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A l'aube de notre envol [Wyska Benorith & Elleynah Bàthory]

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Elleynah était toujours immobile, accroupie sur une branche qui aurait dû céder sur son poids, mais qui ne faisait pas mine de vouloir bouger. Il n'y avait pas vraiment d'arbres à escalader à Al-Jeit. C'était la première fois depuis longtemps qu'elle se retrouvait ainsi plongée au coeur de la nature, et cela lui faisait un bien fou. Elle était en vie, son coeur battait, elle pouvait à nouveau entendre le vent chanter en elle, et percevoir le monde dans ses moindres détails. Plus que jamais, elle était capable de percevoir la vie autour d'elle, les mouvements des oiseaux, des insectes, la couleur de leurs pensées et les battements timides de leurs coeurs. Jamais elle ne s'était sentie aussi vivante. Et cette nouvelle vie, cette renaissance, elle avait la chance de pouvoir la vivre avec une apprentie prometteuse et pleine de surprise. Elle sentit une immense bouffée de joie l'envahir, et un sourire large étira ses lèvres. Pour la première fois, Elleynah se sentait pleinement heureuse.

La maître marchombre observait son apprentie avec attention. Elle était réellement curieuse de voir comment la jeune fille allait réagir à ce qu'elle lui avait dit. Ca n'était que le premier jour, alors le moment était idéal pour connaître le degré de motivation de l'acrobate. Elle la vit sortir de l'eau, se sécher. Pendant un instant, elle avait espéré que Wyska reste encore dans l'eau, et continue à s'entraîner, même en l'absence de son maître. Elle ne fut cependant pas déçue ; elle ne voulait pas de Wyska qu'elle soit exactement ce que son maître attendait d'elle. Elle voulait que son apprentie réussisse à trouver qui elle était. Elle voulait lui apprendre les rudiments de la Voie pour qu'elle puisse progresser sur celle qui lui était propre. Le but n'était pas qu'elle soit une copie conforme d'Elleynah, mais au contraire, une version épanouie d'elle-même.

Elleynah vit Wyska enfiler ses nouveaux vêtements, et même de là où elle était, elle put voir qu'elle en était satisfaite. Ces habits n'étaient pas donnés, et les marchombres connaissaient quelques adresses précises auxquelles s'adresser pour les commandes. Il n'était pas rare que leurs vêtements soient abîmés, et il fallait pouvoir les remplacer. Mais ils étaient d'une extrême qualité, pour pouvoir répondre à chacune des sollicitations de ceux qui les portaient. Plongeons, sauts, escalades, acrobaties, courses, combats, nage, envol. Le quotidien des marchombres n'était pas de tout repos. Il n'était pas rare qu'Elleynah oublie qu'elle portait des vêtements, tant ils lui collaient à la peau. Lorsqu'elle les avait retrouvés, après les deux années passées dans le camp des mercenaires du chaos, elle avait eu la sensation de revivre.

Et Wyska ne tarda pas à les tester, grâce à des acrobaties en tout genre. Elleynah l'observait avec attention, relevant les forces et les faiblesses de ses gestes, de ses postures. Elle avait une grande maîtrise de son corps lorsqu'il était sur la terre ferme. Il s'agissait d'un gros avantage qui allait probablement leur faciliter la vie à toutes les deux. Elle faisait également preuve d'une grande précision, et elle retrouva sans mal la jeune acrobate qui avait su l'impressionner lorsqu'elle l'avait rencontrée pour la première fois, et qu'elle avait assisté à une répétition. Mais être acrobate ne suffisait pas pour être marchombre. Sinon tous les acrobates du monde seraient marchombres, et ça n'était pas le cas. La jeune fille s'entraîna un moment, avant de marquer un temps d'hésitation.

Elleynah la vit hésiter en fixant la surface de l'eau, et puis, après quelques instants, s'approcher d'une roche plate. Wyska s'allongea dessus, et commença à faire des mouvements de bras et de jambes, comme pour s'entraîner à nager. La maître marchombre fut sincèrement et agréablement surprise par cette initiative. Elle pouvait comprendre qu'elle n'avait pas envie de retourner immédiatement dans l'eau froide, et elle ne pouvait pas lui en vouloir pour ça. Pas encore, du moins. Mais le fait qu'elle s'entraîne à se mouvoir montrait qu'elle avait la volonté de retourner dans l'eau et d'apprendre à bien nager. Et il n'y avait rien qui aurait pu faire davantage plaisir à Elleynah à ce moment précis. C'était ce qu'elle avait attendu d'elle. Elle la regarda quelques minutes, avant de décréter qu'elle en avait assez vu et qu'il ne servait à rien de s'attarder plus longtemps.

Malgré ce qu'elle avait prévu initialement, elle ressentit le besoin de se retrouver seule au sommet de l'arbre un petit moment avant que son apprentie n'arrive. Silencieuse et invisible, elle bondit de branche en branche, d'arbre en arbre, jusqu'à atteindre celui qu'elle avait désigné à Wyska. Elle grimpa pour se retrouver au sommet, et se mit debout sur une branche fine, tout en haut de l'arbre. Elle ferma les yeux, et pendant quelques secondes, elle se concentra uniquement sur sa respiration. Elle se sentait en paix, et en haut de cet arbre, elle savait qu'elle était à sa place. Quelques minutes seulement s'écoulèrent avant qu'elle n'entende les pas de son apprentie. La jeune fille escalada l'arbre, et Elleynah eut l'incroyable sensation de se sentir connectée à elle. Elle ne la voyait pas encore, sous les feuillages épais, mais elle entendait et comprenait chacun de ses mouvements, comme si c'était elle qui les effectuait.

Enfin, la jeune fille perça les feuilles, et se plaça sur une branche à côté de celle d'Elleynah. Elle se tenait fermement au tronc, et la marchombre voyait qu'elle n'était pas réellement à l'aise. Elles étaient très haut dans le ciel, surplombant tout le reste. Elles pouvaient voir le paysage tout autour d'elles. De là-haut, la vue était imprenable et incroyable. Elle sentit l'émerveillement de Wyska, et un sourire illumina son visage. Il était important pour elle que son apprentie soit sensible à toutes ces choses là, qui peuplaient leur monde et qui en faisaient toute la beauté. La nature, les arbres, la terre, l'herbe, l'eau. Les montagnes, aussi. Elleynah avait fait exprès d'entraîner Wyska dans les profondeurs de l'eau, puis dans les hauteurs célestes. Partout où elles allaient, les sensations étaient très différentes, et pourtant, le principe de base était le même. Connaissance de soi, écoute des éléments alentours et équilibre.

- Merci pour les vêtements. Ils sont parfaits.

Elleynah lui lança un regard rieur et hocha doucement la tête. Elle était contente qu'ils lui plaisent, et qu'ils lui aillent parfaitement. Ils avaient l'air tailler pour elle, et elle avait l'air taillée pour être marchombre. C'était une certitude qu'elle avait dans son coeur depuis la première fois qu'elle l'avait vue. Wyska avait l'âme des marchombres. La maître observa son apprentie, qui était captivée par la vue magnifique qui s'ouvrait à elle. Elleynah respecta ce moment en lui offrant le silence total, et elle attendit patiemment que son apprentie se tourne à nouveau vers elle. Ce que la rousse perçut dans le regard de la jeune fille la remplit de joie. Wyska avait l'air prête et déterminée à se lancer pleinement dans la Voie qui s'ouvrait devant elle.

- C'est magnifique, n'est-ce pas ? Je crois que je ne me lasserai jamais des spectacles que la nature nous réserve.

Elleynah sourit et posa une main sur l'épaule de Wyska.

- Ce que tu as pu voir aujourd'hui n'est qu'une infime partie de ce qui pave la Voie du marchombre. La partie la plus visible et la plus minuscule de l'immense iceberg que représente l'harmonie.

La maître marchombre était consciente que son apprentie mettrait encore du temps avant de comprendre l'équilibre des choses, avant de pouvoir se tenir au sommet du plus grand arbre, sur la branche la plus fine, sans qu'elle ne ploie sous son poids, et sans que la jeune fille ne tombe. Elle ne pouvait pas trop lui en demander trop vite, sinon, Wyska ne progresserait pas. Elleynah désigna une branche plus solide et plus épaisse, légèrement en contrebas. Elles pourraient encore se trouver face à une partie du paysage, même si elles n'étaient plus tout à fait au sommet.

- Va sur cette branche là-bas. Tu te souviens des mouvements que je t'ai montré hier soir ?

Et Elleynah se laissa glisser sur une branche plus basse avec souplesse et en silence. Elle garda un oeil sur son apprentie, pour s'assurer qu'elle n'avait pas de difficultés à descendre à son tour. L'escalade de l'arbre n'avait pas eu l'air de poser le moindre problème à Wyska, mais la désescalade n'était pas toujours aussi simple. Le vent s'était légèrement levé, et il rendait leur perchoir plus instable encore. Si Elleynah ne semblait pas même y prêter attention, cela pouvait s'avérer dangereux pour son apprentie. Brusquement, il y eut un bruit dans un des arbres au feuillage dense qui les entouraient. Elle sursauta, et avec une vivacité incroyable, elle fit volte-face, tendue et sur le qui-vive.

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L’apprentie avait pris le temps d’observer le paysage. Durant quelques minutes, elle avait gardé son regard sur ce qui se présentait à elle. L’émotion lui tordait l’estomac et elle se sentait bien. Elle était tout à fait d’accord avec son maître et un sourire se dessina sur ses lèvres. C’était magnifique, oui. Et Wyska ne se lassait pas non plus. Elle s’émerveillait toujours plus des spectacles que lui présentait Elleynah. La nature était pleine de surprises et de beauté. Wyska appréciait le calme en admirant cette nature sauvage. Elle tourna la tête à nouveau vers la femme lorsque celle-ci posa une main sur son épaule.

- Ce que tu as pu voir aujourd’hui n’est qu’une infime partie de ce qui pave la Voie du marchombre. La partie la plus visible et la plus minuscule de l’immense iceberg que représente l’harmonie.

Wyska resta silencieuse, écouta les mots, fascinée par ce que lui racontait Elleynah. Une infime partie seulement. Et déjà, l’apprentie se sentait baignée dans le bonheur. Elle ne pouvait qu’attendre la suite avec hâte. Elle voulait tout découvrir, mais sans trop se presser, car elle voulait profiter des moments. Comme elle le faisait là. Simplement observer, admirer et apprécier ce qui s’offrait à elles. L’harmonie... Elle voulait la comprendre. Mais elle avait encore du temps. Elle faisait confiance à Elleynah.

- Va sur cette branche là-bas. Tu te souviens des mouvements que je t’ai montré hier soir ?

Wyska hocha la tête. L’entrainement reprenait. Elle était prête. Elle se souvenait des mouvements. Elle ne savait pas si elle pourrait facilement se glisser dans la même ambiance que la veille par elle-même, mais elle allait essayer. Et puis, elle était impatiente de continuer, alors ce fut sans attendre qu’elle entamât sa descente pour atteindre la branche que lui avait indiquée Elleynah. Elle se tenait fermement et vérifiait où elle posait son pied pour ne pas glisser et tomber. Elle était habile pour monter, un peu moins pour descendre, mais elle se débrouillait bien si elle se concentrait sur ses prises.

Elle posait son pied sur la branche en question lorsqu’un bruissement de feuilles attira son attention. Elle eut à peine le temps de tourner la tête vers la source du bruit qu’elle se sentit tirer vers l’arrière entre les branches. Un cri de surprise s’échappa de ses lèvres et sans qu’elle comprenne ce qu’il se passait, elle vit le paysage défiler sous ses yeux. Elle prit soudainement conscience que quelqu’un l’amenait avec lui et elle n’était pas d’accord avec ça. Elle se débattit en essayant de voir la personne qui la tenait.

- Lâchez-moi !
Finit-elle par s’écrier, furieuse de la situation.

Qu’est-ce que c’était que cette situation aussi ? Pourquoi quelqu’un voudrait-il l’enlever d’abord ? Elle ne comprenait pas. Elle n’avait pas d’argent ni de biens précieux. Elle n’était qu’une acrobate, maintenant apprentie. Personne ne lui en voulait. Alors pour quelles raisons se faisait-elle enlever ? Elle se sentait ridicule d’avoir été attrapée si facilement. Quelle piètre apprentie elle faisait… Elle continua à se débattre avec colère, mais ne réussit pas à se défaire de l’emprise de son kidnappeur. La personne décida finalement de l’assommer d’un coup pour arrêter sa lutte qui les ralentissait. Elle sombra dans le sommeil sans même le réaliser.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle ne sut pas où elle se trouvait. Elle dut prendre un moment pour replacer ses souvenirs et réaliser qu’elle pouvait bien être perdue. Quelqu’un l’avait enlevée. Mais pour quelles raisons ? Elle ne comprenait pas du tout. Un soupir s’échappa de ses lèvres et elle s’obligea à s’asseoir sur le sol de roche. Elle bougea ses épaules raides pour les détendre et frotta son front. Un mal de tête l’assaillait depuis son réveil et c’était vraiment déplaisant. Elle regarda finalement où elle se trouvait. Une cellule. Une cellule dans la roche. C’était une cavité creusée dans la roche et l’entrée était fermée. Elle s’approcha de l’ouverture et regarda au travers les barreaux. Quelques chandelles éclairaient le couloir et de l’autre côté, elle vit une petite pièce dans laquelle trois personnes discutaient. Elle se concentra pour écouter ce qui se disait.

-… t’as autant de cerveau qu’un raïs ma parole ! On avait dit qu’elle ne devait pas nous remarquer et la meilleure idée que t’as, c’est de ramener avec toi la fille qui la suivait. Ça va pas ?! On fait quoi si elle débarque ici ?

Est-ce qu’il parlait de… Elleynah ? Elle comprenait encore moins dans quel genre de situation elle se retrouvait. Aucun nom n’avait été énoncé, mais elle se doutait être « la fille qui la suivait » comme elle était celle que l’homme avait enlevée. Et celle qu’elle suivait n’était autre que son maître. La déduction s’était faite facilement. Mais elle ne savait pas ce qu’ils voulaient à la marchombre. Celui qui parlait avait l’air effrayé, énervé et inquiet. Wyska comprit qu’il avait véritablement peur de se retrouver face à Elleynah. Ils ne semblaient pas la connaitre personnellement. En tout cas, Wyska pouvait comprendre leur terreur de se mettre à dos la femme. Elle ne voulait pas non plus être dans ce cas-là. Elle continua d’écouter alors que son kidnappeur prenait la parole pour se défendre.

- Jin avait pour tâche de la ralentir. Elle ne devrait pas pou…

- C’est pas ça le problème. Tu penses pas qu’elle va vouloir retrouver la jeune ?!

- Bah, on a qu’à se servir d’elle pour l’attraper justement.

- Non ! On s’en tient au plan. Genzo, tu vas à Al-Jeit les avertir qu’on a trouvé la femme. Toi, tu vas reporter la fille et tu t’assures de les suivre de loin. C’est clair ? J’espère pour toi que Jin n’est pas… Enfin… Dépêche !


Avertir ? Avertir qui ? Pourquoi ne disaient-ils pas tout ? C’était un vrai casse-tête dans la tête de Wyska. Elle devait en savoir plus, surtout si Elleynah était surveillée. Elle allait devoir lui donner les détails. En tout cas, elle savait que l’homme allait la ramener à Elleynah. Au moins une bonne nouvelle. Mais ce qui l’inquiétait, c’était celui qui était envoyé à Al-Jeit. Un mauvais pressentiment avait pris place au creux de son estomac. Elle se souvint alors des hommes qui avaient pris Elleynah en chasse à Al-Jeit. Elle se surprit à espérer que ça n’avait rien à voir avec ces bandits qui devaient les surveiller, mais elle se doutait que le tout devait être relié.

