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La force implacable du printemps

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Rhéa déposa sa tasse de thé vide sur la table basse, puis se leva. Le goût vif des épices que Silvani avait utilisées pour le breuvage taquinait encore son palais et infusait une sensation de légèreté dans son esprit.

-Merci, Silvani. C’était particulièrement délicieux, mais je vais vous laisser. Je voudrais avoir le temps d’aller explorer les environs avant que le soir ne tombe.

-Maintenant, tu es certaine ? Nous avions plutôt prévu la cueillette pour demain,
tenta Altúro en déposant sa tasse à son tour.

-Je sais, mais ça te laissera un peu de temps seul avec Silvani. C’était aussi ça qui tu avais prévu, non ?

Elle décocha un clin d’œil moqueur à Altúro, qui s’empourpra un peu, mais se garda de répliquer, passa devant le couple, sortit sans oublier une petite besace qui contenait quelques provisions et instruments.

-Je ne rentrerai peut-être pas, lança t-elle en refermant derrière elle.

Une fois dehors, la douceur printanière la happa de plein fouet. Soleil batailleur, bourgeons à l’assaut des jeunes arbres et une fraîcheur qui contenait le soupir d’agonie de l’hiver. Le tableau habituel. Derrière la maisonnette de Silvani, un sentier s’enfonçait dans un boisé comme un ver dans un fruit trop mûr. Rhéa l’emprunta sans hésitation, l’esprit absent.

À bien y réfléchir, de l’avis de Rhéa, le printemps, bien plus que l’été, représentait la saison des amoureux.

La jeune femme souriait en son for intérieur : elle se réjouissait pour Altúro, son ami et associé avec qui elle tenait une boutique d’herboristerie à Al-Jeit. Plusieurs semaines auparavant, il avait rencontré Silvani, une femme vive et au moins aussi charmante que lui. Une fois n’était pas coutume, il s’était rapidement attaché à elle et filait un parfait début d’idylle. Propriétaire d’une terre maraîchère, Silvani vendait ses produits à la capitale dans un marché qu’Altúro fréquentait depuis peu. Puisque la saison d’un champignon prisé par les bourgeois venait de commencer dans les bois environnants, Altúro avait utilisé le prétexte pour visiter Silvani. Pour faire sa joyeuse emmerdeuse et s’extirper un moment du tourbillon de ses activités interlopes en ville, Rhéa s’était greffée au voyage. Que la boutique soit fermée un jour ou deux ne causerait aucun véritable tort. Leurs affaires se portaient assez bien pour éponger une escapade.

En s’écartant du sentier, comme Silvani l’avait promis, Rhéa distingua sans mal les premiers chapeaux beiges dans le voisinage des vieux chênes. Ce champignon ne détenait d’autres vertus botaniques que de charmer les papilles et d’être à la mode depuis quelques années auprès des alaviriens. (En fait, on prétendait même que Merwyn en personne en avait raffolé en son temps.) De sorte qu’une herboristerie comme Le Chant de l’enjôleuse se voyait dans l’obligation de se plier à la demande toujours croissante de la population. Altúro et Rhéa savaient pertinemment qu’on s’arracherait les premiers arrivages. Une chance que Silvani leur avait indiqué avec précision l’emplacement de certaines grappes, ils détiendraient un petit avantage sur quelques concurrents. Peut-être.

Armée d’un petit couteau à la lame rétractable, qui avait servi des desseins plus obscurs que la simple cueillette de champignons, Rhéa se mit à la tâche avec une efficacité forgée par l’habitude.

***

Le soir tombait, l’odeur de la terre humide montait jusqu’à Rhéa. Ses mains, les genoux de son pantalon de toile, sa chemise d’homme blanche étaient tachés, elle portait un sac rempli de champignons sur son dos. Ses cheveux noirs ramenés en queue de cheval révélaient un visage plus grave qu’à l’accoutumée. Du haut d’un petit talus, elle observait un village d’où s’élevait une modeste tour bâtie dans une pierre rosée. Elle l’avait reconnue. Cette tour. La jeune femme jeta un rapide coup d’œil derrière elle, vers la direction d’où elle arrivait. De toute façon, elle avait déjà pris une décision.

