Méphala -

Méphala se tenait assise devant le reflet d’une femme d’âge mûr, à l’air sec et au regard morne. Elle observa avec minutie le visage qu’elle voyait derrière les aspérités du miroir. Un visage sale, rugueux, parfois marqué par des cicatrices ou des traces de sang séché. Elle passa une main dans les longs cheveux blonds et gras de la femme, analysant les nombreuses fourches qu’elle voyait.  Elle observa chaque détail de ce corps pendant quelques minutes, notant tout ce qui ne convenait plus. Alma lui avait bien servi ces dernières semaines mais elle n’était pas adaptée à sa prochaine mission.

Revêtir une nouvelle peau lui prendrait quelques heures.  

Elle commença par se glisser dans un bain brûlant, savourant la sensation et prenant le temps de se relaxer avant de se débarrasser d’une épaisse couche de crasse. Baan prenait soin de lui et ne pouvait supporter cette saleté et cette puanteur. Pour Méphala, cela importait peu.  

De retour devant le miroir, elle attacha les cheveux d’Alma en une queue simple, à la base de la nuque. Elle saisit un couteau, plaça la lame au-dessus du lien et trancha l’épaisse natte d’un coup sec. Elle continua de couper, mèche par mèche, jusqu’à voir apparaître la chevelure courte et ébouriffée de Baan.

Elle plongea les mains dans une mixture sombre et l’appliqua soigneusement sur chaque mèche blonde qu’elle pouvait trouver. Elle attendit un long moment avant de rincer, la tête au-dessus du bac de la baignoire. Au fil du temps, le bois avait absorbé toutes sortes de teintures, lui donnant une couleur très douteuse. Elle répéta le processus jusqu’à ce que Baan soit satisfait de ses cheveux noirs. Méphala se souvenait vaguement être née avec des cheveux clairs mais sa véritable couleur avait disparue il y a bien longtemps, abîmée par tous les traitements. Quant à sa véritable coiffure… Pour Méphala, cela importait peu.

Elle s’intéressa ensuite à son visage, dévoilé par le bain qu’elle venait de prendre. Alma avait presque disparue. Agée de 36 ans, Méphala avait toutefois la chance de ne pas faire son âge. Mais elle pouvait paraître encore beaucoup plus jeune. Ou beaucoup plus vieille. Baan était tout juste âgé de 24 ans. Elle n’avait pas besoin de renforcer ou de créer des rides cette fois-ci. Rafraîchir et raffermir sa peau lui suffirait. Elle appliquerait sur son visage durant les prochains jours une succession de divers onguents, pommades, huiles, poudres.

Les yeux à présent. Il était difficile de changer leur couleur en elle-même. Un gris acier. Mais ce gris pouvait être froid ou chaleureux. Elle travaillerait le regard de Baan plus tard. Ce gris pouvait être clair ou foncé, et contenait de légères traces de vert et de marron, qui pouvaient ressortir plus ou moins avec du maquillage. Mais Baan ne portait pas de maquillage. Une nuance verte ferait son apparition dans ses yeux clairs, grâce à la couleur de ses vêtements et le teint de sa peau.

Chose rare, Méphala prit un moment pour observer son propre regard, avant qu’elle ne le perde une nouvelle fois pour laisser place à un autre. Il était rare qu’elle observe le monde par ses propres yeux. Leur gris était foncé, froid, calculateur, concentré. Elle eut du mal à se retrouver dans leur éclat.

« Un jour, tu te perdras », lui avait-dit quelqu’un, elle ne savait plus vraiment qui.

Car pour Méphala, cela importait peu.

Elle se leva de sa chaise, quittant le miroir pour se diriger vers une très large penderie. Elle quitta sa robe de toile pour se mettre à nue. Son corps était marqué par de nombreuses cicatrices, qui devraient rester cachées. Car Baan n’était pas un combattant. Mais il savait tout de même se défendre, caractéristique qu’elle était obligée d’appliquer à chacun de ses rôles, pour expliquer la musculature qu’elle ne pouvait pas se permettre de perdre.

Elle avait passé un moment enfermée chez elle, fuyant le soleil, pour perdre le bronzage très accentué d’Alma. Car Baan passait beaucoup moins de temps dehors.  

Baan était un homme. Elle attrapa une longue bande de tissu et s’en servit pour faire disparaître les formes de sa poitrine, déjà peu développée à l’origine. Elle revêtit un pantalon de toile simple, marron. Elle enfila une chemise de lin blanche, tout aussi simple. Baan était simple. Mais il tenait beaucoup au long foulard vert amande qu’il venait de s’enrouler autour du cou. Il choisit des bottes hautes et un long manteau de cuir pour achever son accoutrement.

Méphala s’effaçait petit à petit. Mais cela lui importait peu.

A venir

A venir