En entendant les pas se rapprocher de la cellule, elle se jeta sur le sol et ferma les yeux. Elle calma sa respiration et fit semblant de dormir. Elle ne sut pas pourquoi, mais ce fut la première idée qui lui était venue à l’esprit. Elle préférait ne pas les laisser savoir qu’elle avait entendu leur conversation. Cela sembla fonctionner, car l’homme ouvrit la cellule en marmonnant contre le chef de bande. Sans douceur, il la prit par le bras pour la relever du sol. Wyska se laissa faire, comme si elle ne s’était tout simplement pas encore réveillée. L’homme la prit sur son épaule et se dépêcha de quitter l’endroit avec un « Dépêchons, avant qu’elle ne se réveille. »

En chemin, Wyska se risqua à ouvrir un œil. Elle resta tout aussi détendue pour ne pas alarmer le bandit, mais observa la route que celui-ci prenait. Il avançait sous terre et Wyska comprit qu’il avait semé Elleynah en passant sous terre. Et s’il y avait vraiment eu quelqu’un pour la ralentir, il avait peut-être pu gagner le souterrain avant que la marchombre ne les retrouve. En tout cas, Wyska se devait de retrouver Elleynah le plus rapidement possible pour la mettre au courant de ce qu’elle avait appris.

Lorsque le bandit sortit finalement du souterrain par une trappe cachée entre les buissons, Wyska fit mine de commencer à se réveiller. Elle bougea lentement en gémissant. L’homme sursauta et se dépêcha de la déposer plus loin avant de retourner se cacher. Wyska ouvrit les yeux et regarda autour d’elle. Elle ne le voyait pas, mais il ne devait pas être bien loin. Elle se leva et se dépêcha pour retrouver Elleynah. Elle avançait entre les arbres, mais elle ne savait pas à quelle distance elle se trouvait. La marchombre la cherchait peut-être aussi, alors elle ne pouvait qu’espérer qu’elles ne tournent pas en rond.

Durant plusieurs minutes, elle avança droit devant elle sans être certaine de la direction qu’elle prenait. Après tout, elle n’avait pas vu le chemin jusqu’à cette trappe. Mais elle pourrait la retrouver au besoin en faisant bien attention au paysage l’entourant. Elle entendit soudainement son nom et en se retournant, elle tomba sur Elleynah. Un air de soulagement se dessina sur son visage et elle courut vers la femme. Elle était vraiment contente de la retrouver. Mais avant de dire quoi que ce soit, elle posa le doigt sur sa lèvre pour signifier le silence. Puis, elle regarda autour avec suspicion et demanda à Elleynah de s’approcher. Lorsque la femme fut assez près, Wyska s’approcha pour lui murmurer à l’oreille ce qu’elle avait appris.

- Un des hommes doit nous suivre et un autre a été envoyé à Al-Jeit pour avertir qu’ils vous avaient vue, Elleynah. Je ne sais pas qui ils doivent avertir ni pourquoi, cependant. C’est tout ce que j’ai eu le temps d’entendre.

Elle ne se trouvait pas très utile, mais elle avait fait de son mieux pour tout retenir ce qu’elle avait entendu et l’expliquer fidèlement à Elleynah. Après tout, ça la concernait. Mais elle ne savait pas ce qu’il était mieux de faire. Trouver le bandit qui se dirigeait vers Al-Jeit pour l’empêcher de passer le message ? S’occuper de celui qui avait pour mission de les suivre ? Wyska leva le regard vers son maître et ajouta dans un chuchotement :

- Que devrions-nous faire maintenant ?

Elle jeta un regard autour d’elles. Elle ne s’était jamais retrouvée dans ce genre de situation et elle se sentait hors de ses moyens. Elle ne savait plus. Mais ça ne lui disait rien de bon. Elle laissa ses yeux se promener sur le paysage les entourant, essayant de trouver le bandit qui devait les suivre. Elle faisait de son mieux pour qu’il n’entende pas ce qu’elle disait, mais il devait bien se douter de quelque chose.

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- Lâchez-moi !

Tout s'était passé très vite. Trop vite. Elleynah avait entendu quelque chose bouger dans les feuillages. Mais il était déjà trop tard. Un des hommes avait tiré Wyska en arrière, et la marchombre l'avait perdue de vue. Une expression horrifiée sur son visage, elle mit quelques secondes avant de se mettre en mouvement, comme si une plaie venait de se rouvrir dans son coeur. Elle se secoua et plongea dans les feuillages. C'était hors de question, elle refusait de les laisser la prendre, elle aussi ! Mais au dernier moment, elle dut modifier sa trajectoire, et elle se prit une branche dans le ventre. Le choc lui coupa le souffle, mais elle ne se laissa pas le temps de récupérer. Elle jeta un rapide coup d'oeil à la flèche noire qui l'aurait clouée au tronc si elle n'avait pas modifié sa trajectoire. Une flèche sortie de nul part. Au moins l'un des hommes était un dessinateur. La marchombre se remit en mouvement immédiatement, tandis qu'une seconde flèche se planta là où elle n'était déjà plus. Elle avait dégainé deux poignards, prête à les lancer. Elle en jeta un qui se perdit dans le vide.

Un rictus de rage déformait son visage habituellement si doux. Elle se sentait en colère et idiote également. Comment n'avait-elle pas pu les entendre plus tôt ? Comment avait-elle fait pour laisser à nouveau une de ses apprenties... Non, elle ne devait pas penser à ça. Il était hors de question qu'elle perde Wyska. La marchombre savait pertinemment que c'était contre elle qu'ils en avaient, pas contre son apprentie. A travers l'acrobate, c'était la marchombre qu'ils voulaient atteindre. Mais elle ne leur laisserait pas le loisir de faire du mal à Wyska. Elle vivante, plus jamais personne ne souffrirait à cause d'elle. C'était une promesse qu'elle comptait bien tenir, quoi qu'il lui en coûte. Les flèches sifflaient près d'elle, l'empêchant de rejoindre l'endroit où son apprentie avait disparu. Elle était tout simplement coincée.

Le dessinateur ne lui laissait aucun repos, l'empêchant de partir au secours de son apprentie. Elle serra si fort le poignard dans sa main que ses jointures blanchirent. Il avait rapidement pris le dessus sur elle, et l'assaillait tellement qu'elle ne pouvait pas même riposter. Elle bondissait de branches en branches, se laissait tomber et escaladait à nouveau, sans parvenir à lui échapper. Le dessinateur était partout et nulle part à la fois. Il ne semblait pas déterminé à la laisser partir, et cela commençait sérieusement à l'agacer. Elle avait l'épaule encore fragile à cause de la veille, et elle avait l'impression que sa blessure s'était rouverte avec toutes ses acrobaties. Lorsqu'elle eut l'occasion de vérifier en passant une main sur son épaule, ses craintes se révélèrent exactes. Ces types, qui qu'ils soient, allaient payer très cher ce qu'ils avaient fait. Elle ignorait s'il s'agissait de mercenaires du chaos ou non, mais elle les trouverait, et elle leur ferait regretter. Pour l'heure, il fallait qu'elle parvienne à se débarrasser du dessinateur.

A contre coeur, elle rengaina son poignard. Elle entreprit de se calmer, de respirer, et de se concentrer, les yeux fermés. Elle devait savoir où était le tireur. Une énième flèche siffla près de son oreille, laissant une traînée rouge sur sa joue. D'un seul coup, elle rouvrit les yeux. Elle l'avait entendue. Une respiration, unique. Il était seul, comme elle le pensait. Aussitôt, elle bondit. Sans hésitation, sans support, elle se mit à flotter dans les airs quelques instants ; elle était un oiseau, enragé et mortel. Au cours de son vol, elle attrapa l'homme embusqué, avec une main, et ensemble, ils commencèrent à tomber. Dans leur chute, ils frappèrent tous les deux, se cognèrent aux branches des arbres. Privé de sa possibilité de dessiner des flèches, le dessinateur perdait le dessus. Elleynah était trop près de lui pour qu'il tente quoi que ce soit contre elle.

La marchombre frappait avec ses poings, déchainant sa colère. Elle voulait qu'il ait mal, mais elle ne devait pas le tuer. Elle allait sûrement avoir besoin de lui pour retrouver son apprentie. Au dernier moment, un filet apparut sous eux, stoppant la chute qui leur aurait coûté la vie à tous les deux. Aveuglée par la rage, la marchombre était terrifiante. Elle avisa une branche juste à côté d'eux, et une main sur la gorge de l'homme, le visage déformé par ses émotions, elle le plaqua contre un tronc. Elle plongea son regard brulant dans le sien. Le dessinateur avait le visage recouvert de sang, et sûrement le nez cassé. Elleynah aussi était en mauvais état. Outre la trainée de feu que la flèche avait laissé sur son visage et les coups qu'elle avait pris, elle saignait beaucoup de l'épaule. La jeune femme respirait fort et elle serra un peu davantage sa prise sur le cou de l'homme. C'était suffisant pour l'immobiliser, mais pas pour le tuer.

- Où est-ce que ton copain a emmené la demoiselle qui m'accompagnait ?

L'homme ne répondit pas, restant silencieux un instant. Il finit par lui cracher au visage, et Elleynah ferma les yeux un instant. De sa main libre, elle essuya son visage, et de l'autre, elle serra encore davantage le cou de l'homme. Il était hors de question qu'il ne lui dise pas où elle était.

- Je te laisse une dernière chance de me le dire.

Sa voix était étonnamment calme, ce qui la rendait d'autant plus effrayante. Elle ne rigolait pas. Elle ne rigolait vraiment pas. Et ce type allait lui dire tout ce qu'elle voulait savoir. Mais il ne répondit toujours pas. Elle allait donc utiliser la manière forte. Le chant marchombre. Elle avait été réticente à l'utiliser dès le départ parce que cela faisait très longtemps qu'elle ne s'en était pas servie. Mais il ne lui laissait pas le choix. Il fallait qu'elle retrouve son apprentie au plus vite, avant qu'ils ne... Elle ne pouvait pas y penser. Elle savait pertinemment qu'elle ne survivrait pas à une nouvelle perte de ce genre. Il était trop tôt. Elle ouvrit la bouche, mais une flèche siffla à son oreille. Elle eut le temps de se décaler, mais se rendit compte trop tard qu'elle ne lui était pas destinée. Un sourire aux lèvres, une flèche plantée dans la poitrine, le dessinateur perdit la vie sans avoir dit un seul mot.

- Non... Non, non, non...

Les yeux écarquillés, elle se précipita vers l'homme, mais il était déjà mort. Fulminante et désemparée, la marchombre se releva. Elle fit trois pas sur la branche en chancelant, faillit tomber mais se rattrapa in-extremis. Elle resta quelques secondes immobile et silencieuse, la respiration saccadée et laborieuse. Les choses ne pouvaient pas se passer ainsi. Elle ne pouvait pas avoir perdu Wyska... Non, peut-être qu'il n'était pas trop tard ! Elle pouvait toujours essayé de suivre les traces et de repérer le chemin que l'autre homme avait emprunté. Elle devait essayer au moins. Elle ne pouvait pas déjà s'avouer vaincue. Pas maintenant.

Sans attendre davantage, Elleynah se laissa glisser jusqu'au sol, et commença les recherches. Pendant près de deux heures elle parcourut tout le périmètre en long, en large et en travers, sans se soucier du sang qui coulait de son épaule. Elle avait fait un rapide bandage pour essayer de stopper temporairement l'hémorragie, mais ça ne tiendrait pas bien longtemps avec ce qu'elle infligeait à son corps. Elle bondissait, grimpait aux arbres pour essayer de voir toujours plus loin, tentait de pister une trace qui n'existait pas, et recommençait encore. Sans succès. Elle criait le prénom de la jeune fille, au risque de se faire repérer. L'homme et Wyska semblaient s'être totalement volatilisés. Brisée, Elleynah titubait. Elle trébucha et se retrouva à genoux, au pied d'un arbre grand et massif. Après quelques secondes, elle poussa un hurlement déchirant, exprimant tout ce qu'elle ressentait depuis déjà trop longtemps.

Mais très vite, la réalité la rattrapa. La marchombre n'était pas du genre à abandonner, ni du genre à se laisser aller. Elle n'était pas quelqu'un de faible. Et par-dessus tout, elle ne pouvait pas laisser son apprentie. Elle ne pouvait pas l'abandonner. Elle allait chercher encore, et si elle ne trouvait toujours pas, elle rentrerait à Al-Jeit pour demander de l'aide à Eleanor et à ses amis. Mais quoi qu'il lui en coûte, elle retrouverait la jeune acrobate. C'était une promesse qu'elle se faisait, et qu'elle faisait à Wyska, où qu'elle soit. Elle se remit debout, et recommença ses recherches. Au bout d'une grosse demie heure, elle entendit quelque chose. Elle se plaqua derrière un tronc et observa attentivement. C'est alors qu'elle vit la silhouette de Wyska, qui avançait d'un pas rapide.

- Wyska, souffla-t-elle.

Elleynah se précipita vers son apprentie, s'apprêtant à lui demander si elle allait bien, si elle n'était pas blessée. Mais elle stoppa sa course lorsqu'elle la vit maître un doigt devant sa bouche pour lui intimer le silence. D'un rapide coup d'oeil, elle inspecta le corps de Wyska. Elle n'avait pas l'air gravement blessée. Elleynah se détendit légèrement. Elle approcha lentement lorsque la jeune fille lui fit signe de le faire, et elle écouta attentivement ce qu'elle avait à lui dire.

- Un des hommes doit nous suivre et un autre a été envoyé à Al-Jeit pour avertir qu’ils vous avaient vue, Elleynah. Je ne sais pas qui ils doivent avertir ni pourquoi, cependant. C’est tout ce que j’ai eu le temps d’entendre. Que devrions-nous faire maintenant ?

Elleynah hocha la tête calmement, et fit un pas en arrière. Elle sourit à Wyska, et d'un geste aussi rapide que précis, elle dégaina un poignard et l'envoya dans une direction. Elle ne referait pas la même erreur deux fois. La lame était si rapide qu'il fut quasiment impossible de la voir. L'action n'avait pas duré plus de deux secondes. Dans les fourrés, un homme poussa un râle d'agonie et s'effondra sur le sol. Immédiatement après, son attention se reporta sur Wyska. Elle s'était fait beaucoup de soucis pour elle, et la voir devant elle, en bonne santé, lui paraissait miraculeux.

- Tu vas bien ? Tu n'es pas blessée ?

Elleynah hésitait beaucoup. Elle se voyait mal entraîner son apprentie avec elle dans cette mission, mais elles ne seraient pas tranquilles tant qu'elle n'en saurait pas plus sur ces gens qui lui en voulaient. Elle se doutait que, même s'ils n'étaient pas des mercenaires du chaos, ils avaient un lien avec eux. Après les récents évènements, ils avaient sans doute fait de sa mort une priorité. Elle savait beaucoup trop de choses, et elle les avait trompés d'une façon humiliante. Sa mère devait être folle de rage, et étrangement, cela la remplissait de joie. Mais elle savait qu'elle était capable de tout. Elle ignorait tout de l'ampleur des moyens mis en place, mais elle devait le découvrir. Elle n'avait pas le choix. Il fallait que Wyska la guide jusqu'à l'endroit où ils l'avaient emmenée. Son regard se durcit, tandis qu'elle s'approchait de son apprentie. Elle posa une main sur le fourreau de la jeune fille, et en sortit sa lame, brillante. Elle la lui posa à plat, sur le torse.

