez ?

Presque aussitôt, une nouvelle question fusa.

- Est-ce que je pose trop de questions ?

Elleynah la regarda. Elle souriait toujours, mais une pointe d'ironie était apparu dans son regard. Elle n'avait pas eu le temps de répondre à sa première question, et déjà, elle en enchaînait une nouvelle. La curiosité était quelque chose d'extraordinaire, que la marchombre cultivait depuis toujours. Ca n'était sûrement pas elle qui allait mettre des bâtons dans les roues de son apprentie, lorsqu'il s'agissait d'apprendre et de découvrir le monde. Et puis, c'était aussi ça qui rendait Wyska touchante. La question qu'elle venait de poser était presque absurde. Elle l'aurait été, posée par quelqu'un d'autre. Peut-être qu'Elleynah n'aurait même pas pris la peine de répondre dans d'autres circonstances. Mais venant de la jeune acrobate, ça n'avait plus rien de stupide. C'était une vraie belle demande qui rendait compte de son désir de toucher les étoiles et de s'élever au sommet. Elle choisit néanmoins de lui répondre avec une touche de sarcasme.

- Oh, ça arrivera bien assez vite, ne t'en fais pas. Tu ne croyais tout de même pas que nous allions demeurer sur la terre ferme éternellement ?

Elleynah leva les yeux vers le ciel, offrant son visage au sourire bienveillant de la lune. C'était là-haut que demeurait une partie de son âme. Depuis toujours et à jamais, même lorsqu'elle avait été enchaînée, clouée au sol, enfermée, mutilée. C'était là-haut que le monde était si beau qu'une éternité ne suffirait jamais pour se lasser de le contempler. Il était encore trop tôt pour que Wyska ne puisse le comprendre, mais un jour, elle saurait. Et elle ne pouvait qu'espérer la voir s'envoler. Il ne pouvait pas en être autrement. Cette image de l'oiseau était bien trop présente en la jeune apprentie. Il lui fallait juste du temps et quelqu'un pour l'aider à déployer ses grandes ailes étincelantes. Et elle y arriverait. Cela ne faisait pas l'ombre d'un doute.

- Demande moi tout ce que tu désires, jeune apprentie. Sois simplement conscience qu'il y a un temps pour formuler les questions, et un autre, bien plus précieux, pour en écouter les réponses. Ecoute, Wyska. Ecoute le silence et ce qu'il a à t'offrir.

Elleynah leva une main, comme pour inviter son apprentie à être attentive à ce qu'il se passait autour d'elles, et la posa ensuite entre les oreilles de sa jument. Elle la caressa avec tendresse. Al-Jeit était déjà loin derrière elles. Elles avançaient à une bonne allure, et elles avaient déjà bien plus progressé que ce que la marchombre avait espéré. C'était en partie dû à la fougue de leurs chevaux, qui progressaient d'un bon pas. Cependant, rien ne pressait, si ce n'était le désir profond qu'avait la marchombre de retrouver certaines sensations perdues. Elles avaient tout le temps pour découvrir le monde et ses merveilles, et Wyska avait bien des étapes à franchir avant de pouvoir prétendre escalader la montagne qu'elle convoitait tant. Elles avaient du travail.

Elleynah se pencha sur sa jument, s'approchant de ses oreilles. Elle émit un premier claquement de langue pour attirer son attention. Ses oreilles se redressèrent brusquement. Elle murmura quelque chose, et Zéphyr changea brusquement de direction, quittant le sentir tracé pour se diriger vers quelques arbres sur le bas côté. Elle s'assura que Wyska la suivait bien, et ils continuèrent à avancer, jusqu'aux abords d'un cours d'eau, assez profond. Elleynah attendit que Zéphyr s'arrête, et se laissa glisser à terre. L'endroit avait l'air paisible. La marchombre attacha sa jument à un arbre, et s'approcha de l'eau, qui coulait tranquillement. Elle s'accroupit, et laissa sa main tremper dans le liquide.

- Est-ce que tu sais nager, Wyska ?

La nuit avait beau être fraîche, la marchombre avait une folle envie de se baigner. La clarté du cours d'eau, ce bruit si léger dont elle avait presque oublié la pureté, et les étoiles qui lui prêtait un manteau tacheté, n'avaient de cesse de l'appeler. Mais ça n'était pas le premier vrai contact qu'elle voulait donner à Wyska de la Voie. Elle aurait tout le loisir de s'amuser le lendemain, et si elle ne savait pas avec exactitude qu'elle serait le programme, ça allait être suffisamment chargé pour que la jeune fille n'oublie pas son premier jour. C'était une promesse qu'elle se faisait. Après quelques instants, elle se redressa et fit face à son apprentie. Elle avait les yeux brillants d'une lueur étrange.

- On verra ça un peu plus tard. Une grosse journée nous attend demain. Il serait judicieux que tu te reposes. Mais avant, je veux te montrer quelque chose.

Elleynah recula légèrement, jusqu'à être quasiment les pieds dans l'eau. Son regard était plongé dans celui de Wyska, et il y avait une sorte de magnétisme étrange entre elles. Un lien déjà presque trop fort. La marchombre ne souriait plus, mais son visage et son regard reflétait une paix indescriptibles. Lentement, la jeune femme entama la gestuelle marchombre.

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Elle fut rassurée de ne voir aucun agacement sur son visage. Mais elle remarqua la touche d’ironie dans le regard de la femme et cela lui fit pencher la tête sur le côté. Et un petit sourire prit place sur son visage sous la réponse de la femme. D’accord, elle était un peu pressée. Mais tout était si nouveau pour elle. Elle ne se contenta que d’un sourire, heureuse de savoir. Elle aurait dû s’en douter. Après tout, Elleynah allait lui apprendre à voler. Au fond d’elle, une pointe de soulagement et d’excitation se faisait sentir. Elle n’était pas pressée d’escalader tout de suite des montagnes, car elle avait conscience de ne pas être à la hauteur de l’effort, mais elle pouvait se dire qu’un jour, elle atteindrait les sommets. Wyska leva le regard vers le ciel à son tour et elle observa les montagnes, elle observa les étoiles. La joie lui serrait la poitrine devant les étoiles qui lui souriaient. Elle avait la conviction qu’un jour, elle les rejoindrait. Lorsque la marchombre reprit la parole, l’apprentie tourna sa tête dans sa direction :

- Demande moi tout ce que tu désires, jeune apprentie. Sois simplement conscience qu’il y a un temps pour formuler les questions, et un autre, bien plus précieux, pour en écouter les réponses. Ecoute, Wyska. Ecoute le silence et ce qu’il a à t’offrir.

Wyska écoutait attentivement et elle repensa un moment aux paroles. Puis, elle hocha la tête et écouta la nuit. Normalement, elle n’était pas du genre à poser des millions de questions et à parler sans cesse, mais devant tant de nouveauté, elle ne pouvait s’empêcher de se questionner et de demander des réponses. Elle était rassurée de savoir qu’elle pouvait poser toutes ses questions, mais elle comprit qu’elle n’aurait pas toujours les réponses directement et qu’elle ne devait pas non plus passer son temps à en poser. Mais Wyska appréciait aussi le silence, alors elle pouvait retourner une question dans sa tête plusieurs fois avant de la laisser franchir ses lèvres. C’était ce qu’elle avait toujours fait et elle continuerait de le faire ainsi.

Elle fut surprise lorsque la jument bifurqua du chemin de terre. L’apprentie se retourna pour voir la route s’éloigner dans leur dos et porta son regard le plus loin possible, mais la nuit réduisait affreusement sa vision. Elle posa finalement son regard sur Elleynah avec des points d’interrogation à la place des yeux. Où allaient-elles ? Tonnerre Céleste ne semblait pas se poser les mêmes questions, lui, et suivait tout simplement la femme. Regardant autour sans cesse pour découvrir vers où elles se dirigeaient, Wyska remarqua un cours d’eau. Puis, la jument s’arrêta et Elleynah se laissa glisser par terre. Tonnerre s’était arrêté près de la jument et Wyska descendit prudemment. Elle posa le pied par terre et s’approcha de son maître pour observer l’eau et l’endroit qui les entourait.

- Est-ce que tu sais nager, Wyska ?

Son regard vert revint se poser sur la femme. Elle pencha la tête avec interrogation. Pourquoi cette question ? Mais elle n’était pas certaine de vouloir le savoir là, tout de suite. Elleynah avait-elle quelque chose derrière la tête ? De son côté, elle n’avait pas l’envie de se baigner en cette soirée. Les nuits du printemps pouvaient encore être froides. Mais elle s’allongerait bien dans l’herbe pour observer les étoiles. Et faire quelques acrobaties pour étirer son corps qui commençait à se sentir engourdi par ses quelques heures à cheval. Elle se demandait si elle allait avoir les muscles endoloris par l’équitation le lendemain. Ce serait mieux avec des étirements très probablement. Elle en ferait avant de se coucher, oui. Elle réfléchissait tant qu’elle ne réalisa même pas qu’elle n’avait pas répondu à la question. Ce fut lorsque la marchombre reprit la parole qu’elle s’en rendit compte.

- On verra ça un peu plus tard. Une grosse journée nous attend demain. Il serait judicieux que tu te reposes. Mais avant, je veux te montrer quelque chose.