L’herboriste prit la direction du hameau, le cœur battant. Une angoisse froide dans les veines. Un rire nerveux coincé dans la gorge. C’était tout de même absurde de penser que, toutes ces années, elle avait vécu si près de ce village sans le savoir. Un village dans lequel elle avait fait halte avec son père lorsqu’ils s’enfuyaient dans le sud de l’Empire. Un comme tant d’autres, à la différence de cette fameuse tour qui abritait une petite caserne de soldats. Du moins, d’après ce qu’elle se rappelait.

Elle atteignit les premiers bâtiments, la tête bourdonnante de souvenirs. Parfois, oui, parfois, elle se demandait ce qui avait bien pu advenir de sa famille, de son père qui l’avait confiée à celui d’Altúro, voilà quatorze ans. Elle était sans nouvelles de lui, depuis ce jour. À 10 ans, Rhéa avait tué par accident Tolt, le fils du maire de son village natal. Un événement qui avait poussé sa jeune vie dans un escalier. En catastrophe, son père, un marchand itinérant, avait tout laissé en plan pour la protéger. Il avait réussi. C’était tout ce dont Rhéa pouvait jurer. Lui. Sa mère. Son oncle. Ils avaient réussi à protéger une petite fille du crime qu’elle avait commis. Mais à quel prix ? Aujourd’hui, cette petite fille, devenue une femme, atteignait une place au centre du hameau. Elle s’asseyait sur un muret, ouvrait une petite besace pour en tirer une pomme, du pain et du fromage. Elle se mit à manger. Et à réfléchir, sans se soucier des branches bourgeonnantes d’un petit arbre qui caressait son bras, agité par une brise. Rhéa se souvenait de la chasseuse de primes qui avait passé à deux doigts de les appréhender, elle et son père, après plusieurs mois sur les routes. Donc, elle savait. Elle savait que la vérité sur le sort qu’avait connu sa famille ne pourrait pas lui plaire, et c’était sans doute pourquoi elle évitait d’habitude de s’appesantir sur ces réflexions. Elle leva les yeux sur la tour, haute et immuable. Mais il y aurait toujours sur sa route quelque chose d'implacable pour la précipiter dans le vide de son passé, à un moment ou à un autre. Quelque chose pour lui retirer ses présomptions et lui briser les os. Philosophe, Rhéa se disait qu’elle l’acceptait. Cependant, elle oubliait qu’elle mentait bien, y compris à elle-même.

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Anatar avait décidé de faire une petite halte dans le premier village qu’il croiserait, afin d’acheter des vivres pour se préparer à son pèlerinage chez ses confrères de Fériane. Ses jours à Al-Jeit étaient terminés, jusqu’à son prochain passage, et il avait envie de s’accorder quelques temps de repos et d’apprentissage chez les Rêveurs de l’Est, pour voir comment ils appréhendaient le Rêve. Le jeune homme avait toujours été convaincu que confronter les idées était une bonne façon de n’en retirer que le meilleur et ses professeurs de Tintiane l’avaient encouragé à rendre visite, au cours de ses pérégrinations, à leurs cousins des autres monastères.

Ainsi donc, après deux jours passés à la capitale pour chercher une opportunité de travail intéressante, sans succès, il avait décidé de saisir sa chance et de se lancer dans ce périple de deux jours de marche à bonne allure. Il s’inquiétait de savoir si ses chaussures allaient tenir la distance, le cuir bouilli commençant sérieusement à s’affiner sous sa plante de pieds. Il faudrait pourtant bien qu’elles tiennent jusqu’à Fériane, il se ravitaillerait là-bas. Il n’avait de toute façon pas vraiment les moyens de s’acheter lui-même une paire de souliers.