- La prochaine fois, sers-t-en.

Elle tourna ensuite les talons, et s'approcha du cadavre derrière les buissons. Pour le moment, elles étaient encore seules, même si Elleynah n'avait plus aucune certitude depuis que les hommes l'avait prise par surprise. Elle s'agenouilla près du corps et récupéra sa lame, qu'elle nettoya sur les habits de l'homme. Elle le fouilla ensuite pour prendre les armes qu'il avait sur lui. Elles allaient en avoir besoin. Elle profita d'être hors du champ de vision de Wyska pour souffler, et vérifier où en était sa blessure. Elle saignait toujours. La marchombre grimaça, et essuya ses doigts sur les habits du macchabée. Elle retourna ensuite vers Wyska et lui lança une lame encore dans son fourreau, un peu plus longue que celle qu'elle avait déjà.

- Est-ce que tu saurais me montrer l'endroit où tu étais ? J'ai quelques questions à poser à ces hommes.

Elle se tut un instant, comme si elle était pensive.

- Je ne peux pas te laisser seule, et j'ai besoin de toi pour me montrer. Il va falloir que tu te battes. Je sais que tu ne t'ai jamais servie d'une arme, mais je veux que tu le fasses si nécessaire.

Elleynah s'approcha de son apprentie, et se mit derrière elle. Elle plaça un poignard dans la main de la jeune fille, et attrapa son bras.

- Les jambes légèrement fléchies, tout en souplesse. Voilà, comme ça. Le bras plus haut, pour couvrir ton visage, ta poitrine et ton cou. Voilà. Ne baisse pas ta garde. Jamais. La lame comme ça.

Elle s'était radoucie, et lui montrait les bons gestes, en exerçant une légère pression sur les parties de son corps qui n'étaient pas bien placées.

- Sois mobile, Wyska. Bouge, profite de ta rapidité pour frapper la première. Et lorsque tu vois une ouverture, tu frappes de toutes tes forces avec ta lame. De toutes tes forces, tu entends ?

La marchombre observa rapidement son apprentie.

- Allez, on y va.

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Elle jeta un regard autour, scrutant les buissons, cherchant l’homme qui était caché. Elle ne le voyait pas. Elle ne l’entendait pas. Elle fronçait les sourcils lorsqu’elle entendit un sifflement suivi d’un cri. Wyska se tourna rapidement vers Elleynah qui lui souriait. Elle n’avait pas vu l’arme passée. Mais elle savait qu’Elleynah venait de lancer un poignard. De grands yeux étonnés, agrémentés d’une touche d’admiration se posèrent sur son maître. C’était impressionnant. Et maintenant, elles avaient un problème en moins. Le soulagement emplit ses épaules qui relâchèrent leur tension un moment. Elleynah reporta son attention sur elle.

- Tu vas bien ? Tu n’es pas blessée ?

Wyska hocha puis secoua la tête aux questions posées. Elle remercia la Dame de s’en être sortie sans blessure. Elle avait de la chance. Ces hommes auraient pu la maltraiter, la blesser, la tuer même, mais ce qui les avait retenus était la peur de la marchombre. Ceux qui en voulaient à Elleynah avaient mis la pression et glissé l’inquiétude dans le cœur de ses bandits. Surveiller et rapporter tout simplement. Ils ne voulaient pas risquer de perdre sa trace, semblait-il. Wyska ne comprenait pas. Elle réfléchissait à ce qu’elle avait entendu, à la situation dans laquelle elles se retrouvaient en mordillant sa lèvre pensivement.

Puis, Elleynah s’approcha, sortant Wyska de ses pensées. Celle-ci posa son regard dans celui de la femme qui s’était durcie. Elle sentit une boule se former dans son estomac et attrapa la lame que son maître lui posa à plat sur le torse. Son regard troublé se posa sur Elleynah lorsqu’elle entendit ses mots.

- La prochaine fois, sers-t-en.

Elle n’y avait pas pensé. Pas du tout. L’idée ne lui avait pas même effleuré l’esprit. Tout ce temps, elle aurait pu attraper la lame pour se défendre et elle n’y avait pas pensé. Elleynah s’éloigna d’elle. Wyska resta immobile avec l’impression de l’avoir déçue. Elle s’était laissé enlever et n’avait pas utilisé tous les moyens à sa disposition pour s’en sortir. C’était un sentiment d’échec qu’elle ressentait, une honte, la gêne aussi d’être aussi faible. Son regard se posa sur la lame. Cadeau qu’Elleynah lui avait fait. Elle la serra un peu plus contre elle. Elle devait arrêter de penser comme la jeune fille sans défense qu’elle était. Elle devait se montrer forte, capable de se défendre. Sinon, elle ne ferait pas un pas sur cette voie de liberté avant d’être balayée. Elle ne pouvait pas se cacher derrière quelqu’un pour l’éternité. Elle devait apprendre à avancer seule. Avec l’aide d’Elleynah. Elle ne devait plus oublier cette lame accrochée nonchalamment à sa ceinture.

Lorsque la marchombre revint vers elle, Wyska n’avait pas bougé. Son regard était posé sur la lame avec détermination. Ne pas reculer. Simplement avancer. Elle savait que le monde était un endroit dangereux. Ce n’était pas ce qui allait l’empêcher de l’explorer. Elle reporta son attention sur Elleynah lorsque cette dernière réapparut d’entre les buissons. Wyska rangea la lame qu’elle tenait toujours juste à temps pour attraper le fourreau qu’on lui lançait. Le regard vert de l’acrobate se posa sur la nouvelle arme. Elle était plus longue que celle qu’elle avait. Plus lourde aussi, mais moins qu’elle aurait pensé en la voyant. Elle dégaina pour regarder l’arme. Et la regarder lui donna envie d’apprendre à la manier. Parce qu’elle ne savait pas. Tenir une arme, d’accord. Mais se battre avec elle, c’était autre chose. En tout cas, pour elle. Elle n’était pas née avec une épée entre les mains après tout.

- Est-ce que tu saurais me montrer l’endroit où tu étais ? J’ai quelques questions à poser à ces hommes.

Elle leva le regard vers Elleynah. Elle ne répondit pas tout de suite, mais attendit plutôt la suite. Elleynah réfléchissait et l’apprentie préféra entendre tout ce que la marchombre avait à dire. Elle pouvait retrouver l’endroit sans peine, comme elle savait où elle se trouvait par rapport à la trappe. Elle se félicita mentalement d’avoir ouvert les yeux lors du retour.

- Je ne peux pas te laisser seule, et j’ai besoin de toi pour me montrer. Il va falloir que tu te battes. Je sais que tu ne t’ai jamais servie d’une arme, mais je veux que tu le fasses si nécessaire.

Le vert de ses yeux refléta plusieurs choses en entendant ses mots. L’inquiétude, la crainte, la détermination, la compréhension, entre autres choses. Elle allait devoir se battre. Vraiment cette fois. Défendre sa vie, car elle serait dans ce souterrain elle aussi. Elle devait guider Elleynah, car elle était celle qui y avait été après tout. Elle avait peur. Elle ne pouvait pas le nier, elle ne pouvait pas le cacher. Elle sentait son ventre se tordre à l’idée de devoir éviter des armes effilées se tendant vers elle pour la couper en morceaux. Elle était effrayée de faire du mal à quelqu’un. Mais elle ne se laisserait pas abattre facilement. Elle prit une grande inspiration et déglutit en hochant la tête. Elle avait compris. Elle ferait tout ce qu’elle pouvait pour ressortir de ce nid de bandit avec Elleynah, en un morceau. Elle avait deux armes. Elle allait devoir les utiliser.

Puis, Elleynah s’approcha d’elle. Wyska avait rangé la deuxième lame et l’accrocha à sa ceinture sans facilité, mais elle y parvint. Elle posa ensuite sa totale attention sur la marchombre qui posa un poignard dans sa main. Wyska referma le poing. Elle écouta attentivement ce que lui disait la femme.

- Les jambes légèrement fléchies, tout en souplesse. Voilà, comme ça. Le bras plus haut, pour couvrir ton visage, ta poitrine et ton cou. Voilà. Ne baisse pas ta garde. Jamais. La lame comme ça. Sois mobile, Wyska. Bouge, profite de ta rapidité pour frapper la première. Et lorsque tu vois une ouverture, tu frappes de toutes tes forces avec ta lame. De toutes tes forces, tu entends ?

Elle écoutait. Elle exécutait les mouvements. Elle apprenait. Elle était concentrée sur l’enseignement rapide que lui donnait Elleynah. Jambes fléchies. Souplesse. Mobile. Garde relevé. Rapidité. Frapper la première. De toutes ses forces. Son corps devait comprendre. Bouger rapidement en cas de besoin. Ne pas se figer, rester en mouvement. D’accord. Elle levait les bras devant elle comme lui montrait son maître. Elle sentait son cœur battre à l’idée de ce qui viendrait plus tard. Et elle sursauta lorsqu’Elleynah reprit la parole.

- Allez, on y va.

Wyska abaissa les bras. Elle remit le poignard à Elleynah et prit une grande inspiration. Elle sentait son ventre se tordre sous l’angoisse, mais elle ne laissa rien paraitre. Elle calma les battements de son cœur et jeta un regard vers la femme.

- Il y a une trappe un peu plus loin. En suivant le passage souterrain, on s’y rendra sans problème.

Elle se tut. C’était tout ce qu’elle avait à dire, maintenant elle n’avait qu’à prendre les rênes et guider Elleynah à l’endroit où on l’avait emmenée. Elles se mirent en route. Wyska avançait en regardant attentivement autour d’elle, trouvant ses repères. Elle passait entre les arbres et buissons, se dirigeant avec certitude vers la trappe cachée aux yeux indiscrets. Elles y seraient bientôt. Il ne restait qu’à contourner cet arbre. Puis, Wyska s’arrêta entre quelques buissons. Elle se pencha pour pousser les branches recouvrant l’entrée et ouvrit la trappe de bois. D’un signe de la main, elle présenta l’ouverture à Elleynah. Elle ne parla pas, au risque de se faire entendre par quelqu’un. Elles descendirent une échelle étroite pour se retrouver dans un couloir qui filait en ligne droite. Il était éclairé par des torches à intervalles réguliers qui permettait d’avoir une bonne vue lorsqu’on avançait. Wyska se remit en marche, suivi de son maître.

Pendant un long moment, elles avancèrent. Le couloir paraissait presque sans fin, mais finalement, elles se retrouvèrent près de l’entrée d’une salle creusée dans la roche. Wyska s’accroupit derrière une roche et jeta un œil vers la pièce. Le couloir continuait plus loin et l’apprentie savait où il se rendait ; aux cellules. Mais elle savait que les bandits étaient dans la pièce. Elles pouvaient entendre des éclats de voix et elle constata que le sujet de conversation n’était plus la marchombre. Enfin, ça ne changeait rien à la situation.

Wyska se cacha davantage derrière la roche lorsqu’un homme sortit de la pièce. Celui-ci emprunta le couloir opposé aux deux femmes. Il tenait une jeune fermière et Wyska comprit que celle-ci allait finir comme elle, enfermé dans une cellule sans vraiment savoir ce qui se passait. La jeune fille tourna la tête vers Elleynah et dans ses yeux se lisait ses intentions. Quelques minutes après, l’homme revint avec les autres. Wyska consulta du regard Elleynah et s’avança derrière elle. Alors qu’Elleynah entrait dans la salle, Wyska continua son chemin en écoutant le bruit ambiant laisser place au silence peu à peu.

Rapidement, elle arriva aux cellules. Elle devait se dépêcher et rejoindre Elleynah le plus vite possible, donc elle n’avait pas de temps à perdre. Elle trouva la jeune fermière inconsciente dans la même cellule qui l’avait accueillie. Maintenant, trouver la clé. Elle fouilla autour, dans les barils, les coffres, les tiroirs qui se trouvaient là. Elle la trouva finalement accrochée sous une tablette. Elle l’attrapa avec soulagement. Heureusement qu’ils ne gardaient pas la clé sur eux. Elle déverrouilla la porte de la cellule en question en jetant un regard nerveux autour d’elle. Elle était toujours seule dans le couloir. Elle se précipita vers la jeune femme et secoua son épaule pour la réveiller. Lorsque la fermière ouvrit les yeux, Wyska lui demanda de ne pas s’en faire, qu’elle allait la sortir de là et tout pour rassurer la femme qui avait une expression effrayée sur le visage. Elle lui dit de se dépêcher et l’aida à se relever.

Elles venaient de sortir de la cellule lorsque la terreur tordit le visage de la fermière. Wyska se retourna dans un mouvement rapide pour constater qu’un bandit avançait vers les cellules. Il arrivait d’un autre couloir, probablement ignorant de ce qui se passait plus loin. Wyska sentit son cœur accélérer, l’adrénaline parcourir ses veines et l’inquiétude lui tordre les entrailles. L’homme ne les avait pas encore vues. Wyska analysa la pièce et tira la jeune personne vers la première cachette qui s’offrait à elles. Mais elle savait que ce ne serait que pour un moment et elle devrait sauter sur l’élément de surprise que lui procurerait la cachette. Elle poussa la fermière sous la table et s’accroupit devant elle. L’apprentie fit signe à la fille de ne pas faire un bruit et sortit de son fourreau la lame que lui avait donnée Elleynah. Elle sentait son cœur battre si fort qu’il enterrait presque les bruits de pas du bandit. Elle se concentra, prit une grande inspiration et se convainquit de l’évidence. Elle n’avait d’autre choix que de se battre. Pour l’instant, elles étaient encore dans l’angle mort de son champ de vision, mais plus pour longtemps. Elle attendit, la main tremblante sur le manche de l’arme qu’elle tenait. Elle ne savait pas encore ce qu’elle allait faire. Elle réfléchissait à toute vitesse, mais n’arrivait pas à trouver le meilleur moyen pour s’en sortir. Elle n’avait plus beaucoup de temps. Quelques pas de plus, il serait assez près pour les voir, et pour qu’elle saute avant qu’il ne le réalise.

Dès que le moment arriva, elle s’empêcha d’hésiter. Sans réfléchir davantage, elle sauta sur l’homme et le poussa de toutes ses forces. Sous la surprise et le poids de l’acrobate, le bandit perdit l’équilibre. Wyska bondit en arrière et en le voyant prendre son arme, elle attaqua la première. L’homme tomba à la renverse, ne pouvant éviter ou riposter à cause du déséquilibre causer par l’apprentie. Wyska prit un élan et frappa avec force sur le casque de l’homme. Le bandit se retrouva assommé sur le sol et Wyska leva sa lame devant elle, avec de grands yeux. Un deuxième bandit suivait l’autre d’un peu plus loin. Elle ne l’avait pas vu avant et elle n’avait plus l’élément de surprise maintenant. La peur se glissa dans ses yeux. Le temps de surprise passé, le deuxième bandit grogna. Il avait regardé l’enfant qui se tenait devant lui et considéra qu’elle n’était pas une menace. Il fallait simplement s’en débarrasser.

De son côté, Wyska était affolée intérieurement. Elle jeta un regard à la fermière qui tremblait beaucoup plus qu’elle sous la table. Celle-ci avait une expression effrayée sur le visage et Wyska se dit qu’elle ne pouvait pas la laisser là. Alors que l’homme approchait, Wyska prit de nouveau en charge la situation. Elle se pencha pour attraper le poignet de la jeune fille, la tira de sa cachette et la poussa vers le couloir s’étendant derrière elles en criant « Cours ! » Ce moment lui rappela cette situation similaire qu’elle avait vécue avec Elleynah. Mais elle n’avait pas l’intention de rester se battre. Elle devait courir et penser à la meilleure option par la suite. Wyska détala donc à la suite de la fermière. Bien entendu, l’homme ne les laisserait pas fuir si facilement. Il s’élança derrière elles.