Le regard de la jeune fille continua à suivre la femme. D’accord, plus tard pour la nage. Mais pourquoi au juste ? Elle allait savoir plus tard, mais elle ne pouvait éviter de se poser des questions. Elle posa son regard à nouveau sur le point d’eau, puis reporta son attention sur son maître en se disant que ça reviendrait demain. Et avant tout, le repos serait bien accueilli par la plus jeune qui sentait la fatigue pesée sur elle. Malgré sa sieste de l’après-midi, la journée l’avait véritablement vidée de ses énergies et le spectacle avait pris une bonne partie des forces qu’elle avait reprises. L’excitation lui avait permis de rester éveillée ces dernières heures, mais maintenant qu’Elleynah le disait, elle réalisait la fatigue qui l’envahissait peu à peu. Elle étira ses épaules pour chasser l’engourdissement de ses membres et approcha de la femme pour voir ce qu’elle voulait lui montrer. Elle la vit reculer jusqu’à ce que ses pieds touchent presque à l’eau. Leurs regards étaient plongés l’un dans l’autre et la même impression parcourait le corps de Wyska que lorsqu’elles étaient sur la corde. Une impression d’être seules dans un monde qui leur appartenait. Ce qui les reliait semblait déjà plus fort que cette fois-là alors qu’elles n’avaient passé qu’une journée de plus ensemble. Mais les choses étaient différentes. Il y avait une proposition qui les avait rapprochées plus que Wyska n’aurait cru. L’apprentie se laissa envelopper par la paix qui se dégageait de la femme et son regard suivit les premiers mouvements d’Elleynah avec curiosité.

Pendant quelques minutes, elle observa, se tenant immobile. Puis, elle osa finalement bouger. Elle leva un bras pour imiter un premier mouvement avec lenteur. Elle en suivit un deuxième. Et un troisième avec un temps de retard. Elle s’immisça tranquillement dans la gestuelle. Sans chercher à comprendre, elle complétait les mouvements avec calme et sérénité. Elle ne savait pas pourquoi, mais à force de la regarder, elle avait eu envie de le faire elle aussi. Sans décrocher son regard vert de chacun des mouvements d’Elleynah, elle les reproduisait, les suivait et commençait à suivre le temps. Mais ses muscles se sentirent rapidement si détendus qu’ils ne voulurent plus bouger. Elle prit une grande inspiration et s’immobilisa. La fatigue tirait son corps vers le sol. L’envie de s’endormir se faisait plus fort. Mais plutôt que de s’étendre sur l’herbe, elle continua d’observer Elleynah jusqu’à ce que celle-ci cesse la gestuelle.

Un petit sourire s’afficha alors sur le visage de Wyska et elle retint un bâillement. Elle fut heureuse et soulagée lorsque la femme lui proposa un repos bien mérité après la journée et pour se préparer au lendemain qui ne s’annonçait pas de tout repos non plus. Wyska accepta la couverture qu’on lui tendait et s’emmitoufla dans celle-ci en s’assoyant au sol. Il faisait frais, mais elle était confortablement enroulée dans cette chaude couverture. La jeune leva les yeux vers le ciel en se disant que c’était la première fois qu’elle dormait véritablement à la belle étoile. Normalement, avec la caravane, elle avait toujours son lit douillet à proximité. Elle se demanda si elle aurait quelques difficultés à s’endormir, mais la fatigue dans ses membres la rassura. Elle serait surement endormie avant de pouvoir se dire inconfortable. Elle ne pensa ni à un feu, ni à grignoter, ni à discuter. Ses yeux étaient lourds et elle s’allongea sur le sol avec un soupir heureux. Elle fixa les étoiles, mais ne put pas réfléchir sur leur beauté, car elle s’endormit presque aussitôt. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais cette journée avait été particulièrement éprouvante et elle se laissa aller dans les bras du sommeil qui la berçait doucement. Elle était paisible.

Les premiers rayons du soleil lui chatouillèrent le nez à l’aube et elle grimaça. Elle tira la couverture pour cacher son visage, mais elle n’eut pas le temps de se rendormir qu’on lui poussait l’épaule. Avec un soupir, elle ouvrit les yeux et se tourna. Elle se retrouva nez à nez avec le museau de Tonnerre qui renâclait. Elle sursauta de surprise, puis éclata finalement d’un grand rire. Elle s’assit et posa sa main sur le museau du cheval qui la regardait avec un air joueur. Wyska se leva, se sentant à mille lieues de la vie qu’elle avait toujours vécue. Aucune caravane, aucune routine. Elle jeta un coup d’œil au cheval qui la regardait toujours. Haussant le sourcil, Wyska laissa un sourire se dessiner sur ses lèvres.

- Et qu’est-ce que tu veux ?

Elle ne pouvait pas se dire douer avec les chevaux et elle ne comprenait pas vraiment ce qu’il lui voulait à l’instant, mais elle devait avouer qu’elle le trouvait vraiment chou. Ils se connaissaient depuis peu, mais Wyska appréciait déjà l’étalon. Elle s’approcha lentement de l’eau, suivie par l’animal, et elle se pencha pour s’hydrater. L’étalon, pour sa part, préféra marcher directement dans l’eau peu profonde du bord et envoya quelques vagues mouiller la jeune fille. Wyska posa un air faussement outré sur l’animal, mais éclata rapidement de rire alors que l’animal posait son regard foncé sur elle. Pieds nus, elle avança dans l’eau à son tour. Elle frissonna au contact du liquide froid, mais ça ne l’empêcha pas de rejoindre le cheval qui prenait plaisir à éclabousser les alentours.

Puis, son regard croisa celui d’Elleynah qui s’approchait. Elle lui sourit et sortit ses pieds de l’eau pour s’avancer vers elle. Elle n’avait pas été très attentive sur son entourage en se réveillant, trop émerveillée par l’étalon qui l’avait réveillée et à ce que la vie pouvait lui offrir, mais elle avait conscience que la journée ne serait pas dédiée à l’amusement et elle reprit un peu son sérieux. Après les salutations et questions polies sur les sommeils, elles mangèrent ensemble un morceau et Wyska resta d’abord silencieuse. Puis, entre deux bouchées, elle parla :

- Je sais nager. Enfin, je connais les bases pour ne pas couler.

Elle continua à grignoter et à regarder le paysage qui s’illuminait d’une douce lumière. Elle apprécia les couleurs qui lui avaient échappé durant la nuit et le vent était doux en cette matinée qui se réchauffait déjà. Lorsqu’elles eurent terminé, Wyska resta assise et observa Elleynah s’approcher du point d’eau. Mais elle ne put pas rester assise bien longtemps, la curiosité l’appelant. L’apprentie se leva finalement pour la rejoindre en se disant que la femme devait avoir quelque chose derrière la tête. Elle ne savait pas si elle devait s’inquiéter ou non pas la journée qui s’annonçait, mais elle faisait confiance à Elleynah. Tout de même, elle ne pouvait empêcher cette boule de nervosité de creuser son ventre. Elle se demandait comment seraient ces trois années, si elle allait être à la hauteur et surtout quels genres d’épreuves lui allait lui causer soucis et doutes.

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Elleynah était parfaitement consciente que son apprentie ne pouvait pas saisir toute l'ampleur de la beauté de la gestuelle marchombre du premier coup. Elle-même avait mis du temps avant d'en comprendre le sens, et aujourd'hui encore, il n'était pas rare qu'elle découvre de nouvelles dimensions à cette pratique qu'elle effectuait pourtant plusieurs fois par jour. A chaque fois, elle avait l'impression de se rapprocher un peu davantage du ciel, et de toucher du bout des doigts l'inaccessible. Un jour, elle savait qu'elle ne se contenterait plus de le frôler, mais qu'elle pourrait en décrire les couleurs et les courbes avec certitude. Peut-être serait-ce le lendemain, ou peut-être dix, vingt, trente ans plus tard. Quelle importance ? La mort même ne saurait l'empêcher de parcourir la Voie. Discrètement, un sourire serein naquis sur les lèvres de la marchombre. Elle était en paix.

La marchombre lâcha un petit rire lorsque Wyska bailla. La journée avait été rude pour la jeune fille, mais ça n'était rien en comparaison de ce qui les attendait par la suite. Pour cette nuit, elle laisserait son apprentie tranquille. Mais il s'agirait sans doute de la dernière fois avant longtemps. Elleynah lui proposa donc de dormir, et elle lui tendit une couverture chaude. Le lendemain, elle lui donnerait sûrement ses nouveaux vêtements, et de nouvelles chaussures, dont elle aurait bien besoin pour survivre à ce qui l'attendait. La rouquine ne dormit que très peu cette nuit-là. Elle passa une grande partie de la soirée à effectuer son entraînement, plus silencieuse qu'une ombre, avec pour seuls témoins les astres bienveillants et son apprentie endormie. Plusieurs fois, elle se surprit à la regarder, attendrie. Elle se demandait si la jeune fille savait dans quoi elle s'était engagée.

Longtemps avant le lever du jour, Elleynah s'accroupit, les pieds dans l'eau, et demeura immobile. Elle écouta le silence et les bruits de la nuit, elle écouta la respiration de Wyska et les glissements de la rivière. Elle avait retiré sa cape et ses chaussures, et elle laissait le vent et l'eau caresser sa peau. Malgré la fraicheur de la nuit, elle n'eut pas froid. Pendant tout ce temps, elle laissa son corps se reposer, tandis que son esprit voguait vers de multiples pensées qui n'appartenaient qu'à elle. Lorsque les premiers rayons du soleil percèrent le ciel nocturne, elle accueillit leur chaleur avec délectation. Elle avait décidé de laisser dormir Wyska encore un peu, mais son cheval en décida autrement. Elleynah se redressa, les pieds toujours dans l'eau, et finit par s'approcher de la jeune fille avec un sourire en coin. Elle la taquina sur la profondeur de son sommeil, et elle lui proposa de manger un morceau.

