descriptionRencontre sur les bords du Pollimage
Aujourd’hui, Alizarine avait vingt-sept ans.
Et pour le soir de son anniversaire, elle cherchait une auberge dans une ville miteuse sur les bords du Pollimage, alors qu’un orage s’annonçait, lourd et moite comme tous les orages d’été. Oui, on avait vu mieux. Mais elle n’était pas si mal lotie : elle aurait pu se trouver dans les Marches du Nord, à se geler les orteils, ou dans un fossé d’Al-Far en train de guetter une planque de gangs cachée par un égout, ou bien… Bref, vous avez saisi l’idée. Alizarine avait connu nettement pire qu’un village miteux et quelques courbatures.
Elle avait cheminé durant deux semaines à travers les plateaux de l’Est. Un bon lit, une bonne bière et un plat en sauce, et peut-être un peu de compagnie.
Alizarine, contrairement à ce que certains pouvaient dire, n’était pas asociale. Elle aimait picoler avec des gens et rigoler en écoutant des blagues idiotes, rivaliser d’imagination et de verves dans les récits de batailles ou la description d’un partenaire particulièrement doué (que ce soit aux armes ou au lit). Elle aimait aussi partager le lit ou la vie d’un homme durant une semaine ou deux. Généralement, quand elle s’arrêtait quelque part et flashait sur un beau spécimen, elle restait tant que leur relation durait.
La moyenne était d’environ deux semaines. Alizarine était une personne difficile, éprise d’indépendance, et il en fallait assez peu pour mettre le feu aux poudres…
Levant les yeux vers le ciel de plus en plus gris, Alizarine retint un soupir. Sa dernière relation en date avait été avec Tivario, un garde d’Al-Chen : pour rester avec lui, Alizarine s’était engagé dans une mission d’escorte, au cours de laquelle ils avaient rompu. Ce qui l’avait mis de fort mauvaise humeur quand elle était revenue à Al-Chen empocher sa paie. Et comme si ça ne suffisait pas, elle était tombée sur son frère en quittant la ville !
Alizarine n’avait pas grand-chose contre Jorth, admettons-le. C’était le moins insupportable de ses frères. Du coup elle n’avait fait que l’assommer.
… Oui, Alizarine avait assommé son frère. Parce qu’il était chiant. Et geignard. Et qu’elle était de mauvais poil.
Ce sont des choses qui arrivent, okay ?
Si ça avait été son frère Indigo, par exemple, il y avait sans doute eut plus de sang impliqué. Alizarine et Indigo s’étaient toujours franchement détestés. Tandis que Jorth… Jorth avait toujours été gentil. Et timide, et inutile, mais gentil.
Mais voilà. Alizarine avait fait une croix sur la famille Rethelson depuis des années. Et en la retrouvant, Jorth avait bêtement cru qu’en faisait un câlin à sa petite sœur, ça la pousserait à ouvrir son cœur, lui raconter ses misères, et qu’ils redeviendraient copains. Triple crétin. Alizarine n’était plus la gamine d’autre fois : elle était dure, elle était une guerrière, et elle montrait les crocs. En se sentant menacé, Jorth avait essayé de lui piquer son épée grâce à son Don, une manière de désarmer sa sœur tout en lui montrant son adresse… Mais Alizarine tenait à son épée.
Alors boum. Elle lui avait envoyé sa botte coutée dans la poire et Jorth avait dit coucou au sol.
Ouais, les retrouvailles avaient été un peu brutales.
Du coup Alizarine avait fait le grand tour par les plateaux de l’Est, dans l’espoir de s’aérer l’esprit et de voir le moins de monde possible. C’était une réussite sur toute la ligne, elle avait même évité les quelques villages et fermes qui parsemaient la région. Mais ses pas l’avaient reconduite vers l’Ouest, vers le fleuve, presque à son insu.
Se ressourcer dans la solitude c’était bien, dormir dans un vrai lit et chanter des paillardes en bonne compagnie c’était mieux.
Les meilleures auberges étaient le long du port, et c’est donc par là qu’elle se dirigea. Il y avait du monde dans les rues, et Alizarine claqua de la langue avec impatience en faisant louvoyer son cheval entre carrioles et passants. Plusieurs fois, elle talonna sa monture, poussant la placide Ellébore à forcer le passage entre les gens. Elle n’avait pas que ça à faire, il était presque l’heure du dîner tout de même ! Ces gens n’avaient aucun respect pour ce qui était important. Comme le fait de se remplir l’estomac, par exemple.
– T’es dans le chemin ! pesta un énième marchand bousculé dans la cohue.
– Quoi, t’as besoin d’aide pour faire un détour ? riposta la jeune femme.
Son ton agressif et l’épée sur son côté dissuadaient généralement les gens de chercher l’embrouille, même si nombre d’entre eux maugréaient en s’éloignant. Alizarine esquissa en coin. Sa charmante personnalité était son plus grand atout.
Ça éloignait les emmerdeurs aussi radicalement qu’un putois mort accroché à sa selle.