Wyska avait pensé pouvoir prendre un peu d’avance, mais le bandit était plus rapide qu’elle ne pensait. Elles couraient vite aussi, mais un problème se présentait à elles. Elle ne connaissait pas le terrain. Elles trébuchaient dans les fissures et les roches, elles perdaient par moment l’équilibre, elles se reprenaient et elles tournaient avec un moment d’hésitation lorsque le couloir changeait de direction. L’homme ne marquait aucun temps d’arrêt, ayant parcouru ses couloirs des tonnes de fois déjà, et il les rattrapait sans peine. Bientôt, Wyska sentit une main sur son épaule. Elle n’attendit pas. Elle n’hésita pas et frappa de toutes ses forces avec l’arme qu’elle tenait, tournant sur elle-même. Elle sentit l’arme s’enfoncer et entendit un cri de douleur. Wyska voulut reculer, lever son arme, mais elle n’arriva pas à la retirer d’un coup. Elle ne fit qu’empirer les dégâts qu’elle avait déjà causés. Le bandit lâcha la petite hache qu’il tenait à la main et regarda Wyska, sans comprendre ce qu’il venait de se passer. Wyska, elle, ne pouvait pas décrocher son regard de l’arme plantée dans le corps de son opposant. Ses mains, ses bras, son corps, tremblait tout entier. D’horreur ? De terreur ? Elle ne savait plus. Le sang s’écoulait de la blessure, tachant la lame, tachant ses mains. Elle ne pouvait plus bouger. Elle voulait crier, mais aucun son ne sortait de ses lèvres. Son regard se brouilla, toujours fixer sur cette couleur rouge. Les larmes coulèrent lentement sur ses joues. Silencieuse. Douloureuse. L’homme s’effondra, la respiration difficile, la vie le quittant en même temps que son sang. L’épée quitta les mains de l’apprentie, mais son regard ne quitta pas le sang qu’elle avait fait couler. Elle ne savait plus. Elle était perdue. Elle pleurait. Affolée.

Ce fut la fermière qui la ramena à la réalité, qui la sortit de cette bulle d’horreur qui s’était refermée sur elle. La fille passa un bras autour de ses épaules et lui conseilla d’une voix douce, mais tremblante de sortir de cet endroit. Wyska posa son regard consterné sur elle. Puis, secoua la tête. Elle ne pouvait pas partir, mais elle devait effectivement emmener la fermière en lieu sûr. Elle pourrait ensuite rejoindre Elleynah. Elle prit une grande inspiration pour chasser ses peurs, elle attrapa l’épée qui lui appartenait et indiqua à la fermière de courir. Elles longèrent le couloir, passèrent devant la salle où Wyska s’obligea à ne pas jeter un œil et continuèrent leur course jusqu’à la trappe. Lorsque la fermière fut sortie et assura pouvoir retrouver son chemin, Wyska commença à redescendre.

- Tu ne viens pas avec moi ?

- Non. Il y a quelqu’un qui m’attend en bas et je dois la retrouver. Rentre chez toi.

Elle referma la trappe après avoir salué la jeune fermière et retrouva le sol du souterrain. Elle reprit son arme qu’elle avait posée près de l’échelle et serra le pommeau dans sa main. Elle n’avait pas de temps à perdre. Elle devait retrouver Elleynah le plus rapidement possible. Et elle devait se calmer. Elle ne serait d’aucune utilité dans l’état où elle était ; affolée, effrayée, inquiète. Elle allait la retrouver et elles pourraient ensuite repartir ensemble. Ce n’était pas quelques bandits qui allaient l’en empêcher. Elle s’élança dans le couloir. Elle arriva sans peine jusqu’à la salle où Elleynah avait disparu beaucoup plus tôt. Wyska espéra qu’elle serait toujours dans le coin. Elle se colla au mur et se prépara à faire son entrée, mais une femme sortit au même moment par la porte. Celle-ci était blessée, mais en voyant Wyska elle abattit son sabre. L’apprentie eut le temps de lever son arme pour bloquer. Par chance, la femme n’avait pas toutes ses forces et Wyska put attraper la deuxième épée qu’elle avait. Avec maladresse, mais force, elle frappa la femme qui recula en titubant. Ce n’était pas bien extraordinaire comme coup, mais la femme était déjà faible et blessée. Ce simple coup permettait à Wyska de s’en sortir. Elle détourna le regard de la femme qui se laissait glisser au sol et se précipita dans la salle. Elle devait la trouver.

- Elleynah ? appela-t-elle en avançant entre les corps, arme levée devant elle.

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Elleynah était contrariée, mais elle tâchait de ne pas le montrer. Bien sûr, elle n'était pas idiote. Elle était pleinement consciente que ses actes allaient avoir des répercussions plus terribles que jamais. Pourtant, elle ne s'était pas rendue compte d'à quel point elle était vulnérable. Plus libre que jamais, plus marchombre que jamais, Elleynah en avait presque oublié ses nombreuses faiblesses et tout le travail qu'elle avait encore à accomplir. Et cela aurait pu être dramatique. Elle n'osait pas imaginer l'état dans lequel elle aurait été si jamais sa mère avait pris la vie de son apprentie, une nouvelle fois. En pensant à cette femme, elle sentit une colère immense l'envahir. Elle était plus déterminée que jamais à comprendre qui étaient les hommes qui étaient à sa poursuite et ce qu'ils prévoyaient de lui faire subir. Lorsqu'elle aurait les armes en main, elle n'hésiterait pas à montrer qu'elle était tout sauf vulnérable. Elle ne voulait plus être la proie. S'il le fallait, elle n'hésiterait pas à prendre les mesures nécessaires. Elleynah deviendrait la chasseuse.

- Il y a une trappe un peu plus loin. En suivant le passage souterrain, on s’y rendra sans problème.

La maître marchombre fixa un instant son apprentie. Elle devait avouer qu'elle était particulièrement impressionnée par le calme dont elle faisait preuve. Elle venait de se faire enlever, elle avait probablement failli y laisser sa vie, et pourtant, elle n'était pas même un peu agitée. Pour la énième fois en quelques heures, Elleynah eut la certitude qu'elle n'aurait pas pu avoir meilleure apprentie que Wyska. Elle avait toutes les qualités requises pour devenir une marchombre exceptionnelle, et la rousse se promit qu'elle ferait tout ce qui est en son pouvoir pour qu'elle y parvienne. Il allait falloir qu'elle commence par expliquer à son apprentie de façon détaillée ce dans quoi elle s'était engagée. Cette idée déplaisait fortement à Elleynah, mais elle n'avait pas réellement le choix. Une fois mise au courant, Wyska serait sans nul doute plus apte à avoir les bonnes réactions et à se préparer à ce qui l'attendait. Elles auraient cette discussion plus tard. Pour l'heure, il fallait qu'elles se dépêchent. La nuit allait bientôt tomber, et il était probable que Wyska ne puisse pas retrouver le chemin qu'elles cherchaient dans le noir.

Sans dire un mot, les deux jeunes femmes progressèrent à travers les troncs épars. Elleynah était aussi silencieuse qu'une ombre, mais Wyska faisait craquer absolument toutes les branches sur lesquelles elle marchait. La marchombre ne fit aucune remarque, mais nota la discrétion sur la liste des points à travailler d'urgence. Elle était consciente qu'elle allait devoir avoir un niveau d'exigence exceptionnel en ce qui concernait l'apprentissage de l'acrobate. Elle était également consciente qu'elle ne doutait absolument pas que la jeune fille allait réussir brillamment à répondre à toutes ses exigences. Elleynah en vint à la conclusion que, si elle n'avait pas croisé la route de cette jeune fille à l'incroyable potentiel, elle n'aurait probablement pas repris d'apprentie. Elle n'aurait jamais voulu prendre le risque de prendre une apprentie si elle avait pensé qu'elle se ferait tuer à la première occasion. Perdre une nouvelle apprentie aurait trop d'impacts néfastes sur elle. Elle n'aurait jamais laissé l'occasion à une telle chose de se produire. Courageuse mais pas téméraire. Après tout, Elleynah était funambule, pas suicidaire.

Lorsqu'elles arrivèrent devant la trappe, Elleynah demeura pensive une seconde. Comment un groupe de malfrats pouvait posséder un tel lieu ? Qu'allait-elle trouver là-dessous ? L'idée qu'il puisse s'agir d'un piège lui effleura l'esprit. Au cours des deux ans qu'elle avait passé dans le camp des mercenaires du chaos, ils avaient eu l'occasion d'apprendre à la connaître, bien mieux qu'elle ne l'aurait souhaité. Il n'était pas totalement improbable qu'ils aient songé à prévoir ses actes, et à utiliser ses faiblesses pour la laisser s'enfermer elle-même dans un piège créé sur mesure. Sans véritablement chasser cette idée de son esprit, la jeune femme fut la première à s'enfoncer dans le gouffre béant qui s'ouvrait dans le sol. Après tout, si ses agresseurs attendaient réellement qu'elle vienne s'offrir à eux dans cette prison souterraine, eh bien, c'était ce qu'elle allait faire. Et elle allait leur faire comprendre qui elle était.

Elleynah était attentive à tout ce qui se passait autour d'elle. Il était hors de question qu'elle se fasse avoir une nouvelle fois. Elle jetait également de fréquents coups d'oeil à sa jeune apprentie, prête à intervenir s'il y avait le moindre problème pour elle. Même si toute cette histoire lui tenait à coeur, la sécurité de Wyska était ce qu'il y avait de plus important à ses yeux. Elle ne laisserait personne lui faire du mal. Personne. Et si elle était consciente que l'amener ici avec elle entrait en contradiction avec ce qu'elle ressentait, elle avait la sensation qu'elle pouvait croire en son apprentie, et lui laisser ses chances de faire ses preuves. Il n'était pas question qu'elle la materne, ni qu'elle essaie de la préserver du monde dans lequel elle vivait. Elle avait été suffisamment éloignée de la réalité des choses pendant les dix-sept premières années de sa vie. Désormais, Elleynah allait tout faire pour qu'elle soit confrontée au monde réel. Ca n'était que comme ça qu'elle pourrait avoir une chance de s'en sortir.

Lorsqu'elles arrivèrent à proximité des éclats de voix, Elleynah s'accroupit, et Wyska en fit de même. Un homme sortit de la pièce, entraînant avec lui une jeune femme qui avait l'air particulièrement vulnérable. La marchombre hésita un instant à y aller, puis elle capta le regard de son apprentie. La maître avait plus urgent à faire que de sauver cette femme. En revanche, elle pouvait laisser Wyska le faire. Si elle avait un problème, elle n'aurait qu'à l'appeler, et elle viendrait l'aider. Et puis, c'était sans doute une bonne chose de lui permettre d'apprendre par elle-même. Elleynah hocha donc la tête, signe qu'elle approuvait la décision de son apprentie. Elle la regarda s'éloigner à toute vitesse dans le couloir plongé dans une semi-obscurité étrange. Lorsque Wyska disparut de sa vue, elle prit une grande inspiration, comme pour calmer les appréhensions qui s'emparaient de son coeur fou. D'un geste fluide, elle dégaina deux de ses lames, et elle se glissa dans la pièce principale.

Sans même que les personnes présentes n'aient le temps de se rendre compte de ce qu'il se passait, Elleynah entra dans la danse. Elle se mouvait avec rapidité et précision, et chacun de ses coups était efficace. Les premiers hommes s'écroulèrent, et elle progressa dans la pièce. Il fallait qu'elle trouve leur chef. C'était à lui qu'elle devait s'adresser si jamais elle voulait pouvoir accéder à des renseignements. Et cette fois, elle ne lui laisserait pas d'occasions de se suicider. Sa respiration était lente et contrôlée, comme chacun des gestes qu'elle effectuait. Ses lames volaient, mais ça n'était pas elles qui faisaient le plus de dégâts. Son corps entier se mouvait avec efficacité, et en l'espace de quelques secondes, elle était devenue une arme mortellement dangereuse. Il n'y avait rien qui semblait pouvoir l'arrêter. Elle ne tuait pas nécessairement, se contentant parfois d'écarter les personnes de son passage. Trop de sang avait déjà été versé, et bien plus restait encore à faire couler.

Il n'y avait personne dans la pièce qui semblait plus important, mais Elleynah jeta son dévolu sur un homme qui portait des habits riches. Elle se fraya un chemin jusqu'à lui, et le plaqua contre le mur. Un sourire à la fois doux et cruel se dessina sur ses lèvres, et elle se pencha vers l'oreille de l'homme. Si elle avait craint de ne pas parvenir à utiliser le chant marchombre un peu plus tôt dans la journée, tous ses doutes semblaient s'être envolés. Les sons commencèrent à s'élever de sa gorge, et tout le monde dans la pièce cessa de bouger, comme hypnotisés par la marchombre. Lentement, sans se brusquer, elle formula sa demande qui n'en était pas vraiment une. Elleynah donnait des ordres, et lui n'avait plus d'autres choix que de lui obéir. Il était pris au piège, et rien ne pouvait arrêter la marchombre. Juste un murmure contre lequel il ne pouvait rien.

- Emmène-moi à ton chef.

L'homme voulait lutter, mais il n'y parvenait pas. Lentement, il se mit en marche, et se dirigea vers un couloir au fond de la salle. Le murmure d'Elleynah s'amplifia, comme s'il voulait s'immiscer partout autour d'elle. Ombre parmi les ombres, elle suivit l'homme pendant un temps qui lui sembla être une éternité, comme si les boyaux sous-terrains s'étendaient à l'infini. D'une certaine manière, l'endroit lui rappelait étrangement le camp des mercenaires du chaos, et cela la mettait mal à l'aise. Elle se surprenait à craindre de voir sa mère apparaître à tous les coins de couloirs. Elle se rendait également compte qu'elle était en train de s'éloigner dangereusement de l'endroit où était partie Wyska, et qu'il lui serait impossible d'intervenir assez rapidement pour sauver son apprentie en cas de besoin. La jeune acrobate allait devoir se débrouiller seule.

Lorsqu'ils arrivèrent enfin dans une sorte de salle circulaire, Elleynah était toujours aussi calme. Une lueur étrangement sombre brûlait dans son regard, et prit encore davantage d'ampleur lorsqu'elle aperçut l'homme particulièrement bedonnant qui se tenait assis devant une grande table. Autour de lui, quelques hommes discutaient bruyamment. Cependant, lorsqu'ils se rendirent compte de la présence de la marchombre, un silence de mort s'installa. Il sembla à la rousse que certains des hommes devinrent blêmes, tandis que d'autres portaient une main à leurs armes. Elleynah avait stoppé le chant marchombre juste avant qu'ils n'arrivent dans la salle, et son guide avait pris ses jambes à son cou dès qu'il l'avait pu. Elleynah n'avait pas cherché à le retenir. Après tout, ça n'était pas lui qui l'intéressait. Elle prit une grande inspiration, et s'avança parmi les hommes, confiante.

- Je viens pour discuter, dit-elle calmement.

Un des hommes se mit à hurler et se jeta sur elle, les armes sorties. Elleynah fut plus rapide. Elle envoya son pied qui frappa l'homme en plein plexus solaire. Le souffle coupé, l'homme s'écroula. Elle envoya un second coup de pied sur sa tête, et l'homme s'écroula, inconscient. Les autres qui s'étaient redressés, prêts à intervenir, restèrent immobiles. Le gros homme fit un signe de tête et hésitants, les autres se jetèrent sur Elleynah. Visiblement, il n'était pas prêt à discuter. Tant pis, elle allait devoir utiliser la manière forte. La marchombre se met en mouvement, et ses gestes sont d'une efficacité redoutable. Les hommes tombent les uns après les autres, ne parvenant pas à ouvrir plus que de petites blessures superficielles sur le corps de la jeune femme. Lorsqu'elle s'est débarrassée de tous les sbires, elle s'approche de l'homme bedonnant.