- Je sais nager. Enfin, je connais les bases pour ne pas couler.

Elleynah demeura silencieuse, et elle finit par se lever. L'air était doux et agréable, et il n'y avait presque pas de vent. La jeune femme s'approcha de ses affaires, et sortit deux morceaux de bois qu'elle emboita l'un dans l'autre pour former un bâton d'environ un mètre. Lentement, la marchombre s'approcha du bord de l'eau, et elle entreprit de se déshabiller. Dos à Wyska, elle noua ses longs cheveux roux, et elle retira son haut, puis son pantalon. Lentement, elle dévoila son corps encore maigre et couvert de cicatrices plus ou moins récentes. Il y avait notamment la blessure à l'épaule qui datait de la veille, toujours maintenue fermée par un épais fil noir, et quelques autres trainées rouges qu'elle avait hérité de son affrontement avec Cyrà. La marchombre songea que cela pouvait mettre son élève mal à l'aise, et elle s'en amusa. Elle n'avait pas envie que ses vêtements soient mouillés pour le reste de la journée. Elle les plia soigneusement, et les mis sur une pierre, là où l'eau ne pourrait pas les atteindre.

Puis, elle pénétra dans l'eau fraiche, avec délectation. Elle tenait le bâton dans sa main droite. Ce contact lui avait manqué plus qu'elle n'aurait su le décrire. La marchombre avait toujours aimé se baigner, et il n'y avait que peu de sensations qu'elle appréciait plus que celle de son corps flottant dans l'eau claire. Elle avait un peu la sensation de voler, et de se fondre au milieu d'un milliard d'éclats de vie, qui se coulaient les uns dans les autres, jusqu'à ne former qu'une seule et même entité. Elle n'aurait su décrire avec précision tout ce qu'elle ressentait lorsqu'elle était dans l'eau. La maîtrise de soi, de ses gestes et des éléments était indispensable si l'on voulait se mouvoir avec autant d'aisance que sur terre. Ca n'avait pas été simple, mais aujourd'hui, elle y parvenait. La marchombre s'enfonça jusqu'à ce qu'elle n'ait plus pieds, puis elle se tourna vers son apprentie. Elle lui offrit un sourire narquois.

- Eh bien, qu'attends-tu ? Tu n'es pas obligée de retirer tous tes vêtements si tu n'es pas à l'aise, j'en ai d'autres à te donner.

D'un geste, la marchombre fit tourner le bâton entre ses mains comme si l'eau avait été de l'air. Elle ne semblait pas être mise en difficulté, ni par le fait de ne pas avoir pieds, ni par la résistance de l'eau.

- Vois-tu, jeune apprentie, la Voie des marchombres est une Voie de paix et d'harmonie. C'est être en harmonie avec toutes choses, et avec soi-même avant tout. L'eau est une force brute et indomptable, qui possède une multitude de surprises, que je te laisserai découvrir au fil du temps. Un marchombre comprend qu'il ne faut pas lutter contre cette force. Il ne faut pas s'en faire un ennemi, mais devenir son allié. Il faut comprendre ses mouvements et les accompagner, connaître sa force et se jouer d'elle. Je ne te demande bien évidemment pas de faire tout ceci aujourd'hui. En revanche, je veux que tu comprennes cette histoire de force, et que tu mesures toute l'importance de connaître le milieu dans lequel on évolue. Ne pas couler ne suffira pas ici. L'eau n'est pas ton ennemie. L'eau n'est pas ton maître. Ne la laisse pas prendre le dessus sur toi.

Elleynah tendit le baton à Wyska pour qu'elle s'y accroche. L'objectif de la marchombre n'était pas d'apprendre à son apprentie à parfaitement bien nager. Enfin, ça en faisait partie. Mais d'abord, il y avait des choses plus importantes qu'elle voulait lui faire comprendre. Et elle espérait sincèrement pouvoir y arriver par la méthode douce. Son but n'était pas de traumatiser la jeune fille dès son premier jour d'apprentissage. Mais le sourire de la marchombre avait disparu, pour se changer en un regard empli de concentration et de force. Il était primordiale qu'elle comprenne.

- Je veux que tu fermes les yeux. N'aie pas peur, tu ne risques rien. Je te tiens. Est-ce que tu te souviens de notre première rencontre ? Là-haut, sur le fil, tu n'as pas eu peur de tomber. Le vide et l'eau sont deux forces contradictoires et qui, pourtant, ont un grand nombre de similitudes. Il est facile de ressentir le mouvement du vide. Est-ce que tu parviens à ressentir le mouvement de l'eau ?

La marchombre demeura quelques instants silencieuses, laissant à son apprentie toute la possibilité de comprendre ses paroles et de sentir ce qu'elle devait sentir. Si elle n'y arrivait pas du premier coup, ça n'était pas grave. Son apprentissage venait tout juste de commencer, après tout. C'était un choix très particulier qu'elle avait fait, mais ça n'était pas anodin. Dès le départ, elle voulait faire apercevoir à son apprentie toute la beauté de la Voie, et toutes ses possibilités, même si c'était d'une façon très infime. Il était important qu'elle puisse frôler l'impensable pour pouvoir, un jour, comprendre que rien n'était impossible.

- Quand tu seras prête, nous descendrons. Tu pourras rouvrir les yeux, une fois que nous serons sous l'eau, murmura-t-elle.

Lorsque ce fut le bon moment, Elleynah prit une inspiration et entraîna son apprentie sous l'eau. Tout était différent, dans les profondeurs sous-marines. La rivière n'était pas extrêmement profonde, mais elle l'était suffisamment pour que la marchombre puisse montrer à son apprentie tout ce qu'elle souhaitait lui montrer. Le monde aquatique était très différent de celui terrestre. Il y avait ce silence, cette magie dans les couleurs, cet univers incroyable de diversité. Elleynah les fit couler jusqu'au fond, et elle sembla se mettre debout sous l'eau. Il y avait des algues et des poissons autour d'elles, et les rayons du soleil offraient un millier de couleurs incroyables. Lentement, elle entreprit de faire bouger le bâton qui la reliait à Wyska, pour lui montrer toute l'ampleur de la force de l'eau et de leurs gestes. Puis d'un seul coup, elle se mit à reculer, entraînant son apprentie avec elle.

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Toujours assise, Wyska terminait son déjeuner tout en gardant son regard sur Elleynah. Elle la regarda se lever, sortir des morceaux de bois, en faire un bâton et s’approcher de l’eau. Tout ça, avec des yeux curieux de savoir ce qu’elle préparait. Puis, la femme se dévêtit. Wyska en resta surprise et détourna le regard. Elle ne pouvait pas regarder quelqu’un qui se déshabillait. C’était mal poli et elle n’avait pas ce désir de faire du voyeurisme sur un corps féminin. Ni sur un corps masculin d’ailleurs. Mais Wyska ne put empêcher un regard vers les nombreuses cicatrices parcourant le corps de la marchombre. Son regard ne fit que passer avant de regarder ailleurs. Elle n’oserait pas fixer les cicatrices et encore moins poser des questions. Même si, elle devait l’avouer, elle s’était demandé d’où elles venaient. Cependant, ça ne la regardait pas. Elle en avait pleinement conscience et les oublia. Elle attendit, ne sachant pas trop quoi faire de plus. Elle reporta son regard sur son maître lorsque celle-ci s’enfonça dans l’eau, avant de se tourner vers elle.

- Eh bien, qu’attends-tu ? Tu n’es pas obligée de retirer tous tes vêtements si tu n’es pas à l’aise, j’en ai d’autres à te donner.

Wyska resta d’abord immobile un moment. Elle fixa Elleynah avec de grands yeux en ne pouvant s’empêcher de se poser des questions. Elle se leva et en s’approchant de l’eau, elle eut envie d’y plonger à son tour, mais elle marqua une pause au moment de retirer ses vêtements. Elle se fichait bien de ce qu’on pensait d’elle, mais c’était quand même gênant de se retrouver nue devant quelqu’un d’autre. Ce n’était pas la première fois qu’elle se baignait, mais elle était généralement seule. Elle n’hésita pas très longtemps. Elle n’avait peut-être pas un corps de femme accomplie, mais elle se sentait bien avec elle-même. Elle retira ses vêtements. Son corps était musclé finement par les acrobaties et ne laissait paraître aucune cicatrice. La douceur de sa peau rappelait l’innocence dont elle faisait preuve devant les épreuves de ce monde. Elle s’avança vers le point d’eau et fit ses premiers pas dans le liquide alors que la marchombre reprenait la parole.

L’apprentie écouta chaque mot avec attention. Elle voulait les comprendre, se les approprier. La force. L’harmonie. Elle voulait comprendre. Elle posa délicatement ses mains sur le bâton que lui tendait la femme pour s’y accrocher et continua de s’enfoncer jusqu’à ce que ses pieds ne touchent plus le sol, elle aussi. Ses pieds battaient l’eau et elle ne lâchait pas le bâton. Elle s’accrochait et écoutait. Elle essayait de comprendre les forces de l’eau, mais c’était encore abstrait pour elle. Elle ne doutait pourtant pas qu’Elleynah ait raison. Il lui fallait plus que ne pas couler. Elle devait comprendre les forces qui l’entouraient. Elle voulait les comprendre et s’harmoniser à celle-ci. Elle reposa son regard sur la marchombre lorsqu’elle continua et elle hocha la tête doucement.

