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Un loup reste un loup

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« Un loup reste un loup. »

Frontières de Glaces | 21/05/2015

Alec Ezilea & Eileen Miyrshaï









    « Je sais Écho… »


Le Frontalier sourit en regardant son ami l’attendre impatiemment aux détours de la route. Le petit sentier de terre battu, couvert de neige par endroit, même en ce début d’été, leur était familier à tous deux et l’excitation d’Écho gagnait de plus en plus le cœur d’Alec. Le loup l’avait suivi sur les chemins de l’Empire, plus au sud qu’aucun membre de son espèce n’était déjà allé. Il l’avait suivi dans des terres inhospitalières et complètement étrangères à son propre univers, et jamais le loup n’avait regardé derrière. Il était resté auprès d’Alec, parce que plus encore que le Nord, c’était ensemble qu’ils étaient chez eux.

L’excitation de rentrée chez lui était palpable chez Écho. L’odeur de ces terres connues avait fait dresser ses oreilles et centraliser son attention sur l’horizon, droit vers les Frontières de Glace, depuis qu’ils avaient quitté les rives du Pollimage pour s’engager dans la danse et immense forêt sauvage qui séparait les Marches du Nord et le reste de l’Empire. La première fois qu’il avait revue de la neige, l’énorme loup avait semblé retombé en enfance. Le chiot en lui s’était roulé dans la neige blanche, les quatre pattes dans les airs, en grognant de contentement.

Alec aussi était impatient. Il n’était plus qu’à quelques lieux de chez lui, de ses Marches du Nord. Bientôt, très bientôt, dès qu’il sortirait de cette forêt et déboucherait sur les versants rocailleux marquant l’entrée des Marches, il pourrait apercevoir les pics enneigés de la chaine du Poll. Ses montagnes.

Alec rattrapa Écho, puis soudain le rideau de branches de conifères recouverts d’une fine couche de neige s’écarta devant lui. Alec s’arrêta, le regard accroché à l’horizon. Durant son voyage, il avait vu mille paysages incroyables et mille merveilles, en passant par les Dentelles Vives, le Lac Chen, l’Arche, les tours d’Al-Vor… Mais aucun spectacle n’était aussi beau que celui-ci.

    « … Nous sommes chez nous. »


L’émotion avait fait de sa voix un murmure, mais à part un loup qui leva la tête vers le vent du nord, il n’y avait personne pour l’entendre.

Alec avait tenu à arriver dans les Frontières de Glaces seul. Il appréciait énormément Nirina, son amie, sœur d’arme et compagnon de voyage. Il l’appréciait même plus qu’il ne pouvait, ou ne se permettait, de mettre des mots dessus. Ils se rejoindraient plus tard ce soir-là, il restait de toute façon une bonne journée de voyage avant d’atteindre les murs de la Citadelle. Néanmoins, il avait ressenti un besoin inexplicable de rentrer chez lui seul. Trop de choses s’étaient passées durant leur long voyage, durant plus de deux mois où il avait quitté sa terre natale. De belles choses, certes, en partie. Il avait vu des paysages incroyables, visité des lieux qu’il n’avait jamais cru voir un jour dans sa vie et fait des rencontres extraordinaires avec des gens qui avaient marqué sa vie. Plus encore, il s’était rapproché de Nirina.

Néanmoins, mêler au bonheur, la douleur aussi avait fait partie du voyage. Les raisons de son départ, le vide de laisser derrière lui sa vie, sa famille, son peuple… Puis sa rencontre inespérée avec Lasbelin. Las, cette femme qu’il avait tant aimée et qui était partie. Il avait cru ne jamais la revoir, mais ce qui aurait dû être des retrouvailles heureuses se révéla être l’un des moments de douleur et de faiblesse les plus grands de sa vie. Ses souvenirs, encore et toujours ses souvenirs, qui malgré la distance, ne s’étaient pas estompés. Et avec eux, un lot de souffrance de plus en plus lourd à porter.

Alec portait ses souvenirs comme un fardeau invisible sur ses épaules, mais aussi gravé dans sa chaire. Du haut de son œil gauche partait une longue cicatrice argentée, barrant son œil et courant sur sa peau jusqu’à sa mâchoire puis son coup. La blessure qui datait que 5 ans avaient été causés par la lame d’un Géant. À l’époque, je jeune Frontalier n’avait pas hésité une seule seconde à se jeter seule sur le colosse pour le combattre. S’il avait grièvement blessé le Géant, il avait manqué de peu d’y perdre la vie. Aucune bravoure, honneur, orgueil ou témérité n’avait pourtant motivé son geste. Il avait combattu un Géant en duel, geste complètement fou, même pour un Frontalier, pour la simple et indiscutable raison que c’était la seule façon d’essayer de sauver son frère. Le Géant avait pris pour cible Yaän, le frère cadet d’Alec. Mais Alec échoua. La lame du Géant l’avait marqué à vie, puis était allée se planter dans le cœur de son frère. Il n’avait plus jamais été le même depuis.