(Alizarine adorait cette métaphore colorée : c’était Morden, son ami/mentor/possible-criminel, qui l’avait décrite ainsi. Ça lui allait comme un gant.)
Le village où elle se trouvait était un relais bien connu des navigateurs, qui y refaisaient le plein de vivres avant de rejoindre le lac Chen : une dizaine de bateaux étaient amarrés aux quais, allant du petit bateau de pêche au grand navire à trois mats. Alizarine leur jeta un regard désintéressé, et chercha du regard une auberge d’apparence convenable.
Elle finit par jeter son dévolu sur la Les Quatre Chopes, un bâtiment rustique mais dont s’échappait de la musique et des rires, ainsi qu’un délicieux fumet de viande en sauce et de grillades. Un palefrenier se tournait les pouces devant la porte, et en voyant Alizarine s’approcher, il leva sur elle un regard interrogateur :
– Voulez que j’prenne votre cheval le temps de manger ? L’écurie est juste derrière.
– Parfait, lâcha la jeune femme en descendant de selle et en récupérant son sac. Panse-la bien, elle a fait un long voyage. Je passerai peut-être la nuit ici. Si je reviens et que je suis satisfaite…
Elle fit sauter dans sa main une pièce d’argent percée d’un trou en forme d’étoile à cinq branches, et les yeux du gamins s’écarquillèrent. Pour un palefrenier, c’était un salaire royal… Il s’empressa de mener Ellébore vers l’écurie, traitant déjà le cheval comme si c’était la version équine de l’Empereur.
Alizarine leva les yeux, suivant du regard une pie qui se perchait sur le toit de l’auberge. Chrym avait déjà pris ses aises… A présent, c’était à son tour. Elle poussa la porte de l’auberge, et fut aussitôt assaillie par le bruit des rires et des conversations fortes, ainsi que par la mélodie d’un luth qui jouait dans un coin de la salle. Le bruit normal des soirées animées.
L’auberge était bien pleine. Elle se fraya un passage jusqu’au comptoir, où elle commanda une bière ainsi qu’un plat de poisson grillé aux champignons. Puis elle se chercha du regard une place, et fini par aviser une table libre, juste derrière une grande tablée de marins qui riaient et bavardaient.
Elle prit place, posant son sac sur la chaise à côté d’elle, et s’étira lentement. Irrésistiblement, un mince sourire se dessina sur son visage. Une auberge bondée, c’était toujours à qu’elle se sentait le mieux. Ne manquait plus que quelques compagnons de beuveries, et peut-être un homme mignon pour la distraire plus tard dans la nuit !
Et pour le soir de son anniversaire, elle cherchait une auberge dans une ville miteuse sur les bords du Pollimage, alors qu’un orage s’annonçait, lourd et moite comme tous les orages d’été. Oui, on avait vu mieux. Mais elle n’était pas si mal lotie : elle aurait pu se trouver dans les Marches du Nord, à se geler les orteils, ou dans un fossé d’Al-Far en train de guetter une planque de gangs cachée par un égout, ou bien… Bref, vous avez saisi l’idée. Alizarine avait connu nettement pire qu’un village miteux et quelques courbatures.
Elle avait cheminé durant deux semaines à travers les plateaux de l’Est. Un bon lit, une bonne bière et un plat en sauce, et peut-être un peu de compagnie.
Alizarine, contrairement à ce que certains pouvaient dire, n’était pas asociale. Elle aimait picoler avec des gens et rigoler en écoutant des blagues idiotes, rivaliser d’imagination et de verves dans les récits de batailles ou la description d’un partenaire particulièrement doué (que ce soit aux armes ou au lit). Elle aimait aussi partager le lit ou la vie d’un homme durant une semaine ou deux. Généralement, quand elle s’arrêtait quelque part et flashait sur un beau spécimen, elle restait tant que leur relation durait.
La moyenne était d’environ deux semaines. Alizarine était une personne difficile, éprise d’indépendance, et il en fallait assez peu pour mettre le feu aux poudres…
Levant les yeux vers le ciel de plus en plus gris, Alizarine retint un soupir. Sa dernière relation en date avait été avec Tivario, un garde d’Al-Chen : pour rester avec lui, Alizarine s’était engagé dans une mission d’escorte, au cours de laquelle ils avaient rompu. Ce qui l’avait mis de fort mauvaise humeur quand elle était revenue à Al-Chen empocher sa paie. Et comme si ça ne suffisait pas, elle était tombée sur son frère en quittant la ville !
Alizarine n’avait pas grand-chose contre Jorth, admettons-le. C’était le moins insupportable de ses frères. Du coup elle n’avait fait que l’assommer.
… Oui, Alizarine avait assommé son frère. Parce qu’il était chiant. Et geignard. Et qu’elle était de mauvais poil.
Ce sont des choses qui arrivent, okay ?
Si ça avait été son frère Indigo, par exemple, il y avait sans doute eut plus de sang impliqué. Alizarine et Indigo s’étaient toujours franchement détestés. Tandis que Jorth… Jorth avait toujours été gentil. Et timide, et inutile, mais gentil.