Lentement, elle ferma les yeux et laissa les mots d’Elleynah couler en elle. Elle lui faisait confiance. Comme sur la corde. Elle n’avait pas peur. Elle voulait comprendre. Elle écoutait. Elle se souvenait de la sensation de vertige et de vide. Elle oublia la possibilité de couler, car elle ne coulerait pas. Elle devait ressentir les mouvements de l’eau. Elle sentait le liquide autour d’elle, les petites vagues qui se fracassaient doucement contre sa peau. Elle avait conscience que l’eau bougeait autour. Le liquide n’était jamais immobile. Il se déplaçait. Mais elle n’arrivait pas à comprendre les forces de ce mouvement. Elle ne savait pas comment s’harmoniser à celui-ci. La jeune fille fronça les sourcils en essayant de capter le mouvement de l’eau. Elle sentait qu’elle bloquait son chemin. Elle avait l’impression d’être une pierre au fond de l’eau. Ce n’était pas ce qu’elle voulait. Elle voulait se glisser entre les courants elle aussi et pas se faire repousser. Comprendre ses forces était bien plus compliqué que ce qu’elle avait imaginé, mais elle n’avait pas l’intention d’abandonner.

Cependant, elle aurait le loisir de recommencer plus tard. Elleynah voulait lui montrer autre chose et Wyska prit une grande inspiration à la suite de la marchombre avant de s’enfoncer à son tour, entraîner par le mouvement de son maître. Wyska ouvrit alors les yeux. Si l’eau la gêna un moment, elle put rapidement admirer le décor sous-marin. Elle dut se retenir pour ne pas ouvrir la bouche dans une exclamation émerveillée. Normalement, elle essayait de garder la tête hors de l’eau, elle n’avait jamais réalisé à quel point elle pouvait manquer la beauté du monde. Les couleurs étaient ce qui l’attirait le plus et les rayons du soleil rendaient les fonds marins cristallins et d’une beauté à couper le souffle.

Wyska regarda Elleynah se mettre debout et ne put que se demander comment elle faisait cela. De son côté, elle flottait au milieu, battant les jambes par habitude et maintenue par le bâton au fond de l’eau. Elle regarda les poissons tournés autour d’Elleynah, puis autour d’elle et elle retint un sourire. Elle sentit alors qu’Elleynah bougeait le bâton et la jeune reporta toute son attention sur la femme et sur les forces qui les entouraient. Son corps suivait le mouvement et les mouvements de l’eau glissaient autour d’elle alors que la marchombre l’entraînait plus loin. Wyska se concentra de son mieux. Elle n’arrivait pas à atteindre le sol de ses pieds, comme le faisait Elleynah, mais elle essayait plutôt de comprendre la force de l’eau et son mouvement. Elle sentait que le liquide la poussait, qu’il la ferait avancer si Elleynah n’était pas là pour la guider et comprendre cette faiblesse qui était la sienne l’énerva un peu. Elle savait ressentir le vide, pourquoi ne pouvait-elle pas ressentir l’eau ? Ressemblance et différence. Elle regarda la femme et sa façon de se mouvoir dans l’eau. Cela semblait si facile pour elle. Comment fallait-il faire ? Réfléchissait-elle trop ?

Elle se sentit alors guider vers le haut et lorsque sa tête se retrouva à l’air libre, elle réalisa l’urgent besoin qu’elle avait de respirer. Elleynah la laissa reprendre son souffle un moment avant de l’entraîner à nouveau sous l’eau. Cette fois, Wyska ferma les yeux pour ne pas être distraite par les beautés marines. Elle réfléchit, se concentra avec sérieux pour comprendre l’eau. Mais elle ne semblait pas y parvenir. Ce devait être la cinquième fois qu’elle demandait à Elleynah de replonger lorsqu’un déclic se fit en elle. Elle ne pourrait pas dire qu’elle comprenait tout à fait, mais elle sentait les mouvements de l’eau qui glissait sur son corps. L’eau l’évitait soigneusement, doucement et sans se fracasser sur elle comme elle avait cru. L’eau ne voulait pas l’éloigner, elle voulait simplement continuer sa route, comme Wyska voulait continuer le sien. Était-elle sur la bonne voie ? Elle n’en était pas certaine, mais elle ne s’inquiétait plus d’être entraînée sans ménagement par l’eau. D’accord, elle ne voudrait pas plonger dans une rivière à fort courant, mais pour le moment, dans celle-ci, elle commençait à comprendre ce qu’Elleynah entendait par force. Ou en fait, elle croyait le comprendre.

Lorsqu’elle revint à la surface, ses yeux brillaient d’un nouvel éclat. Elle ne pouvait pas dire qu’elle avait tout compris, elle ne pouvait pas nager parfaitement seule et n’osait surtout pas lâcher le bâton que lui tendait toujours Elleynah, mais elle avait fait un petit pas vers l’avant. Elle le sentait. Elle sentait une pointe d’excitation s’enflammer en elle. Et elle eut l’impression de pouvoir y arriver avec un peu d’entraînement. Wyska n’était pas le genre de personne à penser qu’on réussissait du premier coup. Avec le cirque, elle s’était beaucoup entraînée, sans jamais se considérer parfaite, voulant toujours dépasser ses limites. Elle était donc prête à travailler pour avancer sur la Voie que lui offrait Elleynah. C’était ce qu’elle voulait plus que tout. Mais elle n’imaginait pas que ça se ferait sans effort. La femme lui avait même fait savoir et Wyska était donc prête à se donner à fond.

- Les mouvements de la rivière... L’eau suit son chemin et je ne dois pas simplement me mettre au travers de sa route. C’est comme se glisser dans une foule pleine à craquer. Un seul faux pas, et nous sommes entraînés par la marée de gens.

Elle réfléchit un petit moment encore à l’exemple qu’elle avait donné. Avait-elle raison ? Est-ce qu’elle commençait à comprendre la rivière ou était-elle à côté de la plaque complètement ? Les impressions qu’elle avait étaient celle-là. Elle voulait se glisser entre les courants de la rivière comme elle le faisait entre les membres d’une foule compacte.

- Je veux recommencer… Et j’y arriverais bien. J’arriverais à comprendre l’eau.


Là, au milieu de l’eau, se tenant toujours au bâton, Wyska avait un regard déterminé. Elle voulait réellement comprendre cette rivière. Pouvoir jouer avec elle et ne pas être poussé par le courant. Elle voulait se tenir au fond de l’eau pour admirer les beautés comme le faisait Elleynah. Elle ne se doutait pas que ça viendrait plus tard. Pour l’instant, elle se concentrait sur comprendre les mouvements de l’eau et se glisser entre eux. Elle espérait qu’elle y arriverait. Et elle espérait ne pas faire fausse route. Elle posa son regard sur son maître. Elle attendait qu’elle l’entraîne à nouveau vers les profondeurs sous-marines. L’apprentie n’avait pas encore osé laisser le bâton et continuait de se laisser guider par Elleynah. Elle s’inquiétait de lâcher le bâton sans avoir compris la rivière complètement. Elle ne voulait pas être entraînée par le courant et tant qu’elle savait qu’Elleynah la retenait, elle se sentait rassurée. Même si elle savait au fond qu’apprendre par soi-même pouvait être bénéfique.

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Le temps s'écoulait à une vitesse folle, glissant entre les doigts de la marchombre comme l'eau de la rivière. De nombreuses fois, Elleynah et Wyska refirent surface pour plonger à nouveau dans l'eau. La rousse observait son apprentie avec attention, jaugeant chacun de ses mouvements, chacune de ses expressions, et elle fut satisfaite par la détermination dont elle semblait faire preuve. C'était un exercice compliqué, qu'elle avait décidé de lui faire faire davantage pour la tester que dans l'espoir qu'elle le réussisse. Elle-même avait mis des mois et des mois à comprendre ce que son maître avait voulu lui dire, en parlant de l'âme de l'eau. Cependant, elle voulait savoir si Wyska était capable de faire abstraction de ce qu'elle connaissait déjà pour s'élancer sur la Voie. Il s'agissait là de ses tout premiers pas, et Elleynah sentit une étincelle de fierté dans son coeur, lorsqu'elle vit la détermination dont son apprentie faisait preuve. S'il lui restait l'ombre d'un doute, il s'évanouit aussi vite que la nuit lorsque le soleil fait son apparition.

Après une énième tentative, Elleynah et Wyska remontèrent à la surface. La marchombre perçut immédiatement que quelque chose avait changé dans le regard de la jeune fille. Une porte, aussi infime soit-elle, s'était ouverte, libérant un nouvel état de conscience. C'était le premier d'une longue lignée. En tous les cas, c'était ce qu'espérait Elleynah. Une petite voix lui soufflait qu'elle n'avait pas à s'en faire, et que Wyska irait très loin sur la Voie. Après tout, elle n'avait pas non plus n'importe quel maître. La marchombre attendit que son apprentie trouve ses mots afin de les lui offrir, avec une patience à tout épreuve. Elle s'étonna elle-même : c'était la première fois qu'elle se sentait autant en paix avec elle-même, autant ancrée dans l'instant présent, sans regard sur son passé ni sur son futur.