Alec était un fils du nord. Le sang des Frontaliers coulait dans ses veines et l’appelait dans les Marches du Nord. Ici était toute sa vie. Et malgré les mauvais souvenirs, alors qu’il contemplait l’étendue enneigée devant lui, les montagnes de glaces à l’horizon, il souriait. Il était heureux de rentrer chez lui.

Écho le sortit de sa contemplation en poussant un jappement joueur. Les pattes avant couchées au sol, le loup lui faisait face et semblait l’attendre pour commencer à jouer. Il jappa de nouveau, sa queue battant l’air, puis partit à la course en faisant voler des nuages de neiges. Alec sourit de plus belle. N’importe qui aurait vu un loup de la taille d’un poney jouer ainsi dans la neige comme un chien aurait été soit terrorisé, soit bouche bée, mais Alec avait l’habitude. Écho n’était qu’un chiot lorsqu’il l’avait trouvé, près du corps sans vie de sa mère. Le loup devait être également chien en partie, puisque sa fourrure n’était pas blanche comme les loups du nord habituels, mais grise et presque noire par endroit. Alec l’avait élevé, sans jamais lui retirer sa liberté. Encore aujourd’hui, Écho était libre de parties, mais il avait décidé de rester près d’Alec. Il était son frère et chef de meute. Alec, lui, considérait Écho comme son propre frère et tenait autant à lui qu’à son arc ou son sabre.

Écho revint vers lui, langue pendante et fourrure couverte de neige, foncièrement heureux. Alec se passa une main dans ses cheveux mi- longs châtains roux en désordre pour les rejeter vers l’arrière puis s’accroupit devant lui loup pour caresser à grand coup de main le coup et les oreilles de l’animal. Écho appuya avec force son énorme tête contre le torse d’Alec et le frontalier se mit à rire. Le loup se laissa tomber de tout son poids sur Alec qui, malgré un entrainement rigoureux et sa propre taille non négligeable, se retrouva aussitôt étendu au sol, écrasé sous le poids du loup. Alec rit de plus belle en tentant de repousser Écho, mais ce dernier se retourna face à lui et commença à lui lécher joyeusement le visage. Alec repoussa de la main le museau d’Écho avec une grimace à amuser puis parvint à se redresser. Il resta assis sur la pierre, juste en bordure de la forêt, et Écho appuya sa tête avec une grande expiration sur ses jambes. Le regard du Frontalier se reperdit vers le spectacle des montagnes alors qu’il caressait machinalement le dessus de la tête d’Écho. Tout comme le loup, il soupira d’aise.

Néanmoins, avant que ses épaules n’ait eu fini de se détendre après son expiration, Écho releva vivement sa tête puis sauta sur ses pieds. Alec l’imita par habitude, tous ses sens en alerte. Un grognement sourd et menaçant roula hors de la gorge d’Écho et Alec saisit son arc en encochant une flèche. Le Frontalier avait beau posséder un entrainement qui aiguisait ses sens, Écho en avait de beaucoup plus développés que lui, et Alec ne vit ni ne comprit tout de suite l’origine de l’agressivité d’Écho.

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J'ai peur. Le jour se lève, le soleil grandit quelque part au-dessus de moi. Je reçois quelques éclats de lumière, qui filtrent aux travers des feuilles. Mon cœur bat à un rythme régulier dans ma poitrine, et pourtant j'ai peur. Depuis que la nuit s'est effacée, l'endroit où j'ai toujours vécu a disparu. Et je sais que même si je décide de revenir un jour, ce ne sera plus jamais pareil. J'ai la terrible impression d'abandonner ma mère, mais je sais qu'elle veillera toujours sur moi. Le monde doit lui sembler bien petit de là-haut. Je suis impatiente de voir ce qu'il a à offrir, si il y a d'autres personnes comme moi, et s'ils vivent aussi dans la forêt. S'ils sont là, est-ce que je vais les trouver dans des grottes ou près des cieux ? Mais la véritable question que je me pose pour le moment, c'est de savoir si je suis seule. Est-ce que je suis seule ?

Je pose le regard sur Automne et Ambre. Ils sont encore barbouillés de sang. Un peu plus tôt, on s'est arrêtés parce que nous avions tous les trois faim. Attraper la nourriture leur a fait le plus grand bien. Nous avons mangé jusqu'à ce qu'il ne reste plus que les os de notre petit déjeuner. Nous n'avons pas croisé de ruisseau pour que je puisse enlever tout le sang séché qui barbouille mes bras et mon visage, mais je me suis faite les trois marques, sur le front et sous les yeux, en mémoire de l'animal sacrifié pour notre repas. Et puis nous nous sommes remis en route. Des tâches rouges maculent le poil normalement blanc des deux loups, mais cela ne les dérange pas le moins du monde. Au final, il est plutôt rare qu'ils soient entièrement de leur couleur d'origine, sans tâches quelle qu'elles soient.