Arrivant donc sur la placette du village sur lequel il avait jeté son dévolu, il chercha du regard un magasin, une échoppe ou même une taverne qui eut pu lui vendre la nourriture qu’il cherchait. Il était tard, aussi songea-t-il qu’il serait peut-être judicieux d’également chercher un logement pour la nuit. D’habitude, lorsqu’il voyageait dans les caravanes, les fermes fortifiées sur la route du nord hébergeaient gentiment les passants. Dans le sud le discours n’était pas le même, l’aumône ne faisait plus trop partie des mœurs et il était souvent obligé de payer son lit. C’était assez contraignant mais Anatar avait su s’en accommoder.
Une fois le tour fait de la place, le jeune homme se rendit compte qu’il ne devait pas être au bon endroit car il n’avait rien vu qui puisse correspondre à ce qu’il cherchait. Peut-être que les bâtiments de commerce étaient dans une autre rue, sur une autre place, mais enfin, ce village n’avait pourtant pas l’air si grand…

Il s’apprêtait à reprendre sa route quand son pied buta contre un caillou particulièrement vicieux qui entailla le cuir de sa chaussure déjà agonisant. Lâchant un juron propre aux bas quartiers d’Al-Far dans une crispation des dents, Anatar boitilla jusqu’à un muret proche pour examiner l’ampleur des dégâts.
Son gros orteil était entaillé et cela serait sans doute un problème pour son pèlerinage. La blessure n'était pas gravissime mais elle serait assez douloureuse pour l'embêter jusqu'à son arrivée à destination. Sortant un bandage et de l'alcool de sa maigre besace, il désinfecta puis enroula son orteil dans un pansement de fortune en quelques gestes experts et contempla son œuvre.
Jugeant que ça ferait l'affaire, il remit sa chaussure et contempla d’un air navré le trou qui pointait au bout, désespéré de ne pouvoir dérouler son Rêve dessus ou à défaut d'avoir du fil et une aiguille pour raccommoder son soulier.

Soupirant, il s’apprêtait à repartir quand il s'aperçut qu’il avait élu domicile à côté d’une jeune femme. Se raidissant instinctivement d’être en compagnie de quelqu’un, il se redressa lentement et saisit sa chance. Si elle trainait là, elle était peut-être du village ? Peut-être pourrait-elle le renseigner ?

“Euh excusez-moi mademoiselle, est-ce que vous pourriez m’indiquer une auberge où je pourrais passer la nuit ? Et éventuellement un endroit où je pourrais acheter à manger ?”

Tandis que le silence se prolongeait, Anatar sentit son malaise grandir. Dansant d’un pied sur l’autre pour s’occuper, il ajouta finalement quelques mots, pressé de couper court à cette tentative de sociabilisation qui partait sur un échec.

“Je suis désolé de vous avoir dérangé, vous n’êtes peut-être pas d’ici, je vais chercher tout seul. Au revoir.”

Puis le jeune homme encapuchonné se détourna, s’immobilisant toutefois pour décider dans quelle rue il allait s’engouffrer pour tenter de trouver son bonheur.

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Perdue dans ses pensées et accaparée par son frugal en-cas, Rhéa n’accorda d’abord qu’une attention distraite à l’étranger venu s’appuyer au muret près d’elle. À l’entendre pester, néanmoins, avec un tout fin sourire en coin, Rhéa finit par lui jeter un regard à la dérobée. L’homme procéda à un rapide examen d’une blessure à son pied, puis avec des gestes calmes et précis, il entreprit d’y appliquer un bandage expert. Un caravanier qui avait connu son lot de mésaventures sur la route? Un guérisseur itinérant? Eh bien, si elle se fiait à l’état de ses chaussures, peu importait son métier, cela n’était pas comme ça que ce gus acquerrait son premier million de branches… Bah. À moins de disposer d’une particule noble dans son nom, qui pouvait nourrir un tel rêve? Certainement pas elle, non plus…

Prête à repartir, la jeune femme nettoyait avec application le petit couteau tranchant qui lui avait servi pour collationner, lorsque le badaud l’interpella pour lui demander où trouver nourriture et logis dans la bourgade. Ah! Elle avait tant que ça la tête d’une locale? Par réflexe, d’un air navré, elle haussa les épaules avec nonchalance pour signifier son ignorance. En son for intérieur, pourtant, elle se mit à réfléchir en dévisageant obstinément l’homme en face d’elle. Déjà qu’à peine vingt minutes plus tôt, elle ne souvenait pas d’avoir passer par ce village auparavant… Qu’avait-elle donc vu ici avec son père, mis à la part la haute tour en granit rose? Leur fuite remontait à tant d’années. Tant de bourgades avaient défilées. Semblables et rendues anonymes par le temps. Un souvenir timide, à peine une bribe, tentait de refaire surface, néanmoins. Là, tout près. Elle ne devait que se concentrer une seconde.