Mais voilà. Alizarine avait fait une croix sur la famille Rethelson depuis des années. Et en la retrouvant, Jorth avait bêtement cru qu’en faisait un câlin à sa petite sœur, ça la pousserait à ouvrir son cœur, lui raconter ses misères, et qu’ils redeviendraient copains. Triple crétin. Alizarine n’était plus la gamine d’autre fois : elle était dure, elle était une guerrière, et elle montrait les crocs. En se sentant menacé, Jorth avait essayé de lui piquer son épée grâce à son Don, une manière de désarmer sa sœur tout en lui montrant son adresse… Mais Alizarine tenait à son épée.
Alors boum. Elle lui avait envoyé sa botte coutée dans la poire et Jorth avait dit coucou au sol.
Ouais, les retrouvailles avaient été un peu brutales.
Du coup Alizarine avait fait le grand tour par les plateaux de l’Est, dans l’espoir de s’aérer l’esprit et de voir le moins de monde possible. C’était une réussite sur toute la ligne, elle avait même évité les quelques villages et fermes qui parsemaient la région. Mais ses pas l’avaient reconduite vers l’Ouest, vers le fleuve, presque à son insu.
Se ressourcer dans la solitude c’était bien, dormir dans un vrai lit et chanter des paillardes en bonne compagnie c’était mieux.
Les meilleures auberges étaient le long du port, et c’est donc par là qu’elle se dirigea. Il y avait du monde dans les rues, et Alizarine claqua de la langue avec impatience en faisant louvoyer son cheval entre carrioles et passants. Plusieurs fois, elle talonna sa monture, poussant la placide Ellébore à forcer le passage entre les gens. Elle n’avait pas que ça à faire, il était presque l’heure du dîner tout de même ! Ces gens n’avaient aucun respect pour ce qui était important. Comme le fait de se remplir l’estomac, par exemple.
– T’es dans le chemin ! pesta un énième marchand bousculé dans la cohue.
– Quoi, t’as besoin d’aide pour faire un détour ? riposta la jeune femme.
Son ton agressif et l’épée sur son côté dissuadaient généralement les gens de chercher l’embrouille, même si nombre d’entre eux maugréaient en s’éloignant. Alizarine esquissa en coin. Sa charmante personnalité était son plus grand atout.
Ça éloignait les emmerdeurs aussi radicalement qu’un putois mort accroché à sa selle.
(Alizarine adorait cette métaphore colorée : c’était Morden, son ami/mentor/possible-criminel, qui l’avait décrite ainsi. Ça lui allait comme un gant.)
Le village où elle se trouvait était un relais bien connu des navigateurs, qui y refaisaient le plein de vivres avant de rejoindre le lac Chen : une dizaine de bateaux étaient amarrés aux quais, allant du petit bateau de pêche au grand navire à trois mats. Alizarine leur jeta un regard désintéressé, et chercha du regard une auberge d’apparence convenable.
Elle finit par jeter son dévolu sur la Les Quatre Chopes, un bâtiment rustique mais dont s’échappait de la musique et des rires, ainsi qu’un délicieux fumet de viande en sauce et de grillades. Un palefrenier se tournait les pouces devant la porte, et en voyant Alizarine s’approcher, il leva sur elle un regard interrogateur :
– Voulez que j’prenne votre cheval le temps de manger ? L’écurie est juste derrière.
– Parfait, lâcha la jeune femme en descendant de selle et en récupérant son sac. Panse-la bien, elle a fait un long voyage. Je passerai peut-être la nuit ici. Si je reviens et que je suis satisfaite…
Elle fit sauter dans sa main une pièce d’argent percée d’un trou en forme d’étoile à cinq branches, et les yeux du gamins s’écarquillèrent. Pour un palefrenier, c’était un salaire royal… Il s’empressa de mener Ellébore vers l’écurie, traitant déjà le cheval comme si c’était la version équine de l’Empereur.
Alizarine leva les yeux, suivant du regard une pie qui se perchait sur le toit de l’auberge. Chrym avait déjà pris ses aises… A présent, c’était à son tour. Elle poussa la porte de l’auberge, et fut aussitôt assaillie par le bruit des rires et des conversations fortes, ainsi que par la mélodie d’un luth qui jouait dans un coin de la salle. Le bruit normal des soirées animées.
L’auberge était bien pleine. Elle se fraya un passage jusqu’au comptoir, où elle commanda une bière ainsi qu’un plat de poisson grillé aux champignons. Puis elle se chercha du regard une place, et fini par aviser une table libre, juste derrière une grande tablée de marins qui riaient et bavardaient.
Elle prit place, posant son sac sur la chaise à côté d’elle, et s’étira lentement. Irrésistiblement, un mince sourire se dessina sur son visage. Une auberge bondée, c’était toujours à qu’elle se sentait le mieux. Ne manquait plus que quelques compagnons de beuveries, et peut-être un homme mignon pour la distraire plus tard dans la nuit !