- Les mouvements de la rivière... L’eau suit son chemin et je ne dois pas simplement me mettre au travers de sa route. C’est comme se glisser dans une foule pleine à craquer. Un seul faux pas, et nous sommes entraînés par la marée de gens.

Elleynah ne sourit pas, mais dans ses yeux, une lueur amusée apparut. C'était une interprétation qui appartenait pleinement à Wyska. La marchombre considérait qu'il n'y avait pas qu'une seule vérité, mais toute une ribambelle de vérités différentes, qui se prêtaient sans difficulté à l'élasticité de l'âme de chacun. Wyska voyait l'eau comme une entité vivante qui progressait au gré de sa propre force. C'était une belle image que la rousse appréciait. Cependant, elle savait que la jeune fille n'avait pas encore tout compris de la potentialité que lui ouvrait le monde aqueux. Ca n'était pas important pour le moment. Elle avait déjà réussi à trouver une des clés qui lui permettrait de comprendre, et un jour, de danser au milieu des poissons et des algues, sous un millier d'éclats de lumière.

- Je veux recommencer… Et j’y arriverais bien. J’arriverais à comprendre l’eau.

Cette fois, Elleynah lâcha un rire franc. Elle était heureuse de l'acharnement dont faisait preuve son apprentie, mais il y avait quelque chose de plus important encore que la persévérance : la patience. Si elle voulait tout réussir tout de suite, si elle voulait tout obtenir aux premiers essais, elle risquait de sombrer dans la simple recherche de performance. Et lorsque l'on commence à vouloir performer à tout prix, on en oublie l'essentiel. Il était important que Wyska comprenne qu'elle ne pouvait pas aller plus vite que le monde, quitte à griller d'importantes étapes. La jeune fille ne savait pas même nager correctement, alors comment pouvait-elle espérer parvenir à comprendre l'eau ? Elleynah se revoyait, des années et des années plus tôt, fougueuse et pleine de vie, désireuse d'en apprendre toujours davantage, et d'assouvir toujours un peu plus sa curiosité.

- Du calme, jeune apprentie. Tu y retourneras, mais pas tout de suite.

Elleynah nagea en direction d'un endroit où elle avait pied, et elle entraîna Wyska à sa suite. Pour l'heure, elles avaient autre chose à faire. Le soleil était déjà haut dans le ciel. Elles avaient passé plusieurs heures à faire ces mêmes mouvements, et la marchombre avait trouvé une certaine satisfaction, lorsqu'elle avait senti son corps répondre à la moindre de ses sollicitations. Elle avait mis beaucoup de temps avant de retrouver toutes ses capacités, et il y avait certainement des points sur lesquels elle n'avait pas tout retrouvé. Elle avait passé deux années entières sans pouvoir effectuer son entraînement. C'était un temps horriblement long, qu'elle ne pouvait pas espérer effacer en quelques jours, quelques semaines, ni même quelques mois. La plupart de ses capacités étaient revenues très vite, mais d'autres mettaient plus de temps.

Elleynah arracha doucement le bâton des mains de Wyska, et le posa à côté d'elle. Ensuite, elle partit s'asseoir au bord de l'eau, offrant son corps au soleil pour qu'il la sèche. Son regard ne quitta pas son apprentie, et elle ne lui laissa pas le temps de penser à faire comme elle. Du menton, elle pointa la rivière qui s'écoulait tranquillement, et un sourire doux se dessina sur son visage. La marchombre allait se reposer un peu, mais il était hors de question qu'elle laisse ce luxe à la jeune apprentie. Elle avait trop à apprendre, trop à faire, et la journée était déjà bien entamée. Le sourire d'Elleynah se durcit légèrement, et elle replia ses genoux contre sa poitrine, sans cesser de fixer son apprentie. Au bout d'un certain temps, elle se mit à parler.

- Je voulais te montrer un léger aperçu des merveilles que peut receler la Voie. Mais comme pour toutes choses, il faut commencer par les bases.

La marchombre marqua une légère pause, comme si elle s'amusait de la situation et du suspens qu'elle pouvait amener.

- L'équilibre est partout autour de toi, mais le plus important pour toi est de trouver l'équilibre qui est à l'intérieur de toi. Cela passe par une bonne connaissance de ton corps et une conscience parfaite de tes mouvements. C'est pourquoi il est primordial de savoir nager.

D'un geste de la main, elle désigna à nouveau la rivière à Wyska, l'invitant à aller s'entraîner. Puis, sans plus se soucier d'elle, elle partit vers les chevaux. Elle prit le temps de prendre de la nourriture, prit un autre morceau qui venait encore rallonger son bâton, et retourna vers l'eau. Elle était quasiment au bord, et il n'y avait plus que ses chevilles qui étaient immergées. Elle posa la nourriture qu'elle avait pris sur le sol, au sec, prit son bâton dans une main, et d'un geste vif, elle fixa le nouveau morceau dessus. Elle s'assura qu'il était assez grand pour pouvoir le tendre à Wyska si elle avait la mauvaise idée de couler. Satisfaite, elle reposa le bâton, et partit se rhabiller. Son corps était quasiment sec, et elle n'avait plus l'intention de se baigner pour le moment. Ensuite, la marchombre se rassit au bord de l'eau, une partie du bâton à côté d'elle, de la nourriture de l'autre, et elle observa son apprentie. Elle prit un peu de nourriture et commença à mâcher lentement.

- Allez, montre moi à quel point tu es harmonieuse lorsque tu nages. Tu auras le droit de manger lorsque je serai satisfaite par ce que tu me montres, alors tu as intérêt à t'appliquer.

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Replonger était la seule chose qui lui trottait dans la tête, elle était prête à retourner sous l’eau. C’était sa seule envie du moment, car elle ne voulait qu’une chose : arriver à comprendre la rivière. Elle y arriverait bien. Elle en était certaine. Il le fallait après tout. Il y avait encore bien des choses qui lui échappaient, des facettes de la vie qu’elle ne connaissait pas, qu’elle n’imaginait pas. Elle était si loin de la réalité du monde qui l’entourait. Depuis toujours. Pour toujours. Son chemin croisait celui des autres, mais elle ne le laissait pas influencer le sien. Parfois, cela avait du bien. Et parfois, cela la coupait un peu plus des dangers réels pouvant la guetter à tout moment. Elle en ignorait beaucoup trop. Mais elle apprendrait en temps et lieu. Elle avait toujours cette part d’innocence naïve en elle qui pouvait la rendre imprudente et égoïste. Elle ne le réalisait pas encore et fermait les yeux. Elle avait vu la mort une première fois tout récemment, la veille, et elle chassait ce souvenir le plus loin possible, car il était effrayant. Elle préférait ne pas y penser. Et pourtant, un jour, elle aurait bien à y faire face. Mais pour l’instant, tout ce qui lui importait était de replonger et de comprendre les mouvements de l’eau.

Cependant, avant de pouvoir plonger une nouvelle fois, Elleynah l’en empêchant en ouvrant la bouche. Wyska posa ses yeux verts d’impatiences sur son maître. Du calme. L’apprentie ne bougea plus, sauf pour se tenir à la surface de l’eau, et fixa la femme en silence. Pas tout de suite. Pourquoi ? Ne devait-elle pas comprendre elle aussi ? Elle n’était pas prête d’abandonner, bien au contraire. Elle avait encore toute son énergie pour replonger. Elle ne comprenait pas, mais elle ne s’opposa pas. Pas tout de suite. Elle attendait, car elle était certaine que ce n’était pas terminé. Elleynah avait autre chose à lui dire. Wyska se laissa entraîner lorsque la femme la tira avec elle grâce au bâton. L’apprentie suivait, sans que les questions cessent de tourner dans son esprit. Qu’allaient-elles faire maintenant ? Repartir ? Elleynah semblait se diriger vers la rive et bientôt, Wyska put poser ses pieds au fond. Ce ne fut pas bien long avant qu’elle ne sente le bâton lui glisser des mains.

Ne sachant pas trop quoi faire de plus alors qu’Elleynah sortait de l’eau pour se sécher au soleil, Wyska amorça un mouvement pour la suivre, mais l’arrêta rapidement devant le signe qu’elle reçut. L’apprentie tourna la tête vers la rivière, son regard suivant ce que lui montrait Elleynah. Puis, elle reporta ses yeux verts sur son maître qui ne l’avait pas quittée du regard. Le visage de Wyska devait exprimer son incompréhension sur ce qui se passait. Elle comprenait bien qu’elle devait rester dans l’eau, mais elle ne savait pas exactement ce qu’Elleynah attendait d’elle. Alors, elle attendait en bougeant ses bras sous l’eau. Ça lui parut comme une éternité avant que la voix d’Elleynah ne s’entende à nouveau. Et Wyska en fut soulagée, car elle commençait à perdre patience.

- Je voulais te montrer un léger aperçu des merveilles que peut receler la Voie. Mais comme pour toutes choses, il faut commencer par les bases.

Elle était captivée par ce nouveau monde. Ce simple aperçu avait éveillé une détermination et une force nouvelle en elle. Elle voulait découvrir les merveilles de la Voie. Elle voulait comprendre le monde, lui appartenir tout en lui échappant. Il y avait tant d’expériences qui lui souriaient, tant d’aventures qui l’attendaient. Elle voulait les vivre, les voir. Changer en accord avec la Voie qu’elle avait choisie. Devenir Marchombre. Cependant, elle était souvent trop pressée. Elle voulait atteindre ses buts tout de suite, trop rapidement. Persévérer sans arrêt. Mais Elleynah avait raison. Il lui fallait commencer par les bases, sans quoi, elle ne prendrait que les mauvais plis. Et ces mauvais plus étaient toujours plus difficiles à défaire. Elle devait commencer de la bonne façon, sur le bon pied. La suite viendrait avec le temps et l’entraînement. Elle avait trois ans. C’était beaucoup et si peu.