Raide, l’homme se détourna tout d’un coup, comme vexé par l’attitude indifférente de son interlocutrice.

-Hé! Je… Monsieur, attendez!


Rhéa bondit à bas du muret, se mit à courir derrière le voyageur qui tournait déjà l’angle d’une rue.

Ça lui revenait, maintenant. Son père, homme grand et costaud, occupé à regarder dehors par la fenêtre de leur petite chambre d’auberge.

-T’as vu ça, Rhénette? Un tour comme celle-là, ta… ta mère dirait que ça doit bien dater de l’époque de Merwyn. C’est joli, tu trouves pas? C’est pas si mal de se réveiller avec une telle vue, après tout...

Rhéa se rappelait avoir répondu une pitrerie de gamine, pour lui arracher un sourire et dissiper sa perpétuelle grisaille. Elle savait à cette époque qu’elle demeurait la seule personne encore capable de le soustraire à ses regrets. D’une manière diffuse, les enfants se retrouvent toujours condamnés à sentir ce genre de chose chez les adultes.  
 
-Hé, excusez-moi, si c’est une auberge que vous cherchez, j’irais plutôt de ce côté, fit la jeune femme en rattrapant l’homme et en désignant du pouce la tour derrière eux. Je ne suis pas d’ici, mais à mon souvenir, il y a un établissement qui offre le gîte juste en face de la tour.

Le soleil de fin d’après-midi attrapait les nuances couleur miel des yeux de l’inconnu, il demeura stoïque, si bien que Rhéa se mordilla une seconde la lèvre avec nervosité, avant de se fendre d’un sourire avenant.

-C’est qu’il commence à se faire tard, n’est-ce pas? enchaîna-t-elle avec bonhomie. J’ai un ami qui m’attend à quelques kilomètres d’ici, mais je vais devoir rester moi aussi pour la nuit, je crois. Autant vous aidez à trouver cette auberge…

Vive, la jeune femme pivota et se mit à marcher d’une bonne enjambée, mais elle se résolut vite à ralentir la cadence en remarquant la légère claudication de l’étranger. Elle farfouilla dans une de ses poches, puis l’autre, et finit par extirper une petite fiole marquée de l’effigie du Chant de l’enjôleuse, son herboristerie.

-Tenez, lorsque vous changerez votre bandage, vous pourrez l’appliquer sur la peau avec une compresse.  C’est à base d’une fleur qui pousse dans la région, ça aidera la cicatrisation.

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Anatar avait mis les voiles avec toute la lâcheté dont il était capable, s’étant rendu compte du fait qu’il n’était pas prêt à gérer une discussion là maintenant tout de suite. S’éloignant de toute la possibilité de ses grandes jambes, il était presque au coin de la rue quand il entendit la demoiselle qu’il avait osé accoster le rattraper.
Pris d’une panique subite et presque incontrôlable, il lutta tant bien que mal contre l’envie de se mettre à courir comme un dératé pour fuir cette jeune femme qui pourtant ne lui avait rien fait de mal.

C’est pourquoi il mit un moment à analyser les propos tenus et comprit, après une bonne minute de silence latent, qu’elle avait fini par répondre à sa question initiale. Quand le chemin fut fait dans son cerveau, il s’immobilisa brusquement en suivant l’indication du doigt pointé, sans savoir quoi faire.
Il savait qu’il aurait dû la remercier. Il le fallait même, mais son cerveau était à l’instant semblable à une tortue retournée sur sa carapace : incapable de faire autre chose que gigoter dans le vide.
Il se contentait donc de la regarder, sa capuche s’étant presque enlevée de sa tête, dévoilant ses yeux miel, sa peau trop pâle et son visage fin.