Ils ont l'air tout aussi excité que moi à l'idée de partir. Je pose ma main sur le poil soyeux et normalement immaculé d'Automne. Je suis sur son dos, et il avance d'un bon pas, comme si je n'avais jamais rien pesé. Ils ont l'habitude, maintenant. Ambre est plus chargée, mais ça ne l'empêche pas de gambader d'un air joyeux. Elle a toujours eu un bon caractère. Elle ne s'éloigne pas, je pourrais presque la toucher en étendant le bras. Elle porte deux paniers que j'ai fabriqué moi même, et dans lesquels j'ai mis quelques morceaux de bois, pour pouvoir continuer à sculpter. Je ne sais pas si le bois sera toujours aussi beau, là où je vais. Les arbres changent déjà, autour de nous. Ils sont plus écartés que là d'où je viens. Je n'étais jamais allée aussi loin. Je me demande ce que je vais trouver en continuant à avancer.

Soudain, Automne et Ambre s'arrêtent. En même temps. Leurs oreilles se relèvent, et ils semblent écouter. Puis, un grondement sourd s'élève. Je plisse les yeux et regarde autour de moi, mais je ne vois rien. Rien que les arbres et un point de lumière plus vive un peu plus loin. Pourtant, je sais que s'ils arrêtent, c'est qu'ils ont senti une menace. Je rabats mon masque de bois sur mon visage, et attrape ma lance qui était accrochée dans mon dos. Droite sur le dos d'Automne, une légère brise se lève, et ils se remettent à avancer, leurs grondements s'amenuisent mais ne s'éteignent pas. Je n'ai pas l'habitude qu'ils réagissent ainsi. Lorsqu'ils font ça, c'est qu'ils sentent une menace. Mais il n'y a pas de menaces pour eux, de là où je viens.

Mon cœur rate un battement, et je me fige, en même temps que mes loups. Là, dans la lumière vive, il y a quelque chose. Non, pas quelque chose. Il y a quelqu'un. Une ombre qui ressemble un peu à la silhouette de ma mère, mais avec... Avec moins de... Plus de... Je ne sais pas, je suis trop loin. Je ne suis pas sûre qu'il puisse me voir, mais son loup nous a vu. Sa présence me rassure un peu. Il y a d'autres êtres comme moi, mais apparemment, ils vivent aussi avec les loups. Je serai peut-être moins perdu que prévu. Un nouveau courant d'air, mes loups se remettent à avancer lentement. L'ombre tient un arc à la main, et il me vise. Je suis prête à bondir. Perchée sur le dos d'Automne, je suis plus haute que l'être qui me ressemble. Ambre montre les crocs, et se met en position offensive. Elle a toujours été impétueuse et aime se battre, surtout lorsqu'elle se trouve devant des étrangers.

Un nouveau grondement s'élève, mais plus sourd, différent. Il vient de ma propre gorge. Les feuilles des arbres sont secouées, Ambre lève une patte, et sa tête se tourne vers moi, comme si elle attendait quelque chose. Elle est nerveuse, je n'aime pas ça. Je décide de descendre du dos d'Automne, qui est bien plus calme que sa compagne. J'ai toujours ma lance dans ma main gauche, mais je n'ai pas sorti mon couteau. Je pose ma main sur le dos d'Ambre, et après quelques secondes d'immobilité, je m'avance vers les étrangers. Il a toujours son arc tendu vers moi, et son loup semble tout aussi nerveux que les miens. Je m'approche d'eux, poussée par une curiosité irrépressible. Derrière moi, les loups s'agitent. D'un geste brusque, je mets ma lance à la verticale, la lame vers le haut, et je tape un coup sur le sol. Ils se couchent tous les deux sur le sol.

Puis sans plus m'occuper d'eux, je concentre toute mon attention sur l'être à l'arc. Je m'approche de lui, hésitante, mais toujours très droite, toujours très fière. Les doigts de ma main droite se posent sur sa flèche, pour l'inciter à baisser son arme. Je laisse tomber ma lance au sol, et comme hypnotisée je ne peux pas détacher mon regard de son visage. Il est harmonieux, beau, même. Une cicatrice barre la moitié de son visage. Il me rappelle un vieux loup, que j'avais dû soigné après une bagarre qui avait mal tourné. Lui aussi avait la moitié du visage balafré. Ma main droite est toujours posée sur sa flèche, tandis que ma gauche, sur laquelle il reste encore du sang séché, s'approche de son visage. C'était comme si le fait de le toucher allait rendre tout ça concret. Si je sens sa peau sous mes doigts, je serais sûre que ce n'est pas un rêve...

Mais à ce moment là, son loup se met à gronder plus fort. Je sursaute, comme si j'avais oublié sa présence, et prise de panique, je me détache de l'emprise du regard de celui à l'arc, attrape ma lance qui était sur le sol, et me réfugie près de mes loups, m'aplatissant sur le sol à leur côté. Sentant ma panique, ils se relèvent tous les deux à l'unisson, et je reste accroupie entre eux.

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Son arc à la main, tous ses sens en alerte, Alec fixait la forêt à l’endroit exact où les yeux ambrés d’Écho s’étaient posés. Le grondement grave s’élevait toujours de la gorge de l’animal et les poils denses de sa fourrure s’étaient dressés sur son dos. Un moment passa où rien d’autre que les branches des arbres ne bougèrent. Puis enfin, un mouvement.