Le silence qui s’installa après les paroles agaça un peu l’apprentie qui ne voulait qu’en apprendre toujours plus. Elle avait toujours apprécié un bon moment de silence, mais celui-ci lui semblait de trop. Les bases. Quelles bases ? L’impatience de savoir lui grugeait l’intérieur et pourtant, elle resta calmement dans l’eau avec une patience feinte. Brusquer son maître ne servirait à rien. Et Elleynah lui avait bien dit qu’il y avait un temps pour poser les questions et un autre pour les réponses. Elle devait simplement apprendre la patience. Elle découvrirait ce monde peu à peu avec les jours qui s’écouleraient. Elle avait beau essayer de s’en convaincre, le moment qu’Elleynah prenait plaisir à étirer l’impatientait toujours plus. Et malgré son calme apparent, son regard ne pouvait cacher cette impatience et cette soif d’apprendre.

- L’équilibre est partout autour de toi, mais le plus important pour toi est de trouver l’équilibre qui est à l’intérieur de toi. Cela passe par une bonne connaissance de ton corps et une conscience parfaite de tes mouvements. C’est pourquoi il est primordial de savoir nager.

La femme lui désigna la rivière et le regard de Wyska suivit le mouvement. Elle connaissait les bases de la nage, oui, mais elle réalisait maintenant que ce n’était pas ce qui lui permettrait de réussir. Elle n’avait pas osé lâcher le bâton, de peur de réellement couler au fond alors comment pouvait-elle prétendre que ses efforts ne seraient pas en vain ? Elle n’avait pas réfléchi à tout ça et la vérité la frappait soudainement. Elle n’était pas en mesure de comprendre la rivière. Pas comme elle était maintenant. Trouver l’équilibre en soi. Une bonne connaissance de son corps. Conscience de ses mouvements. Ses mots tournaient dans sa tête et elle hochait la tête pour elle-même. Alors, si elle avait bien compris, elle devait apprendre à nager. À bien nager. Pour pouvoir espérer un jour comprendre les mouvements de l’eau.

Wyska reporta finalement son attention sur Elleynah lorsque celle-ci revint vers elle, habillée, pour s’asseoir. Elle constata que de son côté, elle n’avait pas droit de sortir de l’eau. Le regard orangé de la femme était posé sur elle et Wyska nota la nourriture qu’elle avait avec elle.

- Allez, montre moi à quel point tu es harmonieuse lorsque tu nages. Tu auras le droit de manger lorsque je serai satisfaite par ce que tu me montres, alors tu as intérêt à t’appliquer.

Une expression de surprise passa sur son visage devant ces mots. Elle ne s’attendait pas à ça. Enfin, oui, elle s’attendait à devoir nager, mais pas au défi qu’elle comprenait entre les lignes. Elle se souvint des difficultés, des épreuves et des doutes qui devront la suivre dans son cheminement et réalisa que le véritable entraînement commençait maintenant. Elle devait obéir, se lancer et atteindre l’objectif qu’elle s’était fixé. Surmonter les épreuves. Et puis, ce n’était pas si mal pour l’instant. À moins qu’Elleynah soit véritablement exigeante. Elle espérait vivement ne pas être contrainte de sauter un repas. Bon. Il fallait s’y mettre si elle voulait un jour manger quelque chose.

D’abord, suivre ce qu’on lui avait appris lui semblait la meilleure idée. Elle choisit de ne pas trop s’éloigner de la berge de la rivière. Elle savait nager, mais le risque de se noyer restait présent et elle préférait prendre ses précautions. Elle savait que battre des bras et des jambes comme un chien dans l’eau allait simplement l’épuiser rapidement et n’était pas du tout gracieux. Elle préféra y aller avec ce que lui avait montré sa mère, qui, mine de rien, savait très bien nager. L’apprentie préféra faire de son mieux pour garder la tête hors de l’eau, car elle n’avait pas encore compris le principe de sortir la tête pour respirer en même temps de se lever son bras. Tout ça était très abstrait pour elle, elle ne comprenait pas réellement. Tant pis.

Elle nagea. Au début, elle arrêtait souvent, posant ses pieds au fond et repoussant ses cheveux mouillés. Elle respirait un coup et reprenait. C’était plus forçant qu’elle n’aurait pensé. Mais au fur et à mesure, elle prit le rythme et put nager d’une roche devant elle, à une autre derrière. C’était les points qu’elle s’était donnée pour tourner et rebrousser chemin. Après plusieurs ronds entre les rochers, elle s’arrêta près de l’un d’eux et s’accrocha pour reprendre son souffle. Elle jeta un coup d’œil qui se voulut discret à Elleynah, mais celle-ci n’affichait pas un air satisfait de sa nage de petit chien effrayé. Elle se renfrogna légèrement toute seule et réfléchit. Puis, elle ferma les yeux et calma sa respiration, laissant les muscles de ses bras se détendre un peu. Elle ne voulait pas sauter le repas et comptait bien se montrer à la hauteur des espérances d’Elleynah. Même si elle se savait bien que la grâce lui échappait lorsqu’elle nageait. Elle se convainquit de faire un dernier effort avec les forces qui lui restaient.

Elle se remit à la nage, se forçant pour faire de grands mouvements de ses bras, et ne pas trop s’enfoncer dans le liquide froid. D’ailleurs, elle commençait à sentir son corps s’engourdir. Il faisait beau, mais les rivières étaient encore très froides et cela faisait un bon moment maintenant qu’elle trainait dans l’eau. Ses dents allaient bientôt claquer ensemble si elle ne sortait pas. Mais un dernier effort, pour mettre encore le plus de chance de son côté. Elle avait ce petit côté fier et déterminé qui pouvait lui causer du souci parfois. Et bientôt, elle ne peut plus avancer. Ses bras refusèrent de continuer à forcer ainsi et elle dut s’arrêter et posa finalement sa tête sur une roche en sentant la fatigue la guetter. Elle reprenait son souffle et ne bougea pas durant quelques minutes avant de se décider à retourner vers la rive. Autant au début elle n’avait pas voulu quitter l’eau, maintenant, elle ne voulait plus y rester.

En lâchant la roche, elle fit quelques pas dans le fond, mais glissa et perdit pied. Elle s’enfonça dans l’eau qui avant quand même une certaine profondeur. Bien heureusement, ses mains purent s’agripper à un bâton et elle sortir la tête de l’eau en s’étouffant élégamment. Elle secoua la tête, repoussa ses cheveux tout en toussant, crachant l’eau qui voulait se rendre à ses poumons. Elle se dépêcha à gagner la rive en suivant le bâton et avança à quatre pattes dans l’eau peu profonde. Elle se sentait épuisée, elle s’assit, toujours dans l’eau et un soupir de soulagement d’être hors de l’eau traversa ses lèvres. Oh, elle appréciait nager, avait-elle découvert. Mais s’étouffer avec de l’eau n’était vraiment pas agréable. Elle leva enfin le regard vers Elleynah en essayant de déchiffrer son expression. Avait-elle réussi un peu ? Même si elle était tombée à la fin ? Pouvait-elle manger ? Son corps lui indiquait qu’un bon repas pourrait le revigorer et elle voudrait bien accéder à sa requête.

- Euhm... Je peux manger ?

« D’accord, ce n’était pas peut-être pas si harmonieux, mais j’ai vraiment fait de mon mieux. C’est vrai, j’ai glissé lamentablement, mais j’ai quand même réussi à nager. Est-ce que j’ai le droit de manger quelque chose ? » était le sous-texte qui suivait. Mais elle ne prenait pas la peine de le dire. La question seule importait. Après tout, c’était ce qu’elle voulait savoir. Pouvait-elle manger ? Avait-elle réussi à s’appliquer assez ? Devait-elle y retourner ? Une partie d’elle espérait que non, car le soleil qui séchait ses épaules lui faisait le plus grand bien. Mais elle voulait vraiment se montrer à la hauteur des attentes d’Elleynah.

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Elleynah regardait son élève avec attention, prête à réagir si elle se trouvait en trop grandes difficultés. Il n'était pas question qu'elle la laisse mourir noyée, alors qu'elle n'était son apprentie que depuis quelques heures. En revanche, Wyska semblait être bien loin de certaines réalités du monde, et Elleynah savait qu'elle allait devoir se montrer dure avec elle, si elle voulait lui donner une chance de survivre aux trois années qui les attendait. Jamais une jeune fille aussi douce et naïve ne pourrait s'en sortir dans le monde cruel et sans pitié qui les entourait, d'autant plus avec les antécédents de la maître marchombre. Wyska ignorait encore tout, mais la rousse savait qu'à un moment ou un autre, elle devrait s'ouvrir à son apprentie sur certains détails de son passé, indispensable à sa survie. En devenant son apprentie, elle avait signé un contrat invisible qui lançait des dizaines de mercenaires aveuglés et sans pitié à ses trousses. Elleynah soupira.