- J'ai dit que je venais pour discuter, répéta-t-elle d'un air détaché.

L'homme est mort de peur, et elle le voit. Cependant, dans un élan de folie, il demeure muet. Elleynah s'approche davantage de lui. Elle n'hésitera pas à la tuer s'il le faut.

- Ne m'oblige pas à te tuer.

Nouveau silence. Elleynah soupire et s'approche encore, son arme levée, prête à frapper. Alors, l'homme craque. Il tombe sur le sol comme un enfant paniqué, les mains devant son visage bouffi.

- Non pitié ne me tuez pas ! Je vais tout vous dire. On nous a engagé pour vous trouver et pour faire de votre vie un véritable enfer jusqu'à ce qu'ils viennent vous chercher pour vous ramener là-bas.

- Qui ça, "ils" ?

La voix d'Elleynah est aussi glaciale que l'hiver. L'homme déglutit mais ne répond pas. Elleynah commence à perdre patience.

- Qui ça, "ils" ? répète-t-elle.

- Je... Je sais pas, bafouille-t-il.

Excédée, Elleynah se rend à l'évidence. Elle n'obtiendra probablement rien de mieux venant de lui. Elle tourne les talons, quand elle entend l'homme se redresser.

- Vous ne serez jamais en paix. Si ce n'est pas nous, ce sera d'autres. Ils n'arrêteront jamais de vous chercher, où que vous alliez, quoi que vous fassiez, jusqu'à épuisement. Et ils finiront par vous détruire. Vous, vos proches et la gamine qui vous accompagne. On les tuera tous, sous vos yeux. Et je me...

L'homme reste un instant immobile, sans doute surpris par la lame qui vient de se planter dans sa gorge. C'en était trop pour elle. Personne n'avait le droit de menacer ceux qu'elle aimait. Personne. Elle s'apprêtait à rejoindre la sortie de la pièce lorsqu'elle tomba nez à nez avec Wyska. La marchombre se demanda si elle avait entendu la conversation qu'elle venait d'avoir avec l'homme. Elle fut heureuse de voir que, mise à part quelques blessures, elle avait l'air d'aller bien.

- Ca fait longtemps que tu es là, Wyska ?

Elleynah sembla troublée pendant un instant.

- Peu importe. Il doit faire nuit, il faut qu'on s'en aille.

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Dans la première salle, Wyska ne trouva pas son maître. Le ventre serré, elle continua sa route. Dans la pièce suivante, il n’y avait toujours aucune trace d’Elleynah, ou enfin presque. Les corps étendus sur le sol, blessés ou assommés, lui indiquaient le passage d’une bagarre à laquelle l’apprentie savait que la marchombre avait participé. Elle était certaine de suivre les pas de la femme. En avançant, Wyska ne s’attardait pas. Elle ne voulait pas savoir s’ils étaient en vie ou non. La seule chose dont elle s’assurait en parcourant les pièces et couloirs était de ne pas se faire attraper les pieds par un bandit toujours conscient. Bien heureusement, elle était encore en forme. Pas dans son état le meilleur, mais capable de se défendre contre un adversaire à moitié assommé.

Tremblante, elle marchait droit devant elle en évitant précautionneusement les armes, bras et jambes qui se retrouvaient sur son chemin. Elle empêchait son regard de s’attarder sur les corps, étant concentrée sur son but ; retrouver Elleynah. Elle sentait son cœur battre avec force dans sa poitrine et elle avait l’impression de n’entendre que ça, avec le bruit de ses pas sur la terre. Puis, elle enjamba un bras qui se contracta soudainement avant de retomber. L’acrobate sursauta en reculant d’un bond, mais réalisa bien vite que la personne était toujours inconsciente. Elle relâcha son souffle dans un soupir de soulagement et reprit son chemin dès que les battements affolés de son cœur se furent calmés. Elle arriva ensuite dans un long couloir qui filait loin devant. Elle n’en voyait pas le bout, mais avait le sentiment qu’elle devait s’y aventurer pour retrouver la marchombre. Sur le chemin, il n’y avait aucun corps, mais elle était certaine d’être dans le bon chemin. Elle avança sans un regard derrière elle.

Les minutes s’écoulaient et le couloir s’allongeait toujours plus devant elle. Plus elle avançait et moins elle savait vers où elle se dirigeait exactement. Elle se demandait où la mènerait ce couloir, mais elle continuait d’avancer avec l’espoir de voir Elleynah apparaître devant ses yeux. Elle se sentait complètement perdue au milieu de tous ses souterrains, ne sachant plus quoi faire ni où aller. Elle n’avait plus de points de repère pour s’y retrouver au milieu de toutes cette nouveauté. Tant de choses changeaient sans qu’elle ne comprenne le pourquoi ou le comment. Trouver son maître lui semblait la seule chose sensée à faire à ce moment. Elle avait l’impression que la vérité ne cessait de lui échapper. Elle était entraînée dans quelque chose de beaucoup plus gros qu’elle aurait pu imaginer et elle ne savait plus comment réagir. Il s’était passé tellement de choses depuis qu’elle avait quitté avec Elleynah. Et beaucoup ne faisaient encore aucun sens pour elle. Elle ne savait plus ce qu’elle devait faire. Ce à quoi elle devait s’attendre. Alors, elle avançait. Toujours droit devant. Et elle commençait à s’imaginer prisonnière de la terre.

Cependant, des éclats de voix lui assurèrent qu’elle était dans la bonne direction. Elle se libéra de cette impression de vide qui se refermait sur elle et s’arrêta en écoutant. Dès qu’elle reconnut la voix de la marchombre, elle se remit en marche rapidement, se guidant à l’oreille. Elle marchait de plus en plus vite et se retrouva rapidement à courir pour atteindre la pièce où émanait les paroles qu’elle ne comprenait pas. Elle les entendait, les mots se rendaient à ses oreilles, pourtant, aucun sens ne leur était accordé. Peut-être plus tard comprendrait-elle ce qui était dit, mais pour le moment, tout ce qu’elle pensait était avoir retrouvé Elleynah. Que c’était sa voix qu’elle entendait. C’était ce qui lui importait, là, tout de suite. Retrouver son maître, un de ses repères, l’un des seuls qui lui restait au milieu de ce lieu souterrain.

Enfin, elle arriva devant la pièce qu’elle avait tant cherchée. Elleynah était là, juste devant elle. Elle sentit une vague de soulagement et de ravissement l’envahir alors qu’elle s’arrêtait à l’entrée de la pièce, le souffle court de sa course. Son regard se posa sur Elleynah. Derrière la marchombre, elle put voir un homme s’écrouler, mais elle ne réalisa pas tout de suite la situation. Son attention se portait sur son maître. Elle l’avait finalement retrouvée. Wyska resta immobile au pas de la porte et laissa la marchombre s’approcher d’elle. Soudainement, la voix d’Elleynah s’éleva et la fit réagir. Comme si la réalité lui retombait dessus et la sortait de sa contemplation.

- Ça fait longtemps que tu es là, Wyska ?

L’apprentie garda son regard sur la marchombre en laissant les mots prendre sens dans son esprit. Non. Elle venait d’arriver. Elle l’avait cherchée longtemps dans ses couloirs et elle avait fini par entendre sa voix. Elle ne pouvait pas dire de quoi ils avaient parlé. Elle avait vu la fin de l’altercation, mais sans y porter d’attention. Elle ne savait pas ce qui s’était réellement passé. Elle aurait bien voulu lui dire tout cela. Et lui demander ce qui s’était passé, si tout allait bien, mais aucun son ne sortit de sa bouche qu’elle entrouvrit légèrement. Elle voulut secouer la tête négativement pour au moins répondre à la question, mais Elleynah reprit rapidement la parole :

- Peu importe. Il doit faire nuit, il faut qu’on s’en aille.

- Oui, souffla simplement Wyska dans un murmure avant d’emboîter le pas à son maître.

Sur le chemin du retour, elle avait l’étrange impression de marcher dans un rêve. Comme si elle allait finir par se réveiller. Que tous ces corps n’étaient que le fruit d’un horrible cauchemar. Que l’arme qu’elle tenait n’était pas tachée de sang. Elle ne pouvait pas croire que tout cela était réel. Sauf qu’au fond, elle le savait très bien. Elle regardait les corps étendus à ses pieds cette fois. Maintenant que son objectif de retrouver Elleynah était accompli, elle n’avait plus rien qui lui occupait l’esprit à part les corps de tous ces bandits. Elle était horrifiée par ce qu’elle voyait et pourtant incapable de détacher ses yeux du carnage. Et le rêve s’effondrait plus elle avançait. Tout cela était réel. Bien réel. La réalité la rattrapait. Elle aurait pu mourir plusieurs fois, mais elle se tenait toujours debout. Pourquoi ? Elle ne savait pas comment elle avait réussi à se débarrasser des deux bandits plus tôt. Elle ne savait pas où elle avait trouvé le courage de... La phrase refusa de s’achever dans sa tête. Mais la vérité la frappa en plein visage. Une vérité qu’elle avait voulu ignorer, sur laquelle elle avait fermé les yeux, mais qui pourtant allait la suivre pour le restant de ses jours maintenant. Elle avait tué quelqu’un. Elle s’était simplement défendue. Pour survivre, elle avait dû ne pas hésiter. Cependant, ça ne changeait rien à ce qu’elle avait fait. Sa tête lui tourna tout d’un coup et le couloir devant elle sembla se déformer. Elle perdit l’équilibre et se rattrapa sur un mur. Les yeux grands ouverts, incapable de faire un pas de plus. Elle se sentit prise de nausée, mais résista. Elle ferma les yeux un moment et prit une grande inspiration pour essayer de calmer les émotions qui broyaient ses entrailles. Elle reprit ensuite la route derrière Elleynah en essayant de mettre de côté toutes les horreurs qui la terrifiaient, refusant de passer une minute de plus ici-bas.

Lorsqu’elles retrouvèrent la surface, la fraîcheur de la nuit lui fit le plus grand bien. Il chassa un instant les troubles et la confusion de son esprit. Elle put prendre de grandes respirations loin de cette lourde atmosphère de mort. Elle était en train d’étouffer en bas et se retrouver à la surface l’aidait à se replacer, à se reprendre en main. Lorsqu’elle sentit son cœur calmer sa course effrénée, Wyska ouvrit les yeux pour jeter un regard sur le ciel. La nuit était tombée entre temps, comme l’avait pensé Elleynah. La lune éclairait le passage entre les arbres épars et Wyska admira le paysage nocturne qui eut le don de la calmer un moment et de lui faire oublier les dernières heures qu’elle avait vécues. La lune caressait son visage avec douceur, comme pour la réconforter et la tirer de ce cauchemar qui l’envahissait tout entière. Elle appréciait le vent sur sa peau et la fraîcheur qui picotait sa chair. Avec une grande inspiration, elle se mit en chemin derrière Elleynah pour retrouver leur campement.

En avançant, elle s’était convaincue de pouvoir passer à autre chose et laisser ce cauchemar dans le souterrain, mais elle se trompait amèrement. Elle pensait avoir calmé son angoisse et la terreur qui lui glaçait le sang, mais le moindre bruit la faisait sursauter. Une branche qui crache, une feuille qui bruisse, un oiseau qui crie. Elle tournait la tête d’un côté et de l’autre si vite qu’elle s’étourdissait elle-même. Chaque fois que la vie se faisait sentir, elle sautait. Elle avait peur. Tellement peur. Son corps en tremblait toujours et elle avançait avec difficulté, sans cesse distraite par ce qui l’entourait et par les ombres qui lui semblaient se mouvoir autour d’elle. Prêtes à se fondre sur elle pour l’attaquer à tout moment. Elle avançait parfois rapidement, parfois trop lentement et elle butait contre des obstacles idiots. Une racine, une roche. Plus elle avançait, plus elle avait l’impression de perdre la tête. De devenir complètement folle. Elle dut à un moment s’arrêter. Son cœur battait si vite, ses mains tremblaient, son souffle s’accélérait sans cesse, son visage se déformait sous la peur et elle pouvait s’effondrer à n’importe quel moment. Elle porta la main à sa tête pour essayer de se calmer une nouvelle fois. C’était tout ce qu’elle faisait depuis un moment. Essayer de calmer les tremblements, la peur et chasser les images de tous ces corps sans vie sur le sol. Mais surtout, l’image de sa lame dans le corps de ce bandit. Et le sang qui coulait sur ses mains. Elle les regardait, ses mains. Elle voyait encore du sang et le corps qui s’effondrait. Elle ne pouvait plus bouger. Et elle ne pouvait retenir les larmes de couler sur ses joues. Ou les sanglots de l’envahir. Elle avait mal. Son cœur était si serré qu’elle avait l’impression de ne plus pouvoir exister. Elle ne pouvait pas arrêter ses pleurs. Elle n’arrivait plus à reprendre contenance et les images se refermaient sur elle, ne lui laissant aucun répit.

- Je suis désolée... je suis... désolée... murmura-t-elle entre deux sanglots.

Elle était prisonnière de cette image morbide. Elle n’arrivait pas à voir autre chose que le sang qui coulait sur ses mains, mais elle avait toujours conscience de la présence d’Elleynah quelque part. Elle voulait se montrer forte, ne pas être un fardeau pour la marchombre, mais elle avait tellement peur de tout ça. De tout ce qui arrivait. Des gestes qu’elle posait. Elle ne comprenait pas. Ce n’était pas ce qu’elle voulait. Elle ne savait plus quoi faire. Elle était motivée à suivre cette Voie. Elle avait le fort sentiment que c’était la sienne et pourtant, à l’instant, elle se sentait perdue. Complètement perdue dans un monde qui lui était inconnu. Elle avait froid dans la nuit. Elle était pétrifiée au milieu des ombres qui ne l’avait jamais effrayée auparavant. Que se passait-il ? Que devait-elle faire ? Où était Elleynah ? Elle se sentait si seule tout d’un coup. Elle avait l’impression de s’enfoncer dans une mare de sang, qu’elle allait se noyer. Elle se sentait terriblement mal. La réalité disparaissait devant elle. Tout ce qu’elle voyait était le sang qui se répandait autour d’elle. Que devait-elle faire ? Que pouvait-elle faire ?

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Elleynah est préoccupée. Elle se sent idiote d'avoir entraînée Wyska dans une telle histoire. A quoi pensait-elle au juste ? Croyait-elle réellement que sa merveilleuse mère allait la laisser tranquille après ce qui s'était passé ? Croyait-elle qu'elle allait pouvoir mener une existence tranquille ? Une chose était sûre, elle avait beaucoup changé en peu de temps, et même si elle avait appris des erreurs du passé, se rendre vulnérable comme elle l'avait fait relevait de l'inconscience. La marchombre était en colère contre elle-même. Elle avait encore senti sa faiblesse, elle avait senti qu'elle n'avait pas récupérer toutes ses capacités, et ça aussi, ça l'agaçait. Comment avait-elle pu être aussi idiote ? Comment avait-elle pu laisser l'opportunité à ces gens de faire du mal à son apprentie ? Ils n'avaient rien des grands guerriers sur-entraînés auxquels elle avait pu être confrontée par le passé. Alors il allait falloir qu'elle travaille encore plus dur si elle voulait avoir une chance de survivre et d'être à la hauteur du défi que lui lançait sa mère. Tu veux jouer maman ? Jouons.