Entre les branches, dans l’ombre de la forêt, Alec aperçoit d’abord une haute silhouette humanoïde. Sa prise se resserre sur la corde de son arc et les grognements d’Écho deviennent de plus en plus forts. Le loup montre les dents et sa queue est dressée, en signe de dominance. Alec émet une sorte de grondement grave et sourd lui-même, enjoignant son compagnon à ne pas attaquer, et les grognements d’Écho faiblissent un peu. Le loup ne laisse pas sa position défensive pour autant.

La silhouette pose finalement pied dans la lumière. Alec en a le souffle coupé.

Émergeant d’entre les arbres comme deux esprits de la forêt, deux loups du nord à la fourrure blanche posent leurs pattes sur le sol rocailleux et recouvert d’une fine couche de neige des Marches du Nord. Les loups sont aussi grands et massifs qu’Écho. L’un deux est plus agressif et Alec voit du coin de l’œil Écho ouvrir la gueule en grognant de plus belle, menaçant. Néanmoins, ce n’est pas leur apparition qui estomaque le Frontalier. Ce qu’Alec avait pris pour une sorte d’humanoïde était en fait une jeune femme monté sur le dos d’un des grands loups.

Tout chez cette jeune femme appelait une nature sauvage, de sa position à l’énergie qu’elle dégageait. Elle portait un masque de bois cachant ses traits et avait une lance à la main. Les loups avaient du sang séché sur leur fourrure, témoin d’un repas récent. Alec n’y portait pas vraiment attention, habitué à ce genre de spectacle qu’il voyait après chaque partie de chasse avec Écho. La femme aussi avait du sang sur les mains. Alec en déduisit qu’elle chassait et mangeait avec les deux loups blancs. Ils étaient ses compagnons, tout comme Écho avec lui. Une étrange sensation commença à naitre dans le creux du ventre d’Alec. Jamais il n’avait rencontré quelqu’un qui avait un lien avec un ou des loups du nord comme le sien. Il connaissait bien sur des gens, tel son amie Nirina, qui comprenaient ce lien, par expérience et sympathie. Mais rencontrer quelqu’un qui semblait aussi proche de loups, communiquer avec eux, vivre avec eux… c’était du nouveau. Et c’était aussi fascinant que familier.

Malgré cet intérêt et curiosité, Alec ne baissa pas son arc. La prudence primait sur tout le reste, et il n’avait aucune idée des intentions de cette jeune femme, ni de celles des deux loups. Leur simple présence, en soit, représentaient un danger.

Écho avait toujours eu une tendance dominante. C’était même une chance qu’il considère Alec comme son alpha, son loup dominant. Il était donc très protecteur de ceux qu’il considérait comme des membres de sa meute. Il était également très territorial, et si Alec savait qu’il allait parfois rejoindre d’autres loups dans la forêt, il l’avait vu plusieurs fois montrer les dents en entendant des hurlements au loin dans les montagnes. La présence de deux loups inconnus près de lui, sur son territoire, ne signifiait rien de bon.

Ajouté à cela, le loup n’aimait pas particulièrement la présence des humains. Il détestait les étrangers et était toujours très méfiants envers les inconnus. La proximité d’autres personnes le rendait mal à l’aise, et même agressif. Rien de plus naturel, puisqu’il s’agissait d’un loup du nord en grande partie sauvage. Néanmoins, comme il suivait toujours le chemin d’Alec, et que ce dernier, dans sa fonction de Frontalier, avait à croiser la route de bien d’autres personnes, les choses pouvaient se compliquer rapidement.

Alec craignait qu’Écho ne décide d’attaquer. Tous les éléments étaient là pour provoquer son agressivité, et Alec doutait pouvoir le contrôler. Leur relation n’était pas dictatoriale. Écho était libre et possédait son libre arbitre, suivant Alec et ses commandements uniquement parce qu’il le désirait. Alec, lui, n’aurait jamais tenté d’imposer sa volonté sur le loup. Écho n’était pas un chien, ni sa possession. Il était son ami, son partenaire, son frère. Mais dans des moments comme celui-ci, Alec aurait souhaité avoir plus d’autorité sur Écho. Si le loup décidait d’attaqué, il risquait d’être blessé, voire pire, tuer. Cette simple idée donnait des frissons d’horreur dans le dos d’Alec.

Le Frontalier tenta de calmer, ou du moins restreindre l’agressivité d’Écho, en avançant d’un pas. Se faisant, il se mettait en oblique, devant le loup. La gestuelle étant la principale source de communication entre les loups, Écho comprendrait ce geste comme un positionnement de son dominant, lui interdisant d’attaquer. Le geste sembla marcher et les grognements d’Échos se calmèrent.