Alors qu’elle s’éloignait en lui annonçant qu’elle allait l’accompagner, il la suivit machinalement en claudiquant, comme un automate suivant la lumière d’un phare lui étant exclusivement destiné.

Finalement, elle ralentit et lui donna un petit flacon, avec des explications médicinales pour son pied, il sembla que l’information, touchant au domaine qui régissait intégralement sa vie depuis maintenant de nombreuses années, réussi à remettre les mécanismes de son cerveau en route.
Clignant deux fois des yeux, il saisit le flacon avant que son immobilité devienne passablement gênante, puis hocha du chef et quelque chose, dans le contact du verre, lui fit faire tilt.
Il murmura alors, d’un air embêté :

C’est vraiment très aimable à vous de m’aider mais je n’ai pas de quoi vous payer pour vous remercier. Je n’ai que mon Rêve et vous me semblez en parfaite santé… Je ne peux pas accepter.

Il lui tendit donc son flacon, bien décidé à lui rendre, ayant à peine juste assez de Branches pour se payer une chambre… En admettant que les prix n’ai pas triplé depuis sa dernière visite dans la région.
Il la suivait toujours en claudiquant et bientôt ils arrivèrent en vue de la tour, et de l’auberge qui siégeait non loin.

Avec appréhension, Anatar s’avança et regarda les prix affichés. Il sortit sa bourse bien maigre et soupira discrètement. Il n’avait pas assez. Suffisamment pour manger, mais pas pour une chambre. Ou suffisamment pour dormir mais pas pour manger.
Posant une main sur son estomac qui commençait déjà à protester, il choisit la première option. Manger était plus important que dormir. Et puis il fallait voir le bon côté des choses : s’il partait de nuit, il pourrait profiter de la fraîcheur nocturne et arriverait plus vite chez la Confrérie.

Se redressant, il poussa la porte de l’auberge et, se rappelant une notion de politesse élémentaire, s’effaça pour laisser passer la demoiselle qui l’avait aidé en premier. Une fois à l’intérieur, il demanda, à voix suffisamment intelligible pour couvrir le bruit de la musique et des conversations des quelques clients déjà là :

Souhaitez vous que nous partagions notre repas ? Je veux dire… Que nous mangions nos pitances à la même table ?

Il ignorait encore pourquoi il avait proposé une chose pareille, lui qui était d’ordinaire si prompt à fuir l’Humanité en général. Mais enfin, il s’accrocha à son maigre courage et ne revint cette fois pas sur sa proposition, serrant ses mains moites dans son dos pour cacher son stress.

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Capable de faire preuve de patience pour une fois et les mains enfouies dans les poches, Rhéa observa un temps d’arrêt pour que son interlocuteur examine en profondeur l’humble présent qu’elle venait de lui offrir.

“C’est vraiment très aimable à vous de m’aider mais je n’ai pas de quoi vous payer pour vous remercier. Je n’ai que mon Rêve et vous me semblez en parfaite santé… Je ne peux pas accepter, s’excusa l’inconnu.

-Oh, fit l’herboriste d’un ton neutre, mais un brin interloqué. Elle reprit le flacon avec un infime froncement de sourcils. Drôle de moineau, ce gars. Ce n’était toujours qu’un petit présent désintéressé, d’une voyageuse à un autre. Tout au plus était-ce une gentille façon de faire connaître les pommades et onguents de l’herboristerie qu’elle tenait à Al-Jeit. Rien de plus. Elle n’attendait certainement pas d’argent en retour. Il leur arrivait simplement parfois de faire montre d'élans de générosité spontanée, voilà tout.

L’herboriste rempocha néanmoins l’objet, sans chercher à argumenter davantage. Elle ne tenait pas non plus à mettre le voyageur mal à l’aise pour une broutille. Et puis…s’il disait détenir le don du Rêve. (Parce que c’était bien ce qu’il avait mentionné au passage, non? Elle avait bien compris?) Quel usage aurait-il, en effet, d’un onguent aux propriétés astringentes?