A travers la nuit, Elleynah avance d'un pas rapide. Elle jette de fréquent coups d'oeil à Wyska qui n'a pas l'air d'aller bien. Elles n'ont pas vraiment de temps à perdre. La marchombre n'a pas tué tout le monde, des renforts pourraient les prendre par surprise à tout moment, et elle n'était vraiment pas prête à les affronter. Elle se maudit d'avoir sous-estimé ses faiblesses, mais est agréablement surprise par les capacités de Wyska. Jamais elle n'aurait pu croire que sa jeune apprentie s'en sorte si bien seule. Elle voit le sang sur ses mains, sait qu'elle a dû tuer. Elle qui ne sait pas se battre, elle qui s'est vue enseigner les bases en quelques minutes seulement, s'est débrouillée au-delà de toutes les espérances de son maître. Elleynah sait qu'elle a eu raison de lui faire confiance, mais quelque chose dans le regard de la jeune acrobate l'inquiète. Elle qui est d'habitude si agile, si souple, avance à pas lourds et maladroits. Lorsque la jeune fille s'arrête, lorsque les larmes coulent sur ses joues, Elleynah sent son coeur se serrer.

Alors que Wyska balbutie et menace de s'effondrer, la marchombre s'approche d'elle. Elle connait les doutes et la peine, mais elle n'a jamais été aussi mal après avoir tué. Elle suppose que c'est ce qui est à l'origine de ses larmes. Elleynah était enfant la première fois qu'elle a pris la vie de quelqu'un. Elle a été élevée comme ça, mais elle parvient à comprendre le mal-être de la jeune fille. Elle a bien vu comment elle a réagi lorsqu'elle a vu les cadavres dans les sous-terrains... Et à ce moment-là, ça n'était même pas elle qui était à l'origine de leurs morts. Wyska ne peut pas se permettre d'être dans cet état à chaque fois qu'elle voit la mort en face. Bon, c'est le premier jour de sa formation, tout est nouveau, tout est difficile. La maître marchombre lui en demande énormément, et elle ne peut pas nier qu'elle a répondu à ses exigences avec brio. Elleynah hésite sur le comportement qu'elle doit avoir, mais elle finit par opter pour celui qui lui sauvera peut-être la vie plus tard.

- Je t'avais prévenue, Wyska, que ça ne serait pas facile. Ce qui s'est passé ce soir, ça va devenir ton quotidien, et tu ne pourras pas te permettre de pleurer à chaque fois que tu enlèveras une vie.

Elleynah relève le menton de son apprentie pour la regarder dans les yeux. Malgré l'obscurité, des flammes féroces semblent brûler dans le regard de la maître marchombre, et elle a un air presque menaçant. Elle veut à tout prix que Wyska puisse comprendre l'enjeu qui pèse sur leurs épaules.

- Tu as été brillante aujourd'hui, Wyska. Tu as dépassé de loin toutes mes attentes, et je ne pensais sincèrement pas que tu serai capable de t'en sortir si bien malgré tout ce qu'il s'est passé. Alors pleure si ça te fait du bien ce soir. Tu le mérites, au vu de la journée que tu as passé. Mais relève toi, Wyska, parce que c'est loin d'être fini. Il n'y a pas de place pour la faiblesse. Il n'y a pas de place pour le regret et la lamentation. Pas avec moi pour maître.

Elleynah passe une main sur la joue de son apprentie, essuyant les larmes qui y perlent. Voir son apprentie ainsi lui fait beaucoup de peine, et elle ne peut s'empêcher de se demander si elle a fait le bon choix en l'entraînant avec elle dans son univers. Elle a toujours été parfaitement consciente que ça n'allait pas être de tout repos, mais elle se demande si Wyska était consciente de ce dans quoi elle s'était engagée. La marchombre soupire.

- Ecoute Wyska, tu as largement la force en toi pour surmonter tout ça, sinon je n'aurais jamais pris le risque de te prendre sous mon aile. Tu en es capable. La lutte pour l'harmonie et pour la liberté sont deux choses qui demandent parfois des sacrifices. J'ai fait beaucoup de choses dont je ne suis pas fière dans ma vie, parfois par choix, d'autres fois par nécessité, mais j'ai appris au fil du temps à être en accord avec moi-même. Tuer n'est pas un acte gratifiant. C'est un geste grave qui a de lourde conséquence. On ôte une vie facilement, mais on ne la redonne pas. En tant qu'acrobate, je comprends que tu puisses souffrir d'un tel acte. Pas en tant que marchombre. Pas en tant que mon apprentie.

Sa voix est grave, elle ne quitte pas le regard de Wyska, lui maintenant le menton levé d'un geste à la fois doux et ferme.

- Tu te souviens de ce que je t'ai dit Wyska, lorsque je t'ai proposé de me suivre sur la Voie du marchombre ? La Voie est magnifique, et tu découvriras progressivement des secrets qui te feront exploser de joie. Mais c'est aussi un univers difficile et impitoyable. Si tu avais voulu d'une vie tranquille et sans violence, tu serai restée acrobate. Pourtant, tu as choisi de me suivre sur la Voie, malgré les dangers auxquels tu avais déjà pu assister. Tu as choisi l'absolu, l'aventure et la difficulté, pas la routine et la facilité.

La marchombre prend une nouvelle inspiration, et son visage se radoucit, même si sa voix reste dure. Elle lâche le visage de la jeune acrobate, mais reste face à elle.

- Si tu n'avais pas tué ce soir, tu serai morte Wyska. Comme ton apprentissage n'a commencé que depuis aujourd'hui, et même si tu as vu et entendu beaucoup de choses, je vais te laisser le choix. Je te laisse retourner à Al-Jeit, où tu pourras aisément retrouver ta famille, et tu n'entendras plus parler de moi. Ou tu acceptes que la Voie que tu as choisi est loin d'être simple, et que tu vas connaître bien pire qu'aujourd'hui. Je fais cette unique exception pour toi, parce que j'ignore si tu avais bien réalisé l'ampleur de ce qui t'attendais, et que ça n'est pas non plus ordinaire. Choisi bien, parce que quelque soit ta réponse, l'occasion ne se représentera pas.

Elleynah sait qu'elle est dure avec son apprentie, mais elle a besoin qu'elle comprenne. La marchombre sourit à la jeune fille.

- Quelle que soit ta réponse, il ne faut pas que l'on reste ici. On a un peu d'avance sur nos amis, mais il serait bien que l'on en profite pour lever le camp. Je ne suis pas sûre que les survivants seront très contents lorsqu'ils se réveilleront. Tu peux marcher ou tu as besoin d'aide ?

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Tout ce sang... C’était trop pour elle. Pourquoi n’arrêtait-il pas de couler ? Pourquoi y en avait-il toujours plus ? C’était la seule image qui s’affichait à elle. Elle avait l’impression que le monde tournait autour d’elle et la noyait de rouge. Elle sentait la présence d’Elleynah près d’elle, pourtant, elle ne pouvait pas décrocher son regard de ses mains en sang. Elle voulait se montrer plus forte, mais les larmes ne cessaient de couleur sur ses joues. Elle ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait. Ou ce qui arrivait tout simplement. La peur lui serrait le cœur devant tout ce qu’elle avait vu. Toutes ces choses qui étaient nouvelles pour elle. Puis, la voix d’Elleynah s’éleva dans la nuit. Il y avait quelque chose de dur, mais doux tout à la fois dans sa voix. Et elle réussit à apaiser Wyska, chasser les images et la douleur qui broyait son cœur un instant. Wyska s’accrocha à ces mots et son regard se porta enfin sur la marchombre. Ses sanglots s’apaisèrent. Ses pleurs se firent silencieux. Elle renifla pour retenir la peine qui l’avait envahie. Elle voulait entendre chacune des paroles que la femme prononcerait.

- Je t’avais prévenue, Wyska, que ça ne serait pas facile. Ce qui s’est passé ce soir, ça va devenir ton quotidien, et tu ne pourras pas te permettre de pleurer à chaque fois que tu enlèveras une vie.

Et ces premières phrases lui firent presque l’effet d’une gifle. Parce que chacun de ces mots était la vérité. Elleynah lui avait dit que ce ne serait pas facile. Que ce chemin se créait dans la difficulté et dans les épreuves. Pourquoi son corps tremblait-il si elle s’était préparée à passer au travers des obstacles ? Elle avait bien vu ce qui s’était passé avec Elleynah dans les souterrains. Elle avait tout de même décidé de suivre cette voix qui l’appelait. Mais maintenant, elle s’était fait engloutir par la peur qui lui broyait les entrailles. Devant tout ce qu’elle avait vu de nouveau et qui pourtant devrait devenir son quotidien. La marchombre avait raison. Elle ne pouvait pas pleurer à chaque fois. Elle ne pouvait pas se montrer aussi faible. Mais le pourrait-elle ? Pourrait-elle vivre la conscience tranquille à chaque jour qui passe ?

Elleynah lui releva alors le menton et Wyska planta son regard dans celui de son maître. Elle avait la gorge nouée et ses yeux ne pouvaient quitter la lueur enflammée qui se présentait dans le regard de la marchombre. Elleynah lui parlait très sérieusement. Aucun de ses mots n’était laissé au hasard et Wyska ne pouvait qu’écouter et comprendre ce que voulait lui dire son maître.

- Tu as été brillante aujourd’hui, Wyska. Tu as dépassé de loin toutes mes attentes, et je ne pensais sincèrement pas que tu serais capable de t’en sortir si bien malgré tout ce qu’il s’est passé. Alors pleure si ça te fait du bien ce soir. Tu le mérites, au vu de la journée que tu as passé. Mais relève toi, Wyska, parce que c’est loin d’être fini. Il n’y a pas de place pour la faiblesse. Il n’y a pas de place pour le regret et la lamentation. Pas avec moi pour maître.

La suite vint serrer le cœur de la plus jeune. Wyska sentit les larmes lui monter à nouveau aux yeux, mais cette fois, des larmes de soulagement. Soulagement d’avoir été à la hauteur malgré tout. De savoir qu’elle était capable d’y arriver. Pleure ce soir. D’accord. Seulement ce soir. Pour laisser sortir toute l’inquiétude qui lui écrasait les épaules. Une soirée pour dire adieu à l’ancienne Wyska. À l’acrobate qui n’aurait jamais pu lever une arme. Et laisser place à une nouvelle Wyska qui ne laisserait rien l’empêcher d’avancer sur la Voie qu’elle avait choisie. Celle du Marchombre. Elleynah pouvait se montrer dure, mais après tout ce qu’avait vécu Wyska en presque deux jours, l’apprentie ne pouvait que comprendre.

Elle écoutait les mots d’Elleynah avec attention. Elleynah croyait en elle. Elle la pensait capable de surmonter ces épreuves. Cela réchauffa le cœur de l’apprentie, car elle s’était trouvée si faible, si lamentable de s’effondrer ainsi. De ne pas avoir pu continuer alors que c’était ce qu’elle aurait dû. Elle commençait à prendre conscience de toute cette réalité sur laquelle elle avait si longuement fermé les yeux. Ces luttes, ces choix dont elle n’avait jamais fait partie. Toutes ces choses qui lui avaient longuement échappé. Mais pas seulement parce qu’elle vivait hors de tout ça, mais surtout parce qu’elle fermait les yeux sur les problèmes qui se disputaient la place en ce monde. Et la troupe n’avait pas aidé à cela non plus. Ils l’avaient souvent surprotégée. Lui cachant les horreurs lors d’attaque de bandits. Car à ces moments-là, il y avait des morts et des blessées, mais elle ne voyait rien cacher au fond de sa caravane. Maintenant, elle allait devoir faire face à tout cela. Elle qui avait si souvent voyagé sur les routes ne devrait pas être étonnée de voir quelques bandits pointés le bout de leur nez. Et elle devait leur montrer qu’elle n’était pas sans défense. Qu’elle ne se laisserait pas faire. Jamais. Il fallait savoir faire le point sur les choses. Lorsque c’était nécessaire ou non. Comme aujourd’hui.

- Tu te souviens de ce que je t’ai dit Wyska, lorsque je t’ai proposé de me suivre sur la Voie du marchombre ? reprit la femme.

Wyska hocha doucement la tête, le menton toujours levé par la marchombre. Oui, elle se souvenait de ce que lui avait dit Elleynah. Et la femme avait raison. Elle ne voulait pas d’une vie tranquille. Elle voulait une vie pavée d’absolue. Elle avait vu la mort même avant de recevoir la proposition et pourtant, rien n’aurait pu l’empêcher d’accepter. Ce soir, si elle n’avait pas tué, elle serait morte. Elleynah avait tout à fait raison. L’acte était commis. Pour sa survie. Et elle avait agi tout de suite, sans hésitation. Parce qu’elle avait conscience de la vérité. Elle ou eux. Elle n’avait pas l’intention de mourir ce soir, alors qu’elle s’engageait sur cette nouvelle voie. Elle n’avait pas l’intention de mourir avant bien longtemps.

Et alors qu’elle écoutait tout ce qu’avait à dire Elleynah, un choix se présenta à elle. Celui de retourner à Al-Jeit, retrouver le cirque et sa famille. Ou continuer de suivre Elleynah vers la Voie. Une lueur d’incompréhension traversa le regard de Wyska. Si tout ce qui s’était passé ce soir était beaucoup pour elle, pas une fois elle n’avait envisagé le retour en arrière. Il n’en était pas question et elle avait envie de s’écrier tout de suite qu’elle ne quitterait pas les côtés de son maître. Mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Il était vrai qu’elle n’avait peut-être pas totalement réalisé l’ampleur de ce qui l’attendait, mais elle ne voulait pas retourner à Al-Jeit. Elle ne voulait pas s’enfermer à nouveau dans cette cage. Elle y étoufferait. Elleynah lui laissait le choix. Aucun mot ne franchit les lèvres de Wyska. Elle s’était demandé si elle pouvait le faire. Si elle pouvait surpasser les difficultés. Elle avait hésité et elle avait eu peur. Mais elle ne voulait pas abandonner. Pas du tout. Elle allait s’endurcir. Devenir forte. Pouvoir se tenir aux côtés d’Elleynah, fière et libre. C’était ce qu’elle voulait. Et elle ne pleurerait plus.

- Quelle que soit ta réponse, il ne faut pas que l’on reste ici. On a un peu d’avance sur nos amis, mais il serait bien que l’on en profite pour lever le camp. Je ne suis pas sûre que les survivants seront très contents lorsqu’ils se réveilleront. Tu peux marcher ou tu as besoin d’aide ? ajouta finalement Elleynah.

Cette dernière question sembla réveiller son corps endormi. Wyska secoua la tête et regarda ses mains. Elle était toujours tachée, mais il n’y avait plus de rivière de sang qui les envahissait. Les images l’avaient quittée et un soupir soulagé quitta ses lèvres un moment. Elle ferma les yeux, pour reprendre contenance. Elleynah avait chassé ses problèmes un mot à la fois. Elle allait mieux. Beaucoup mieux. La certitude de s’avancer sur la bonne voie lui revenait à nouveau. Les horreurs n’allaient pas se refermer sur elle. Elle était décidée à devenir plus forte. Elle prit une grande inspiration et posa son regard vert sur Elleynah. Un sourire timide éclaira alors son visage. Elle se sentait plus paisible d’un coup. Elle ne pouvait pas l’expliquer, mais elle remerciait Elleynah de l’avoir sortie de ce cocon d’inquiétude. L’apprentie passa une main sur son visage pour essuyer ses dernières larmes. Et d’un signe de la tête, elle indiqua qu’elle était prête. Elles se remirent en route et cette fois, Wyska put reprendre son pas normalement si agile sur le sol. Elleynah avait raison. Il ne fallait pas attendre que les bandits se réveillent.