Alec redevient immobile. La jeune femme inconnue descend finalement de son loup, puis avance lentement vers lui, sa lance à la main. Alec la vise toujours de son arc. Elle redresse soudain sa lance vers le ciel et frappe le sol avec la garde. Avec stupéfaction, Alec voit les deux loups blancs cesser de grogner et s’étendre au sol en signe de soumission. Cette femme communique réellement avec ces animaux, comme lui avec Écho, mais elle semble posséder une volonté dominante sur eux bien supérieure à la sienne.

Alec ne sait pas exactement comment interpréter son geste. Elle, tout comme lui, à restreint l’agressivité de ses loups. Mais elle-même, quels sont ses intentions? Elle s’avance, lentement. Tout dans ses gestes dégage une énergie sauvage peu commune. Alec n’a jamais rien vu de semblable. À la fois fasciné et sur ses gardes, mu par un entrainement qui forge les habitudes, il la regarde approcher sans bouger.

Lorsqu’elle jette sa lance au sol pour s’approcher d’avantage, Alec fronce les sourcils. La femme est maintenant juste devant sa flèche tendue. Le la main, elle repousse doucement la pointe et Alec ne pose pas de résistance. Il abaisse son arc et la corde de s’étend. Étrangement, il est hypnotisé par les gestes et le masque de l’inconnue. Malgré les fentes pour les yeux, Alec ne peut distinguer le regard de la jeune femme sous son masque. Aussi incroyable et étrange cette jeune femme était, Alec ne sentait au finale aucune menace émaner d’elle.

Elle s’approche encore. Tend la main. Elle allait le toucher du bout des doigts, lui, figé comme une statue en roc. Puis Écho se remit à grogner plus fort, montrant les dents, n’appréciant absolument pas la proximité de cette femme à l’odeur de loup. Prise de panique, l’inconnue tourne les talons et court se réfugiée derrière ses deux loups blancs qui sont de nouveau sur pattes, montrant les dents.

Le Frontalier commence à comprendre. L’inconnue ne dégage pas qu’une impression d’être sauvage, elle l’est probablement. Cette femme est aussi intriguée par lui, mais également terrorisée. C’est cette panique et cette crainte qui cause l’agressivité chez les deux loups blancs. Alec doit trouver un moyen de la rassurer, de lui prouver qu’il n’est pas hostile, où les choses pourraient rapidement dégénérer.

Alec tourna un instant la tête vers Écho et sa voix se fait autoritaire, grave et ferme. Plus que les mots, c’est l’intonation qui donne leur force aux paroles d’Alec pour le loup.

    « Ca suffit, Écho. »


Le loup baisse la tête en signe de soumission. Alec lui fait signe de ne pas bouger, et c’est à son tour d’avancer vers l’inconnue. Écho est visiblement nerveux et contre l’idée de le voir s’avancer vers deux loups inconnus et agressifs, mais Alec ne s’en préoccupe pas. Il s’arrête à distance respectueuse puis se penche, mettant un genou à terre. Il dépose son arc au sol

Il regarde en direction de la jeune femme, sans la fixer droit dans les yeux – ou du moins, les yeux du masque – un peu comme il l’aurait fait avec un loup. Regarder un loup dans les yeux est signe de dominance et peut mener à la fois à l’agressivité et être compris comme une menace. Exactement ce qu’il essayait d’éviter à présent. Elle qui communique si bien avec ces animaux, elle doit surement comprendre leur langage tout autant que les paroles, si seulement elle sait parler. Alec n’est plus certain de rien, mais cela lui semble la meilleure approche possible.

Alec se risque à parler, d’une voix qu’il veut la plus calme possible.

    « Mon compagnon et moi mêmes ne sommes pas vos ennemis. Nous ne vous ferons aucun mal. »


Le Frontalier, son attention répartie entre les deux loups géants face à lui et la petite silhouette de cette femme qui l’intrigue tant, attend de voir l’effet de ses paroles. Il entend Écho pousser une sorte de plainte, le rappelant à lui, mais Alec ne se retourne pas. Il tend néanmoins une main derrière lui, paume ouverte, pour tenter de rassurer le loup.

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Je n'ai pas la moindre idée de la façon dont je suis censée réagir. C'est la première fois que je suis confrontée à ce genre de situation, la première fois que je rencontre quelqu'un qui est comme moi mais que je ne connais pas. Je sais qu'il est comme moi, je n'en doute plus. Il a deux bras, deux mains, deux jambes. Il marche sur deux pattes, pas comme les loups. Et puis, je sais reconnaître un loup. Son compagnon en est un. Pas lui. Lui, il est la preuve que je cherchais. La preuve qu'il y a autre chose, autre part. La preuve que ma mère et moi n'étions pas seules. Cela me ravit autant que cela m'effraie. J'ai tant de choses à découvrir. Je me sens brusquement minuscule et totalement insignifiante. J'ai l'impression de tomber. Le premier des murs si confortables qui encadrent mon monde s'écroule.