Ils se remirent en route et, en catimini, elle avisa, au vu de ses mauvaises chaussures, la mine un peu dépenaillée du voyageur. Peut-être avait-il interprété le geste de l’herboriste comme de la pitié à son égard? À quelque part, l’herboriste pouvait comprendre ce genre d’orgueil. Elle n’avait pas toujours roulé sur l’or elle-même et s’était fait un point d’honneur à se débrouiller envers et contre tout.

Ils ne tardèrent pas à arriver aux abords de l’auberge, et comme pour confirmer sa pensée, elle vit le voyageur tergiverser une seconde, une bien maigre bourse à la main.

Pendant qu’il se décidait, l’herboriste ne se retint pas de jeter un regard vers les hauteurs de la petite tour qui supplantait joliment la bourgade dans toute sa modeste majesté. De près, elle semblait au moins triple centenaire, un peu effritée par les éléments, mais toujours vaillante et usitée par la milice de l’endroit. Sans imagination, l’auberge en face avait été nommée l’Auberge de la Tour Rose. Mouais, valait mieux être facile à localiser plutôt qu’imaginatif, non?

Ils entrèrent finalement et, une fois à l’intérieur, la jeune femme, toute à son impression de déjà-vu, prit un moment à part elle pour analyser le plafond lambrissé, les poutres, et la tête de siffleur à la fourrure râpée montée sur un mur à l’entrée, trophée de chasse ramené par allez-savoir-qui, une éternité auparavant. Poings sur les hanches, elle se prit à penser que l’endroit n’avait, de toute évidence, pas beaucoup changé en plus de quinze ans. La familiarité vague des lieux lui faisait quand même bizarre, c’était comme entendre une comptine locale chantée par votre mère dans votre tendre enfance, soudain entonnée par un pur étranger. Elle se prit à pense que, décidément, on est pas encore revenu du pays des mystères quand il est question de souvenir enfouis.

-Hum…, fit-elle, pensive.

“Souhaitez vous que nous partagions notre repas ? Je veux dire… Que nous mangions nos pitances à la même table ?”

Brusquement arrachée à ses souvenirs et ramenée à la réalité, Rhéa fixa le voyageur une seconde, ses grands yeux bleus glace écarquillés sous l’effet d’une surprise sans doute un peu comique.

-Ah, oui. Bien sûr, ça me paraît une excellente idée,
approuva l’herboriste avec une enthousiasme sincère. Il y a des places libres juste là, je crois.

Ils prirent place dans un coin tranquille de la salle, où il serait possible de s’entendre parler. L’ambiance, à cette heure du début de la soirée, demeurait encore plutôt conviviale et l’or du soleil déclinant mettait en évidence quelques grains de poussière en train de tourbillonner dans l’air.

-J’étais venue ici quand j’étais gamine. Avec mon père quand nous voyagions sur les routes de campagne. Je devais avoir onze ou douze ans. Cet endroit n’a pas du tout changé, lâcha Rhéa d’un ton badin, en guise d’explication pour la bizarrerie de son comportement un peu plus tôt.

La jeune femme huma l’odeur d’un ragoût de siffleur dans l’air et se rendit compte qu’elle commençait à mourir de faim. Elle héla le tavernier d’un geste et avant qu’il ne parvienne à leur hauteur, elle poursuivit :

-Loin de moi l’idée d’être indiscrète, mais est-ce que je vous ai bien compris tout à l’heure ou vous m’avez dit posséder le don du Rêve? Pour être honnête, je ne savais même pas qu’il arrivait aux Rêveurs de quitter leur Confrérie pour s’aventurer sur les routes. Ça doit être dangereux par moment, non?


Le tavernier, l’air franchement bourru, se mit à les toiser sans un mot en arrivant à leur table.

-Ah, en passant, je m’appelle Rhéa Syriambre, herboriste basée à Al-Jeit,
acheva la jeune femme, un sourire franc sur le visage et la main gaillardement tendue.

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