Le soleil déclinait lentement, et Wyska progressait plutôt bien, mais Elleynah n'était pas satisfaite. C'était encore trop faible, trop hésitant. Sans le bâton, elle aurait coulé comme une pierre. Elle se fatiguait trop vite, était incapable de conserver ses forces et de se ménager. La maître marchombre évaluait son apprentie avec sévérité, mais elle savait d'ores et déjà qu'elle ne serait pas toujours là pour lui sauver la mise, en cas de besoin. La marchombre ne mangea que très peu, concentrée sur chacun des mouvements, des attitudes, des expressions de Wyska, jaugeant et jugeant tout ce qu'elle voyait et ce qu'elle ne voyait pas aussi. Elle ressentait la détermination de son élève, son désir de plaire à son maître également. Elle avait été à cette même place, et elle savait ce que pouvait représenter l'apprentissage, surtout au début.

C'était un monde nouveau qui s'ouvrait à elle, empli de possibilités qu'elle n'avait pas même osé imaginer dans son ancienne vie. Et puis, elle se retrouvait là, entre les mains d'une personne qui représentait tout pour elle, et qui portait l'espoir d'une vie liberté dont elle avait rêvé sans jamais l'espérer réellement. Elleynah avait admiré son maître dès la première seconde, et aujourd'hui encore, elle lui portait un respect et une admiration qu'aucun mot ne pourrait décrire. Elle n'avait certainement pas la prétention de croire qu'il s'agissait de la même chose pour Wyska, mais un maître compte toujours beaucoup pour son élève, et réciproquement. Par le pacte qu'elle avait passé, elles allaient être au centre de la vie l'une de l'autre pendant longtemps, parcourant une bribe de leurs chemins respectifs ensemble. Un jour, il se séparerait à nouveau, mais jamais elles ne pourraient rompre le lien créé.

Lorsque Wyska sortit de l'eau et s'avança vers Elleynah, la marchombre la fixa un instant. Comme pouvaient en témoigner ses lèvres légèrement tremblantes qui viraient doucement au bleu, elle avait froid. La journée était bien avancée, mais loin d'être terminée. La jeune fille avait fait des efforts pendant longtemps, alors elle devait avoir faim. Très faim. Mais elle n'était pas au bout de ses peines, ça n'était que le début. Peu après la tombée de la nuit, elle reprendrait leur route vers Al-Chen. Elleynah préférait voyager de nuit. C'était plus sûr. Elles resteraient quelques jours là-bas, puisqu'elle avait des choses à y faire. Elle s'était absentée longtemps, certaines affaires avaient été laissées sans suite à cause de ses... Impératifs. Wyska aurait tout le loisir d'aller apprendre à nager dans le lac.

- Euhm... Je peux manger ?

Elleynah la fixa un moment, les sourcils légèrement froncés. Elles allaient vraiment avoir du boulot. La marchombre était toujours fière et impressionnée par les capacités naturelles qu'elle décelait chez la jeune fille, et elle était sûre qu'elle allait être étonnée par sa détermination. Mais les faiblesses qu'il y avait en elle posait un énorme problème pour le moment. Oh, rien qui ne pourrait être arrangé, mais il allait falloir travailler dur. La rousse se leva d'un mouvement souple, et elle tendit deux morceaux de viande séchée à son apprentie. Son visage ne laissait filtrer aucune des émotions qu'elle ressentait, et dès que Wyska eut attrapé la viande, Elleynah se détourna.

- Ca n'est pas bon, mais il va falloir t'y habituer. Prends le temps de mâcher, tu n'en auras pas d'autre, dit-elle simplement.

Elle savait qu'elle était dure avec la jeune fille. Après tout, elle avait réussi à créer un premier lien avec l'eau, et elle avait fait de beaux progrès en nage, en seulement quelques heures. C'était un début vraiment prometteur, et au fond d'elle, la marchombre était excitée au possible à l'idée de tout ce qu'elles allaient pouvoir faire. Mais en réalité, Elleynah était bien trop inquiète pour se laisser aller, et pour se montrer clémente avec Wyska. Elle avait déjà essayé, avec sa première apprentie, et elle avait bien vu comment cela s'était terminé. Il était hors de question qu'elle ne recommence les mêmes erreurs, et tant pis si l'acrobate la trouvait trop sévère. Elle préférait infiniment cette situation, que celle dans laquelle elle aurait à porter et enterrer une nouvelle fois le corps d'une jeune fille qui n'avait pas même eu le temps d'apprendre à vivre.

Elleynah replia son bâton, et le s'accroupit devant un de ses sacs pour le ranger. Elle en sortit des vêtements de cuir avec une ceinture à laquelle accrocher des fourreaux, et des chaussures souples semblables à ce qu'elle portait. Elle les avait acheté la veille, en prévision du long voyage qu'elles entamaient ensemble. A l'heure à laquelle elle avait fait ses achats, elle n'avait pas encore eu de réponse de la part de l'acrobate, mais elle n'avait pas douté la moindre seconde qu'elle pourrait refuser. C'aurait pu être perçu comme de l'orgueil de sa part, mais ça n'en était absolument pas. Si elle en avait été aussi persuadée, c'était parce que le vent le lui avait dit. Et s'il y avait bien quelque chose qu'elle avait appris récemment, c'était que le vent ne se trompait jamais. La marchombre se dirigea à nouveau vers le cours d'eau, et elle déposa les nouveaux habits de Wyska sur le sol.

- Lorsque tu voudras sortir de l'eau et que tu seras sèche, mets ça. J'espère qu'ils sont à ta taille. Ensuite, tu me rejoindras au sommet de cet arbre.

Joignant le geste à la parole, la marchombre désigna un arbre qui dépassait tous les autres. Il s'agissait d'un magnifique rougeoyeur aux couleurs éclatantes, et au feuillage dense. A sa taille, Elleynah devina aisément qu'il possédait assez d'appuies pour rendre son ascension accessible. Et elle n'oubliait pas que Wyska était acrobate avant tout. La marchombre s'assura que son apprentie avait compris ses instructions, puis elle tourna les talons, et commença à s'éloigner. Alors qu'elle n'avait fait que quelques pas, elle s'arrêta brusquement, et fit volte face.

- Oh, j'ai failli oublier. Surtout, prends tout ton temps, d'accord ?

Elleynah lui lança un sourire accompagné d'un clin d'oeil complice, et en quelques instants, elle disparut derrière les arbres. Elle espérait que Wyska comprendrait ce qu'elle avait voulu dire, et qu'elle allait faire bon escient du temps qu'elle lui laissait. C'était un moyen idéal pour tester la jeune fille et comprendre comment elle appréhendait la nouvelle vie qui était la sienne. Au lieu de se diriger immédiatement vers l'arbre qu'elle avait désigné, elle escalada un tronc d'une taille moyenne, à la lisière du groupement d'arbres. Lorsque son apprentie déciderait de la rejoindre, la marchombre passerait par les hauteurs des branches pour se rendre à leurs points de rendez-vous, et s'y trouver avant même que l'acrobate ne commence l'ascension. Elleynah s'accroupit sur une branche fine, proche du sommet de l'arbre. Silencieuse et invisible, elle commença à observer ce que faisait Wyska.

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La marchombre restait de marbre et Wyska n’arrivait pas à déceler la moindre trace d’une émotion dans son visage. Elle ne pouvait pas dire si elle avait bien fait ou non. La seule chose qu’elle put percevoir fut un froncement de sourcil bref, mais elle ne sut pas si c’était à cause de ses faiblesses ou de son attitude. Ou peut-être bien des deux. Lorsqu’Elleynah se leva, l’apprentie posa son regard sur elle et les deux morceaux de viande séchée qu’elle lui tendait. Dès qu’elle les eut attrapés, Elleynah se retourna et Wyska jugea la nourriture qu’elle tenait avec une moue. Son maître vint confirmer ses impressions. Ce n’était pas bon. Mais il fallait s’y faire. Un moment, les bons repas de son père se firent un chemin dans son esprit, mais elle secoua la tête pour les chasser. Ce n’était plus le temps de penser à cela. Elle acceptait ces deux morceaux de viande, aussi mauvais soit-il, et cet entraînement qu’elle voulait plus que tout suivre. Elle allait devoir s’y habituer. Tant pis. C’était d’ailleurs ce que lui conseillait la femme.

- Prends le temps de mâcher, tu n’en auras pas d’autre.

Son estomac criait famine à la vue de la nourriture et Wyska espéra simplement qu’il serait satisfait avec cela. Enfin, ce n’était pas comme si elle mangeait pour trois. Elle était certaine qu’elle s’en contenterait bien. Et puis, si c’était mauvais, eh bien, elle perdrait l’appétit au bout de deux de toute façon. Elle préféra alors arrêter de réfléchir à la nourriture qui lui était accordée et manger avant que le temps ne lui manque. Elle ne savait pas ce qu’avait prévu Elleynah pour la suite, mais elle voulait avoir mangé avant de faire quoi que ce soit. Elle croqua donc à pleine dent dans le premier morceau, constata que ce n’était pas si facile à manger et mâcha avec force pour ne pas s’étouffer en avalant. Tout en grignotant, elle continuait de fixer Elleynah qui s’activait de son côté à ranger le bâton. Devait-elle comprendre qu’elle ne nagerait plus pour l’instant ? Elle continua son observation en déchirant une nouvelle bouchée de la viande séchée.