L'être qui me ressemble à baisser son arc. Il n'a pas l'air méchant, ni même agressif. Son loup est sur la défensive, autant que les miens. Et lui, autant que moi, a l'air de vouloir éviter qu'ils se battent. Il me regarde avec un mélange de surprise, de curiosité, et a presque l'air aussi perdu que moi. Lui non plus n'a pas l'air de savoir comment réagir. Est-ce que c'est la première fois qu'il croise quelqu'un, lui aussi ? Je ne pense pas que ce soit possible. Mais il y a quelques jours de ça, je ne pensais pas non plus pouvoir partir de chez moi. Et me voilà aujourd'hui. Je ne sais pas encore si j'ai eu tort ou raison. J'en déciderai plus tard, sûrement.

Je ne sais pas à quoi je m'attends. Et surtout, je ne sais pas à quoi je dois m'attendre. Même si il n'a pas l'air de me vouloir du mal, il suffirait de peu pour que son loup me saute à la gorge, et que les miens attaquent. Mes loups se sont rapprochés de moi. Ils ont adopté une situation défensive. Automne est debout à ma gauche. Je suis accroupie au niveau de ses pattes avant. Ambre, elle, est à ma droite. Elle a posé sa tête sur mon épaule. Ils ont senti le danger, et la tension presque palpable qui envahit l'air peu à peu. Mais l'être à l'arc tourne soudain la tête vers son loup.

- Ça suffit, Echo.

Je sursaute au son de sa voix, à la fois effrayée et fascinée. Je n'avais jamais entendu de voix comme celle-là. Celle de ma mère était beaucoup plus douce, beaucoup moins autoritaire. Pourtant, je suis plus intriguée qu'effrayée. Cela fait tant d'années que je n'ai plus entendu le son d'une voix, autre que celles des loups. Automne doit sentir mon trouble, parce qu'il pousse une brève plainte. Je pose ma main sur le museau d'Ambre, tandis que le loup Echo semble s'être calmé, et mis un peu en retrait. Mon attention se reporte à nouveau sur l'être à la voix grave qui se rapproche de nous. Il s'arrête néanmoins à une distance raisonnable, et pose son arc par terre, comme je l'avais fait un peu plus tôt avec ma lance. L'imitant, je la pose à nouveau, sans lâcher le museau d'Ambre.

- Mon compagnon et moi même ne sommes pas vos ennemis. Nous ne vous ferons aucun mal.

Je reste figée. Encore cette voix. Elle est agréable à entendre, mais je suis désormais certaine qu'il n'est pas comme ma mère, ni même comme moi. Il y a quelque chose de différent, à l'intérieur de nos similitudes. Quelque chose que je ne sais pas nommer, mais dont j'ai pleinement conscience. Ses paroles me rassurent un peu. Il a l'air de le penser vraiment, et je note avec satisfaction la façon qu'il a de ne pas essayer de regarder mes yeux. C'est une façon évidente de me prouver la bonne foi de ses paroles. J'en suis désormais sûre, lui aussi veut éviter à tout prix que nos loups ne se battent. Il sait que nous en serions tous les deux perdants, et comme moi pour Ambre et Automne, il tient trop à son Echo pour lui faire prendre des risques inutiles.

Automne reste plutôt calme, silencieux, même si toute son attention se porte sur l'être à la voix grave. Ambre, elle, est un peu plus anxieuse, malgré ma main qui caresse doucement son museau. Alors je décide d'ôter ma main. Un grognement commence à s'échapper à nouveau du fond de sa gorge, mais avant qu'elle ne puisse aller plus loin, je dessine rapidement un cercle sur le sol enneigé. Une bourrasque de vent, plus fortes que les précédents, secoue nos cheveux et poils. Ambre recule d'un pas, et vient se coucher à côté de moi, imitée par Automne. Je suis toujours accroupie, et ma main droite caresse à nouveau la tête d'Ambre, qui se calme peu à peu. Mais un seul faux pas de la part d'Echo et son compagnon, et tout pourrait à nouveau basculer. J'espère que ce ne sera pas le cas.

Le silence à repris son droit sur la forêt. J'aimerais répondre à l'homme, lui dire que je comprends ce qu'il me dit. Mais je m'en sens incapable. Cela fait longtemps, si longtemps que je n'ai pas parlé. Je parlais déjà peu lorsque ma mère vivait. Nous nous contentions souvent de quelques mots, et par la suite, nous communiquions surtout comme je le fais aujourd'hui avec Automne et Ambre. Et le jour où elle est morte, j'ai cessé de parler. Je sais pourtant très bien le faire, j'en suis sûre. Les mots coulent dans mon esprit, comme les ruisseaux dans la forêt. Mais faire des sons avec ma bouche me semble étrange, dépourvu de naturel. J'essaie, pourtant. J'ouvre la bouche, sous mon masque, et une sorte de gémissement étrange en sort.

- Uu...

Je secoue légèrement la tête. Pourquoi je n'y arrive pas ? Ce n'est pourtant pas si difficile, je sais le faire. Pourquoi je n'y arrive pas... Lentement, je porte mes doigts à l'emplacement de mon masque sous lequel se trouve mes lèvres, au niveau du troisième trou, de petite taille. Je donne de légers coups, comme si ça allait m'aider à mieux faire sortir le son. Sous le coup de la concentration, ma respiration se fait plus intense, mes épaules se soulèvent avec plus d'intensité. Je baisse légèrement la tête, et regarde à nouveau l'être à la voix grave. Lui aussi, me regard toujours. Je déglutis, agacée de ne pas parvenir.