Elles arrivèrent au campement quelques minutes plus tard. Wyska se dépêcha de retrouver Tonnerre et de ramasser ses quelques possessions qu’elle avait laissées traîner près de l’eau. Elle s’approcha ensuite d’Elleynah avec l’intention de lui dire ce qu’elle avait sur le cœur. Elle n’avait pas pris le temps de le faire sur le chemin jusqu’au campement, car elle avait considéré bien plus important de se dépêcher, mais maintenant, elle devait lui dire qu’elle ne retournerait pas à Al-Jeit. Qu’elle suivrait la marchombre durant les trois années de son entraînement, comme ce qui était convenu. C’était ce qu’elle voulait. C’était ce qu’elle ferait.

- Merci… pour tout à l’heure. Je… Je ne comprends pas très bien ce qui est arrivé. Je ne pouvais simplement plus faire le point sur ce qui s’était passé. Et… pour être honnête, j’avais peur. Je ne savais plus. Si j’avais raison. Si j’avais tort. Si j’étais à la hauteur.

Elle baissa son regard vers ses mains. Elle ne savait pas trop comment expliquer ce qu’elle ressentait à Elleynah. C’était encore mélangé dans son esprit. Elle ne savait pas réellement pourquoi elle avait craqué ainsi. Mais elle n’avait pas pu se défaire de ces images morbides. Elleynah avait été la chose à laquelle elle pouvait se raccrocher. Et c’était encore le cas pour l’instant. Elle avait encore cette incertitude qui s’ancrait en elle, mais elle essayait de se montrer plus forte dès à présent.

- Je pense que ça a toujours été trop facile pour moi. Je n’avais jamais… tué. (le mot sorti difficilement d’entre ses lèvres) Et je n’ai jamais su me battre réellement. C’est comme partir de zéro avec moi, n’est-ce pas ? Mais je vais travailler dur. Je ne me ferais pas prendre la prochaine fois. Je me défendrais avec tout ce que j’ai. Si c’est ce qu’il faut, je le ferais. Parce qu’il n’y a rien qui m’empêchera de vous suivre, Elleynah.

Son regard sérieux se planta dans celui de la marchombre. Il n’y avait plus aucune hésitation dans sa voix. Elle savait ce qu’elle voulait et c’était s’avancer sur la voie. Elle ne reviendrait pas sur sa parole. Elle avait accepté une fois. Et elle accepterait une nouvelle fois s’il le fallait. Ce choix, elle ne le regrettait pas du tout. Elle se détourna alors pour monter en selle. Tonnerre attendait patiemment derrière elle. Une fois prête à partir, elle ouvrit de nouveau la bouche.

- Nous nous dirigeons vers Al-Chen, c’est bien ça ?

Au vu des événements, elle se doutait bien qu’elles n’allaient pas dormir ici. Ce serait suicidaire. Wyska se demanda par contre ce qu’avait en tête Elleynah, parce qu’elle ne pourrait pas chevaucher toute la nuit sans tomber de fatigue et elle n’était pas certaine de pouvoir dormir à cheval. Ça restait à voir. Ce qui était certain, c’était qu’elle n’avait aucune envie de rester dans ce coin avec des bandits furieux qui pourraient se réveiller n’importe quand. Mieux valait partir au plus vite. Mais avant, Wyska reposa son regard sur son maître.

- Elleynah. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais je me sens à ma place à vos côtés. Sur la Voie. Et… et je veux la parcourir aussi loin que possible. Et plus loin même encore. Alors, s’il vous plait, guidez-moi durant ces trois années.


Elle se tut après ses mots, baissa le regard vers Tonnerre pour lui caresser l’encolure et leva les yeux au ciel par la suite pour admirer les étoiles qui dansaient pour elles. Alors qu’elle s’était sentie si mal plus tôt, maintenant elle se sentait bien. Calme. Et certaine de ce qu’elle voulait. Les pleurs étaient derrière elle. Elle allait maintenant s’avancer et ne plus avoir peur des obstacles qui se présenteraient à elle. Il le fallait. Il fallait qu’elle se montre forte et capable. Et elle le ferait. Elle ne décevrait pas Elleynah. Jetant un coup d’œil à son maître, Wyska se mit en route près d’elle avec une douce chaleur au creux de l’estomac. Tout autour d’elle semblait lui chuchoter que son choix était le bon.

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Elleynah attendit patiemment que Wyska reprenne ses esprits avant d'avancer à nouveau. La maître marchombre n'avait toujours connu que la mort et la violence. Elle avait tué pour la première fois alors qu'elle n'était encore qu'une enfant. Physiquement, du moins. Elleynah n'avait jamais connu l'innocence ni la naïveté qui pouvaient animer l'âme de la jeune acrobate. Elle n'avait pas eu le droit à ça, et s'il en avait été autrement, elle serait morte à l'heure qu'il était. Tuer était souvent une question de survie, et la rousse déplorait que son apprentie ait à l'apprendre d'une façon aussi brutale. Finalement, son cirque était peut-être monotone, mais il lui offrait une protection à laquelle elle n'aurait plus jamais l'occasion d'accéder. S'engouffrer dans la Voie du marchombre, c'était accepter de voir la beauté du monde, mais aussi ses horreurs. Tout comme il ne pouvait y avoir d'harmonie sans chaos, ni d'ombre sans lumière, la beauté sans la laideur n'avait pas le moindre sens.

Elles marchèrent jusqu'à leur campement en silence, et elles ne mirent que quelques minutes à ranger leurs affaires. Elleynah sella Zéphyr, trop préoccupée par ce qui venait de se passer pour prendre le temps de discuter davantage avec Wyska. Elles auraient le temps de parler en chemin, et il était important que la jeune apprentie puisse réfléchir calmement à ce qu'elle ressentait et à ce qu'elle désirait. La maître marchombre avait suffisamment appris de ses erreurs pour savoir que c'était un miracle que Wyska soit encore en vie, et même si elle n'en montrait rien, elle était profondément ébranlée par ce qu'il s'était passé. Elle n'avait pas été assez présente pour son apprentie, encore jeune et maladroite. L'acrobate avait eu une chance inouïe, et la marchombre s'en voulait. Il était hors de question pour elle qu'elle perde une autre apprentie, et elle ignorait si elle désirait davantage que la jeune fille choisisse de s'en aller, et ainsi de sauver sa vie, ou bien de rester et d'arpenter cette Voie qui avait été tracée pour elle.

- Merci… pour tout à l’heure. Je… Je ne comprends pas très bien ce qui est arrivé. Je ne pouvais simplement plus faire le point sur ce qui s’était passé. Et… pour être honnête, j’avais peur. Je ne savais plus. Si j’avais raison. Si j’avais tort. Si j’étais à la hauteur. Je pense que ça a toujours été trop facile pour moi. Je n’avais jamais… tué. Et je n’ai jamais su me battre réellement. C’est comme partir de zéro avec moi, n’est-ce pas ? Mais je vais travailler dur. Je ne me ferais pas prendre la prochaine fois. Je me défendrais avec tout ce que j’ai. Si c’est ce qu’il faut, je le ferais. Parce qu’il n’y a rien qui m’empêchera de vous suivre, Elleynah.

Le coeur d'Elleynah se serra. Elle hocha la tête, pour signaler à son apprentie qu'elle approuvait ses paroles, mais demeura muette. Elles ne se connaissaient pas encore très bien, et pourtant, elles avaient déjà une confiance inébranlable l'une en l'autre. La maître marchombre était incapable de savoir ce que son apprentie ressentait vraiment, mais elle était tout à fait apte à comprendre. Elle sentait une motivation sans faille dans la voix de la jeune fille, et un désir ardent de progresser et de s'enfoncer toujours plus loin dans cette Voie dont elle n'avait eu qu'un bref aperçu. Une nouvelle fois, la rousse se sentit fière de son apprentie et de ce qu'elle dégageait. Malgré ses faiblesses, elle voulait s'en sortir et parvenir à les vaincre, une par une. C'était peut-être la seule véritable chose dont elle allait avoir besoin pour survivre à la formation aux côtés d'Elleynah, mais ça ne parvenait pas à rassurer la marchombre. Ce qu'elles avaient vécu au cours de la journée avait mis en lumière les faiblesses de Wyska autant que celles d'Elleynah. La marchombre ne pouvait pas le tolérer.

- Nous nous dirigeons vers Al-Chen, c’est bien ça ?

Elleynah ne répondit rien, ni n'acquiesça. Elles allaient partir vers le nord, mais elle ignorait encore si elles allaient voyager jusqu'à Al-Chen, ou encore si elles allaient faire une escale dans la ville, ou non. Au départ, ça avait été dans ses projets, mais désormais, elle doutait que ce soit une réelle bonne idée. Sans qu'elle ne sache comment, les hommes qui avaient tendu le piège dans lequel elles étaient tombés avaient eu connaissance de leurs intentions. Il n'y avait aucun doute possible à ce propos. Qu'est-ce qui lui prouvait que ça n'était pas le cas pour le reste de leur trajet ? Si elle voulait avoir le temps d'enseigner certaines bases à la jeune fille, il allait falloir qu'elle redouble de prudence, et qu'elle ne laisse plus l'occasion aux mercenaires ni à quiconque de les attraper. La prochaine fois, elles n'auraient sûrement pas autant de chance, et voir une nouvelle fois son apprentie mourir était une idée insupportable, intolérable et inacceptable.

Sans savoir pourquoi, la maître marchombre eut la sensation que son apprentie voulait ajouter quelque chose. Elle croisa les bras un instant, attendant que les paroles de la jeune fille sortent d'elles-même. La rousse était profondément persuadée qu'une des clés de la réussite d'un apprentissage était la communication. Elle l'avait beaucoup ressenti avec son propre maître, qui l'avait soutenue dans ce qu'elle considérait encore comme la période la plus difficile de sa vie. S'il était hors de question qu'elle facilite la tâche à son apprentie, il l'était encore davantage qu'elle la censure ou qu'elle n'écoute pas ses ressentis. Il n'y avait aucune ambivalence qui déchirait Wyska comme ça avait été le cas pour Elleynah, mais les doutes, la détresse ou les faiblesses passagères pouvaient être légion. Et la marchombre avait bien l'intention de la soutenir et de l'aider à surmonter chacun d'entre eux. Si Wyska le voulait.

- Elleynah. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais je me sens à ma place à vos côtés. Sur la Voie. Et… et je veux la parcourir aussi loin que possible. Et plus loin même encore. Alors, s’il vous plait, guidez-moi durant ces trois années.

Elleynah prit une grande inspiration, comme pour chasser les pensées qui la tourmentait, et elle sourit à Wyska avec une tendresse qu'elle ne s'autorisait pas souvent à avoir. Il n'y avait aucune explication logique à ce que ressentait l'acrobate. Elle était simplement faite pour être marchombre, et personne ne pouvait le nier. La décision la plus sage aurait sans doute était qu'elle ait un autre maître, mais les choses n'étaient pas faites pour être autrement que ce qu'elles étaient. Wyska devait être l'apprentie d'Elleynah, et Elleynah devait lui enseigner ce qu'elle savait. C'était inscrit ainsi, et la marchombre faisait trop confiance au hasard pour en douter.

- Je n'en attends pas moins de toi. Allez, grimpe sur ton cheval, on s'en va.

Sur ces paroles, Elleynah monta en selle et flatta l'encolure de sa jument. Elle attendit que Wyska fasse de même, et dans le silence d'une nuit étrangement menaçante, elles se remirent en route. Pendant un long moment, ce fut ce même silence qui domina. Elleynah était attentive à tout ce qui se passait autour d'elle, guettant le moindre son qui aurait pu annoncer une présence étrangère et menaçante dans l'obscurité. La marchombre ressentait tant d'émotions différentes qu'elle menaçait de s'effondrer sous leur poids. Il allait falloir qu'elle s'ouvre à Wyska sur certains sujets, afin de la prévenir des dangers qui la menaçait. Elle n'allait pas pouvoir nier son histoire, même si elle détestait l'idée de devoir mettre son apprentie au courant de certaines choses. Sans relâcher son attention sur ce qui les entourait, la marchombre choisit de prendre la parole.

- Wyska ? Il y a quelque chose d'important dont il faut qu'on parle. Ecoute bien, d'accord ?

La marchombre laissa à nouveau le silence s'installer, comme pour se laisser le temps de réfléchir avec soin aux mots qu'elle allait utiliser.

- Au commencement, il y avait l'harmonie et le chaos. Ensemble, les deux forces formaient ce que l'on appelle communément l'équilibre. Tu es familière avec ce qu'est l'équilibre, n'est-ce pas ? Nous l'avons expérimentée ensemble la première fois que nous nous sommes rencontrées, du haut de cette corde raide.

Elleynah regardait droit devant elle, consciente qu'elle abordait un sujet à la fois délicat et nécessaire.

- Les marchombres représentent l'harmonie de notre monde. Pour en conserver l'équilibre, tu te doutes qu'il y a une force qui s'oppose à cette harmonie. On appelle cette force opposée les Mercenaires du Chaos. Est-ce que tu en as déjà entendu parler ?

Elleynah marqua une pause, jetant un coup d'oeil derrière elle. Elle avait choisi de faire un détour et de prendre une route moins directe que ce qui était prévu à l'origine. La lune se cachait parfois derrière de gros nuages noirs qui limitaient grandement la vision, mais la marchombre avait repéré Ea qui volait au-dessus de leurs têtes. Sa vigilance ne serait pas de trop.

- Les mercenaires du chaos sont des personnes qui prônent le chaos et la destruction, et qui croit que le monde est profondément mauvais, et qu'aucun équilibre ni aucune harmonie ne peut exister. La plupart luttent dans cet unique intérêt. D'autres, que l'on appelle les envoleurs, sont davantage semblables à nous, les marchombres. Ils sont entraînés et formés spécialement pour nous tuer. Il faut t'en méfier comme d'un ours élastique affamé. Et enfin, il existe les mentaïs. Comme les envoleurs, ils sont formés pour tuer des marchombres et répandre le chaos. Sauf que les mentaïs sont des dessinateurs, ce qui peut les rendre encore plus dangereux que les autres. S'il y a des choses que tu ne comprends pas, ou que tu as besoin de précision, n'hésite pas. C'est important que tu comprennes.

La marchombre ferma les yeux un instant.

- Je suis une cible que les mercenaires du chaos cherchent particulièrement à atteindre, depuis très longtemps. Et c'est encore plus vrai aujourd'hui que ça ne l'était il y a quelques temps. C'est la raison pour laquelle être à mes côtés est plus dangereux pour toi qu'être aux côtés de n'importe quel autre maître marchombre. Tu fais maintenant partie de ce qu'ils peuvent essayer d'utiliser contre moi, et ils sont visiblement déjà au courant.

Elle rouvrit les yeux et fixa Wyska à travers l'obscurité.

- Ce ne sont pas des mercenaires du chaos contre lesquels nous nous sommes battues, tout à l'heure. S'ils en avaient été, tu serais morte.

Sa dernière phrase résonna dans la nuit comme une promesse funeste.

- Ils ne nous ont pas encore trouvées, mais ça n'est qu'une question d'heures ou de jours avant que tu ne rencontres les premiers. Tu n'as malheureusement pas le droit à l'erreur si tu veux rester en vie.

Et moi non plus, songea-t-elle, la gorge nouée.

- C'est pourquoi je veux que tu sois vigilante, que tu écoutes attentivement tout ce que je peux te dire et que tu obéisses sans poser de question. Je veux également que tu laisses tes états d'âmes de côté, et que tu n'hésites plus jamais à te servir de tes lames lorsque tu sens que ta vie est menacée. Plus jamais, c'est clair ?