Puis, Wyska la vit sortir autre chose de ses sacs et elle comprit que c’était des vêtements. Elle se souvint alors qu’Elleynah lui avait dit avoir d’autres vêtements pour elle après la baignade. C’était ceux-là ? Elle se demandait comment ils étaient. Était-ce la même chose qu’Elleynah ? De son point de vue, ça y ressemblait. D’ailleurs, Shaert aussi avait porté des vêtements similaires à ceux de la femme. Était-ce de coutume ? Elle se dit qu’il devait être pratique, mais elle ne savait pas encore à quel point.

- Lorsque tu voudras sortir de l’eau et que tu seras sèche, mets ça. J’espère qu’ils sont à ta taille. Ensuite, tu me rejoindras au sommet de cet arbre.

Le regard de Wyska était posé sur Elleynah et elle réalisa soudainement qu’elle était toujours assise dans l’eau en mâchant sa viande. Oh, elle avait été si absorbée dans ses pensées qu’elle n’y avait même plus fait attention. Elle sentit une rougeur passagère colorer ses joues. Il serait temps qu’elle sorte de l’eau, en effet. De cette façon, elle pourrait essayer les vêtements, s’assurer qu’ils étaient à sa taille. Et puis, elle devrait bien quitter la rivière pour se rendre au sommet de l’arbre que lui désignait la marchombre. Un rougeoyeur au feuillage dense et coloré. Un petit sourire se dessina sur le coin des lèvres de Wyska. Ça, c’était dans ses capacités. Elle ne s’inquiétait pas de se retrouver au sommet. Elle connaissait les arbres. Elle avait souvent grimpé et elle sentait déjà l’écorce sous ses doigts. Avec ses années d’acrobaties, elle n’avait fait qu’améliorer sa force et sa souplesse pour se hisser sur les plus hautes branches. Elle devrait par contre faire attention, parce que les branches au sommet étaient toujours plus fragiles. Elle hocha la tête pour indiquer à Elleynah qu’elle avait bien compris et reposa son regard sur l’arbre.

- Oh, j’ai failli oublier. Surtout, prends tout ton temps, d’accord ?

La marchombre venait de se retourner vers elle pour ajouter cela et ce fut un regard d’incompréhension que Wyska posa sur elle. Prendre son temps ? Pourquoi ? Elle regarda Elleynah sans bouger jusqu’à ce que celle-ci eut disparu à la lisière des arbres. Puis, elle réfléchit à ce qu’elle devait faire tout en entamant le deuxième morceau de viande qu’elle tenait dans sa main. Sourcil froncé, elle se demanda si elle avait omis un détail. Devait-elle faire quelque chose ? Elle tourna alors la tête pour regarder la rivière qui s’écoulait toujours à son rythme. Puis, elle préféra changer d’idée. Elle avait froid et elle refusait de se noyer. Elle n’abandonnait pas complètement l’idée par contre. Elle comptait bien apprendre à nager parfaitement, mais pour l’instant, il lui fallait se sécher si elle voulait un jour rejoindre Elleynah.

Elle se leva en avalant le dernier morceau de nourriture qu’elle tenait et sortit complètement de l’eau. Elle attrapa ses cheveux et les essora pour en sortir le plus d’eau possible. Ce qu’elle détestait avoir les cheveux mouillés. Ça collait à son corps et c’était froid dans son dos. Elle les enroula et les attacha sur le haut de son crâne. Elle s’avança ensuite sur le rivage. Le haut de son corps était presque complètement sec et il ne restait surtout que ses jambes et son bassin qui perlaient d’eau. Elle attendit un peu que son bas de corps sèche, mais elle perdit rapidement patience. Elle avait hâte d’enfiler les nouveaux vêtements qui l’attendaient et constater s’il était confortable. Si elle allait pouvoir faire ses acrobaties et ses mouvements comme elle en avait l’habitude. Mais à voir l’aisance d’Elleynah, elle n’en doutait pas.

Attrapant ce qui était maintenant ses anciens vêtements, elle les utilisa pour se sécher les jambes. Elle les reposa ensuite au sol et attrapa délicatement les vêtements qu’avait posés Elleynah. Elle toucha la texture et découvrit du cuir. Il y avait aussi une ceinture à laquelle il était possible d’accrocher un fourreau et des souliers souples. Elle enfila le tout et, une fois habillée, elle tourna sur elle-même en observant les vêtements sous tous les angles sur son corps. Elle étira ses bras et ses jambes en remarquant que le vêtement s’accordait au moindre de ses mouvements. Aucun de ceux-ci n’était coupé par une couture trop serrée alors que le vêtement était ajusté à sa taille. Ça avait quelque chose d’étonnant et merveilleux à la fois.

Elle arrêta alors ses gestes sans but et jeta un regard autour. Elle était seule en compagnie des deux chevaux et elle avait un peu de temps devant elle, semblait-il. Elle en profita pour mettre à l’épreuve ses nouveaux vêtements. Pirouettes, étirements, acrobaties, elle sauta et roula d’un côté à l’autre s’essoufflant avec bonheur avec ses acrobaties. Courbant son dos pour poser les mains au sol, elle laissa un grand sourire s’afficher sur ses lèvres. Levant la jambe, elle tourna pour se retrouver à nouveau sur ses pieds. Elle se sentait revigorée. Son regard se reposa alors sur la rivière et elle réfléchit à sa façon de nager qui était encore maladroite. La meilleure chose serait de s’entraîner à nouveau dans l’eau, bien entendu, mais elle n’avait pas envie de quitter ses vêtements et la chaleur. Elle vérifia autour d’elle une nouvelle fois, mais ne vit pas Elleynah. D’accord, elle n’avait pas pris beaucoup de temps pour se changer et s’amuser avec des sauts acrobatiques. La marchombre ne lui en voudrait surement pas si elle attendait encore un peu avant de se diriger vers l’arbre. Elle lui avait même dit de prendre tout son temps. Elle devait en profiter, n’est-ce pas ?

Wyska se dirigea vers une roche plate et s’y allongea, ventre contre la pierre. Elle accota sa tête sur ses bras un moment et réfléchit. Comment devait-elle nager ? Elle leva alors le bras droit au-dessus de sa tête et le baissa comme s’il entrait dans l’eau. Elle fit le même mouvement de son bras gauche. Lentement. Elle reprit à nouveau. Leva le bras droit, puis le bras gauche et ainsi de suite. Comme si elle nageait, mais ses bras fendaient l’air. Elle se mit aussi à bouger les jambes. Elle ferma alors les yeux tout en continuant. Elle voulait habituer son corps à ces mouvements, à cette façon de se déplacer dans l’eau. Elle voulait que ça lui vienne plus naturellement la prochaine fois qu’elle plongerait.

Au bout d’une quinzaine de minutes, elle arrêta. Ses bras commençaient à s’épuiser. Avec la nage et ses acrobaties de plus tôt, elle ne leur laissait pas totalement le temps de récupérer. Et elle savait qu’elle allait bientôt grimper alors ils devaient garder un peu de force. Elle se leva à nouveau et s’étira. Elle sentit alors quelque chose dans son dos et en se retournant, son regard croisa celui de Tonnerre Céleste qui broutait son herbe avec nonchalance.

- Tu as vu ? Ça me va bien, tu penses ? Dit-elle en se tournant d’un côté et de l’autre pour montrer les vêtements au cheval.

Celui-ci ne réagit pas, mais Wyska éclata tout de même de rire. Elle caressa l’encolure de l’animal tout en se disant qu’il serait temps d’y aller. Elleynah allait se demander ce qu’elle faisait si elle continuait à trainer ainsi, non ? Elle laissa donc le cheval brouter tranquillement et s’avança d’un pas décidé vers les arbres. Décidée à reprendre l’entraînement, à persévérer et à s’améliorer. Déterminée à se montrer à la hauteur. Lorsque sa main toucha la première branche, elle n’eut pas à réfléchir davantage pour trouver ses prises. L’arbre était immense et les prises grossières, elle avait l’habitude de grimper aux arbres. Avec leurs larges branches, c’était facile à escalader tout en gardant son équilibre. Ce serait différent d’une montagne, mais elle n’était pas rendue là. Elle monta, une branche à la fois avec aisance et agilité. Elle hésita à quelques moments pour ses prises en arrivant près du sommet, où les branches avaient le risque de plier sous son point, mais elle arriva sans problèmes près d’Elleynah qui l’attendait déjà au sommet. Elle se tenait fermement et jeta un coup d’œil à la vue. C’était vraiment magnifique. Elle admira pendant un cours moment les plaines qui s’étendaient autour. Un sourire avait pris place sur son visage. Puis, elle se tourna vers son maître.

- Merci pour les vêtements. Ils sont parfaits.

Son regard retomba ensuite sur le paysage. Elle ne montait jamais aussi haut dans les arbres et en moins d’une journée, elle avait découvert des facettes du monde dont elle ignorait tout jusque-là. Elle avait compris qu’elle devait faire des efforts pour atteindre ce monde de liberté qu’elle voulait. Elle était encore trop faible, elle le voyait bien. Mais elle ne devait pas se laisser décourager et plonger complètement dans l’entraînement d’Elleynah. Aussi sévère soit-il. Aussi sévère soit son maître. Elle lui faisait confiance pour lui montrer la Voie comme il le fallait. Elle refusait de se plaindre, de s’apitoyer sur elle-même. C’était un regard rempli de détermination et prêt à la suite qu’elle posa sur Elleynah.

descriptionA l'aube de notre envol [Wyska Benorith & Elleynah Bàthory]  EmptyRe: A l'aube de notre envol [Wyska Benorith & Elleynah Bàthory]

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