- Uuuoo...

Je lève les bras, et mes mains viennent s'entrecroiser derrière ma nuque. Je me recroqueville sur moi-même, en secouant la tête, en pleine bataille avec moi-même. Je me tords dans tous les sens, en restant toujours accroupie. J'ai tellement de questions à lui poser, il y a tellement de choses que je voudrais savoir, mais que je ne parviens pas à exprimer. Je n'ai jamais connu de situation aussi frustrante de toute ma vie. D'un geste brusque, mes mains viennent frapper le sol enneigé. Je tombe à genoux, et ma respiration se calme peu à peu. Ambre et Automne me regardent, et poussent de légères plaintes en me donnant de petits coups de museaux.

Je suis à nouveau calme. Je relève finalement la tête vers l'être à l'arc, et j'avance un peu dans sa direction, avant de m'asseoir sur le sol glacé, les genoux repliés contre mon buste. Je tends une main vers lui, et la tourne lentement, jusqu'à ce que ma paume soit vers le sol. Je plie tous mes doigts sauf un, et le pointe sur lui. Je prends une grande inspiration, me concentre à nouveau.

- Uu... Tu...

Mes yeux se sont fermés. Chaque mot est pourtant clair dans ma tête. Je sais comment parler, je sais comment communiquer. Je veux pourtant lui dire une phrase simple. Trois mots. Trois malheureux mots, que j'ai tant de mal à sortir. Ma bouche est terriblement sèche, ma gorge me fait mal, comme si tout ce qui me servait à faire les mots avaient été brisés. Mais je sais que je le peux encore. Je le sais, au fond de moi, que ça devrait être naturel, et venir tout seul. Ma tête se penche sur le côté, et mon corps en avant, comme si je voulais encore étendre mon bras. Comme si je voulais le toucher.

- ... Es...

Nouvelle pause. Nouveau succès. Le troisième mot sera le plus dur à dire, mais je commence à me souvenir de ce qu'il faut faire, de comment on fait. Je n'ai jamais oublié. Ce n'est pas quelque chose que l'on oublie. Mais j'ai comme de la poussière dans la bouche, là où les mots devraient couler comme de l'eau. Ceux qui franchissent mes lèvres deviennent murmures, comme le vent le fait si bien. Et j'ai peur qu'il s'en aille si je tarde trop, qu'il ne m'écoute pas, qu'il me laisse là. Mais j'ai tant de choses à dire, tant de choses...

- ... Iiih... Q... Qui ?

D'un seul coup, ma main tombe sur le sol, et mes yeux se rouvrent. Il est toujours là.

descriptionUn loup reste un loup EmptyRe: Un loup reste un loup

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Alec ne savait pas comment réagir. Il avait reçu des heures et des heures incalculables d’entrainement et était paré à faire face à n’importe quelle situation, de l’attaque de Raïs au combat singulier en passant par la chasse aux Siffleurs, l’espionnage, les missions de secourisme et tous les types de combat, armé ou pas, possiblement imaginable en Gwendalavir. Cet entrainement de Frontalier se prévalait de préparer à tout, même aux missions diplomatiques, mais rien de ce qu’il avait connu ne lui disait comment réagir maintenant.

Le Frontalier aurait aimé pouvoir regarder les traits de la jeune femme. Là, il aurait peut-être pu mieux comprendre ses émotions, d’où elle venait, mieux communiquer. Mais ce masque l’empêchait d’avoir accès à tout cela. Il comprenait l’inconnue de le garder en place, puisqu’il s’agissait justement d’une protection contre ce genre de lecture.

Néanmoins, Alec était habitué à lire les comportements des autres. Particulièrement lorsque son dialogue était aussi physique, presque animal. Non, pas presque animal. Il l’état. Cette jeune femme communiquait comme un loup, autant avec les deux loups du nord blanc à ses côtés qu’avec lui. Et ce langage, Alec le comprenait encore mieux que celui typique des humains.

Écho y était, de toute évidence, pour quelque chose. Néanmoins, Alec avait également l’expérience du dialogue corporel depuis bien avant sa rencontre avec Écho. D’aussi loin qu’il se souvienne, les chevaux avaient toujours fait partie de sa vie. Ses premiers souvenirs étaient d’ailleurs avec eux et son père. Décéder alors qu’Alec n’était qu’un enfant, peu de souvenirs de lui avaient survécu à l’épreuve du temps. Les plus vifs étaient ceux où son père lui enseignait à monter et à dresser les cheveux. Cette passion, il la tenait de lui et l’avait continué, même après sa mort. Encore aujourd’hui, bien qu’il ne soit pas dresseur officiel, Alec aidait souvent les dresseurs de la Citadelle avec les jeunes chevaux. Il était d’ailleurs devenu avec les années une référence pour l’entrainement des montures Frontalière des divisions archères.