Sa voix s'était durcie sur la fin. Il était primordial que Wyska comprenne tout l'enjeu de la situation, et elle espérait que le peu qu'elle avait dit suffirait. Sinon, elle se verrait dans l'obligation de répondre à des questions auxquelles elle n'avait pas forcément envie de répondre. Cependant, c'est sans la moindre hésitation qu'elle le ferait si elle sentait que c'était nécessaire.

- Nous allons poursuivre notre route jusqu'à un endroit que je connais, dans lequel nous serons temporairement en sécurité. Si mes souvenirs sont exacts, il nous reste encore pas mal de route à faire pour y arriver. Alors si tu as des questions, tu as tout le temps que tu veux pour les poser. Si tu n'en as pas, le silence me va tout aussi bien. Evite simplement de t'endormir, d'accord ?

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Wyska suivait Elleynah. Tonnerre suivait Zéphyr. Le silence se poursuivait après que la marchombre lui ait dit de grimper en selle. Wyska ne savait pas ce qu’elle devait attendre exactement de la suite. Elle avait pensé que son hypothèse vers Al-Chen était la bonne, car elle avait plusieurs fois emprunté ce chemin pour se diriger vers la ville près du lac. Mais Elleynah n’avait pas acquiescé ni ajouté quoi que ce soit. L’apprentie ne s’en fit pas trop. Elle saurait en temps et lieu. Pour l’instant, elle laissa son regard parcourir les paysages nocturnes les entourant et les réflexions l’envahir.  

Puis, son attention qui s’éparpillait au gré du vent se concentra à nouveau sur la marchombre qui prenait la parole. Wyska posa son regard vert sur Elleynah et on pouvait y lire toute sa curiosité. Quelque chose d’important. Elle se demandait et cette phrase créa soudainement des papillons au creux de son estomac. Elle devait bien écouter et bien comprendre ce qu’allait lui partager Elleynah. Elle ne savait pourquoi, mais elle se sentit anxieuse d’attendre la suite. Anxieuse et impatiente. Elle se demandait quel sujet voulait aborder la marchombre cette nuit. Quel sujet était si important et pressant. Mais elle se doutait que ça avait rapport avec la situation qu’elles avaient vécue plus tôt dans la soirée. Wyska n’avait pas cessé de se poser des questions sur le pourquoi des choses. Elle n’avait pas pris beaucoup de temps pour y réfléchir par contre, car il avait fallu agir vite, mais au fond d’elle, la question était demeurée et lui pesait. Pourquoi se retrouvaient-elles dans des situations impossibles ? Était-ce le hasard ou quelque chose dont elle ignorait tout ? Le regard de la marchombre la convainquit de la deuxième option.

Wyska resta silencieuse, observant l’ombre d’Elleynah qui se dessinait dans la nuit sombre. Le silence se poursuivit après cette première phrase. Wyska attendit calmement même si son cœur battait fort dans sa poitrine. Elle ne savait pas pourquoi elle se sentait aussi anxieuse d’entendre les mots qui allaient suivre. Peut-être parce qu’après cela, elle ne pourrait plus simplement fermer les yeux comme elle l’avait toujours fait ? Peut-être parce que la réalité la rattraperait pour de bon ? Peut-être parce qu’elle ne savait pas comment elle devait réagir devant la dureté de la vie ? Elle ne savait pas, mais elle ne se laisserait pas avaler par l’angoisse qui la guettait. Elle se devait de regarder la vérité en face. Vivre ou mourir. La vie n’était pas juste. Elle avait son lot de difficulté à surmonter et elle devait s’y préparer le plus rapidement possible. Wyska ne manqua aucun des mots lorsque son maître reprit la parole et elle écouta l’histoire que lui racontait Elleynah.

- Au commencement, il y avait l’harmonie et le chaos. Ensemble, les deux forces formaient ce que l’on appelle communément l’équilibre. Tu es familière avec ce qu’est l’équilibre, n’est-ce pas ? Nous l’avons expérimentée ensemble la première fois que nous nous sommes rencontrées, du haut de cette corde raide. Les marchombres représentent l’harmonie de notre monde. Pour en conserver l’équilibre, tu te doutes qu’il y a une force qui s’oppose à cette harmonie. On appelle cette force opposée les Mercenaires du Chaos. Est-ce que tu en as déjà entendu parler ?

Wyska hocha la tête pour signifier son ignorance à leur sujet. Elle n’avait jamais entendu parler des Mercenaires du Chaos, mais leur mention lui donna un frisson qui courut le long de sa colonne. Déjà, le mot chaos n’était pas le plus doux aux oreilles de l’acrobate, mercenaires non plus. Si Elleynah lui racontait tout cela, ce devait avoir rapport avec ce qu’elles avaient vu, mais Wyska se demandait tout de même où elle voulait en venir. Vers où s’orientait la discussion, ce qu’elle voulait véritablement lui dire. Mais ça ne dérangeait pas l’apprentie de faire un petit détour. Elle en connaissait si peu qu’elle appréciait entendre Elleynah lui raconter le monde. L’équilibre était une notion qu’elle connaissait, mais jamais elle n’avait porté attention à l’harmonie et au chaos qui le complétait.

Après une courte pause, Elleynah reprit pour lui parler plus en détail des mercenaires. Leur fondement et intérêt, les différents membres les composant. Wyska sentit un malaise lui serrer les entrailles. Elle ne pouvait pas comprendre comment certaines personnes pouvaient prôner le chaos alors que le monde recelait de tant de beauté. Elle savait en ignorer encore beaucoup, mais elle ne pouvait nier la présence de l’harmonie dans toutes choses et les beautés du monde qui l’entourait. Cette vérité était sa réalité. Elle ne voudrait pas qu’il en soit autrement.

- Je suis une cible que les mercenaires du chaos cherchent particulièrement à atteindre, depuis très longtemps. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui que ça ne l’était il y a quelques temps. C’est la raison pour laquelle être à mes côtés est plus dangereux pour toi qu’être aux côtés de n’importe quel autre maître marchombre. Tu fais maintenant partie de ce qu’ils peuvent essayer d’utiliser contre moi, et ils sont visiblement déjà au courant.

Les paroles de la marchombre tirèrent une expression de surprise à l’apprentie. Elle avait compris par les explications d’Elleynah que marchombres et mercenaires étaient opposés. Un perpétuel combat, en quelque sorte. Et elle se doutait que, en tant qu’apprentie marchombre, elle était maintenant une ennemie des mercenaires, mais elle ne s’attendait pas à ce qu’Elleynah soit une cible particulièrement recherchée. Elle commençait à comprendre où se dirigeaient les choses et la gravité de la situation. Être au côté d’Elleynah se retrouvait bien plus dangereux qu’elle ne pensait. Elle devenait elle aussi une cible. Et si tout cela l’effraya, elle n’en ressentit pas pour autant l’envie de prendre les jambes à son cou. Il était trop tard de toute façon et puis elle avait une Voie à découvrir. Il lui faudrait cependant redoubler de vigilance et se lancer très sérieusement dans l’apprentissage d’Elleynah. Elle comprit qu’elle n’avait plus le droit à l’erreur alors que la marchombre continuait :

- Ce ne sont pas des mercenaires du chaos contre lesquels nous nous sommes battues, tout à l’heure. S’ils en avaient été, tu serais morte.

Cette phrase enveloppa la moindre partie de son corps de sa cruelle vérité. L’entendre à voix haute lui fit un choc, mais elle ne doutait pas qu’Elleynah avait raison. Si les mercenaires étaient des guerriers entraînés, elle n’avait aucune chance. S’ils étaient en plus entraînés pour tuer un marchombre, elle serait morte avant même de le réaliser. Et voilà que son cœur recommençait à battre la chamade et ses entrailles à se tordre comme des serpents. Actuellement, elle n’avait aucune chance de s’en sortir vivante. Cette pensée lui tomba sur les épaules avec horreur.

- Ils ne nous ont pas encore trouvées, mais ça n’est qu’une question d’heures ou de jours avant que tu ne rencontres les premiers. Tu n’as malheureusement pas le droit à l’erreur si tu veux rester en vie. C’est pourquoi je veux que tu sois vigilante, que tu écoutes attentivement tout ce que je peux te dire et que tu obéisses sans poser de question. Je veux également que tu laisses tes états d’âmes de côté, et que tu n’hésites plus jamais à te servir de tes lames lorsque tu sens que ta vie est menacée. Plus jamais, c’est clair ?

Le trouble se lisait dans son regard lorsqu’elle hocha la tête. La voix d’Elleynah était dure et Wyska hocha la tête lentement. Elle n’hésiterait plus. Mais il lui fallait apprendre à les manier convenablement si elle voulait espérer survivre à la réalité. Elle allait devoir se montrer forte et déterminée. Elle n’allait certainement pas se laisser envahir une nouvelle fois par la peur. Elle allait marcher vers l’avant, la tête haute. Apprendre ce qu’Elleynah allait lui enseigner et l’utiliser sans hésitation lorsque nécessaire. Une flamme commençait à bruler au fond d’elle. Détermination. Force. Persévérance. Elle était apprentie marchombre. Elle allait devenir marchombre.

- Nous allons poursuivre notre route jusqu’à un endroit que je connais, dans lequel nous serons temporairement en sécurité. Si mes souvenirs sont exacts, il nous reste encore pas mal de route à faire pour y arriver. Alors si tu as des questions, tu as tout le temps que tu veux pour les poser. Si tu n’en as pas, le silence me va tout aussi bien. Evite simplement de t’endormir, d’accord ?  


Wyska hocha à nouveau la tête. Éviter de s’endormir. Elle ferait de son mieux, mais la fatigue commençait déjà à lui peser. C’était une journée particulière éreintante qu’elles avaient eue. Et Wyska n’avait pas l’habitude de rester éveillé toute une nuit. Mais elle ferait puisqu’il le fallait. Cependant, elle se doutait qu’elle resterait éveillée plus facilement en posant des questions. Et puis, c’était le moment opportun, Elleynah était encline à lui répondre. Elle devait seulement mettre en ordre ses pensées pour savoir quoi poser en premier. D’abord, les premières questions qui lui brulèrent les lèvres furent le maintenant. Ce qu’elles allaient faire à partir de ce moment au vu des circonstances dans lesquelles elles se retrouvaient. Elle tourna son regard vert sur la silhouette d’Elleynah qui se découpait dans la nuit.

- J’ai bien compris que nous n’avons pas de temps à perdre. Que je n’ai pas de temps à perdre. Dans ce cas... Sur quel aspect de l’entraînement devrais-je me concentrer ? Qu’est-ce qui va me permettre de survivre ? Je sais qu’il y a beaucoup à faire, mais je me dis qu’en sachant sur quoi me pencher en premier, ça aidera peut-être... Je donnerai mon maximum.

Elle était déterminée à rattraper ce qu’elle considérait comme un retard. Elle était jetée dans cette nouvelle vie, dans ces situations dangereuses sans pouvoir leur faire face et elle se considérait déjà comme un fardeau. Mais elle avait une détermination et une fierté qui la poussait vers l’avant. Elle voulait repousser ses limites, s’entraîner et s’améliorer jusqu’à pouvoir survivre sans devoir se cacher. Elle allait se jeter corps et âme dans l’entraînement que lui ferait subir Elleynah. Elle voulait s’y préparer, savoir ce qu’il l’attendrait lorsqu’elle descendrait à cet endroit dont la marchombre lui avait fait part, où elles seraient un moment en sécurité et où elle pourrait se concentrer sur son entraînement. Mais ce n’était pas la seule chose qu’elle avait envie de demander. Et elle sut qu’Elleynah attendrait qu’elle ait posé toutes ses questions pour lui répondre. Wyska ne voulait pas se montrer impertinente et indiscrète non plus, alors elle prenait son temps pour trouver les bons mots avant d’ouvrir la bouche.

- Lorsque nous nous sommes revus à Al-Jeit, vous étiez poursuivis. Est-ce que... est-ce que tout cela est relié ? Serons-nous donc toujours poursuivis ainsi ? Je me demande simplement. Qu’est-ce qu...


Elle suspendit sa question en se disant qu’elle n’avait peut-être pas le droit de la poser. Elle n’avait pas le droit de demander à Elleynah de lui raconter sa vie et le pourquoi de ce qui leur arrivait. La femme lui en avait déjà dit beaucoup, alors Wyska ne pouvait pas lui demander ce qu’elle leur avait fait, aux mercenaires, pour être une cible particulière. Elle voulait savoir, elle ne pouvait le nier. Sa curiosité lui démangeait, mais elle respectait bien trop Elleynah pour lui poser la question de façon si indiscrète. Peut-être était-ce plus dangereux d’être l’apprentie d’Elleynah, mais tant qu’elle en savait les enjeux, elle n’avait pas besoin de savoir le fond des choses tout de suite. Peut-être qu’un jour la marchombre ressentirait l’envie de lui en parler, mais elle ne voulait pas l’obliger sous prétexte qu’elle avait droit de savoir. C’était faux, après tout. Elle aurait très bien pu retourner à Al-Jeit, avec la troupe comme lui avait proposé Elleynah. Elle ne voulait pas. Et puis, ce qui s’était passé entre Elleynah et les mercenaires ne la concernait pas. Elleynah était marchombre. Elleynah était son maître. Elle allait lui apprendre à être marchombre et c’était tout ce qui comptait. Et ces réflexions lui tirèrent de nouvelles questions portant sur ses hommes et femmes libres et cette guilde dont elle avait vaguement entendu parler.

- Au sujet des marchombres, Elleynah. Quel est le rôle de la guilde ? Comme les marchombres sont libres, je vois difficilement la guilde régir code et règles de conduite. Ai-je tort ? Et comment réagissent-ils à la menace des mercenaires ? Ça touche bien chaque marchombre, tout autant que vous et moi, n’est-ce pas ?

Elle ne savait pas si elle allait avoir réponse à toutes ces questions, mais puisqu’elle avait la chance de demander, elle avait préféré ne pas se priver. Au pire, Elleynah ne lui répondrait pas. Tout simplement. Il y avait plusieurs questions qui se bousculaient dans sa tête, mais elle n’arrivait pas à tous les mettre en mots. Elle voulait en savoir plus sur les marchombres, mais que devrait-elle demander exactement ? La guilde l’intriguait aussi. Que faisait-elle dans la vie de chaque marchombre ? Et dans la sienne ? Est-ce que la guilde jouait un rôle important dans cette guerre, si elle pouvait nommer cela ainsi, contre les mercenaires du chaos ? Aidait-elle à suivre le chemin de l’harmonie ? À quoi servait-elle exactement ? Tant de question qui ne franchirent pourtant pas ses lèvres.

- Entre les marchombres et les mercenaires, c’est donc une guerre ? Mais... si chaos et harmonie font tous deux partie de l’équilibre, n’est-ce pas une guerre éternelle, dans ce cas ?

Elle cherchait comment définir cette opposition entre les mercenaires et les marchombres. Entre le chaos et l’harmonie. Il lui semblait comprendre, mais en même temps, trop de choses lui échappaient encore. Elle ne pouvait pas tout savoir dans les quelques heures qui allaient suivre, mais c’était mieux que de rester complètement dans l’ignorance. Il y avait tant de choses qu’elle voulait savoir. Elleynah était à sa disposition à ce moment précis et elle comptait bien en profiter. Ses yeux verts emplis de curiosité se posèrent sur son maître. Elle avait formulé en mots quelques-unes de ses questions et se taisait maintenant qu’il lui semblait manquer de souffle.

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