Plus qu’une habitude, c’était sa façon d’aborder sa relation avec les chevaux qui l’avaient rendu si sensible aux subtilités de leur langage. Tout comme pour Écho, sa relation avec les chevaux était toujours basée sur la confiance et le respect, et en cela, ses méthodes déviaient grandement des traditionnelles. Peu croyaient en l’efficacité de celle-ci avant de voir ce qu’Alec était capable d’accomplir avec un cheval, et cette méthode n’était ni populaire ni prise au sérieux. Mais peu importait pour lui. Ce n’était pas comme si lui-même compétitionnait pour quel qu’onques prix de popularité à la Citadelle, loin de là…

La jeune femme face à lui déposa son arme au sol de nouveau, communiquant son intérêt, tout comme le sien, à ne pas devenir hostile. Alec se détendit un peu, sans pour autant baisser sa garde. Après tout, il n’avait aucune idée du réel pouvoir que cette jeune femme possédait sur les deux loups, ni si l’un d’entre eux allait décider à un moment ou un autre de l’attaquer. Les Loups du Nord, s’ils évitaient normalement la présence des hommes, n’étaient pas réputés pour apprécier leur compagnie…

D’ailleurs, ceux-ci ne semblent justement pas apprécier sa proximité du tout, particulièrement la louve. Alors, quelque chose de complètement fascinant qu’Alec ne comprit pas se produisit. La jeune femme dessina un cercle sur le sol, puis une bourrasque de vent vint balayer la neige sur le sol rocailleux. L’impression étrange que l’inconnue est responsable de la bourrasque s’accroit lorsque les deux loups, à l’unisson, se rapprochent d’elle puis se cochent au sol, comme si un commandement silencieux leur avait été transmis.

Alec n’a vu qu’une seule fois les charmes Faëls s’opérer sur des chevaux. Ces charmes peuvent calmer et soumettre la plupart des bêtes, mais rien à voir avec la situation présente. Le charme n’est pas le même non plus, ni un chant ni une aura, mais plutôt une forme subtile et incompréhensible pour un étranger de communication. Une communication par le vent? Le Frontalier n’a entendu parler que d’une sorte de don capable d’influencer les éléments : celui des Alines et des Navigateurs. C’était encore plus mystérieux, dû au fait qu’ils se trouvaient à des semaines, sinon des mois, de voyage de l’archipel Aline, à `plusieurs jours de marche du fleuve le plus proche. Dans un cas comme dans l’autre, rien n’expliquait la présence de cette jeune femme ici. Alec aurait de toute façon été grandement étonné que ces deux énormes loups blancs vivent sur un navire…

Alors qui était-elle? Que faisait-elle ici? Pourquoi était-elle seule et pourquoi Alec avait l’impression qu’elle n’avait absolument pas l’habitude de croiser des humains? C’était presque impossible.

Puis, la jeune femme tenta de parler.

    « Uu... »


Alec ne comprit d’abord pas ce qu’elle tentait de dire. Parlait-elle une autre langue? Le Faël peut-être? Puis il se rendit compte, la voyant déglutir péniblement, qu’elle parlait bel et bien sa langue, mais n’arrivait tout simplement pas à formuler ses mots, comme si sa gorge était blessée ou rouillée. Avec une fascination mêlée de concentration, il la voit frapper doucement du bout des doigts contre le bois de son masque, à l’emplacement de sa bouche. Alec garde le silence, complètement immobile, attendant patiemment pour l’encourager.

    « Uuuoo… »


L’effort lui semble difficile. Alec se redresse légèrement en la voyant se recroqueviller soudainement sur elle-même. Elle semble prise de panique et se secoue dans tous les sens. Alec jette un regard vers les deux loups blancs, mais ceux-ci ne semblent pas vouloir lui sauter à la gorge malgré la soudaine détresse de la jeune femme. Heureusement, son combat intérieur, pour quoi que ce soit qu’elle combattît, se termina rapidement et Alec pu se détendre un peu en même temps qu’elle.

La jeune femme s’approche de lui. Alec ne bouge toujours pas et la laisse venir à lui. Elle s’assoit au sol en ramenant ses jambes sur son torse. Alec fronce les sourcils en la voyant tendre le bras, tourner sa main sur le sol puis replier ses doigts à l’exception de l’index, pointant vers son propre torse.

    « Uu... Tu... Es... »


Chacun de ses mots est mâché et Alec peut sentir l’effort fourni pour les prononcer. Il a envie de l’aider, mais s’abstient, lui donnant le temps nécessaire pour prononcer les mots qu’elle cherche à dire.

Est-elle malade, blessée? Parle-t-elle une autre langue normalement et ne parle que très peu la langue commune en Gwendalavir? Toutes ces options semblent logiques, mais Alec n’y croit qu’à moitié. Elle bouge avec trop de vitalité pour être malade ou blessée. Sa façon de communiquer avec ses loups, son comportement sauvage, sa réaction face à sa présence… tout en elle cri d’être sauvage. Mais même si cette option trouve un écho dans ses impressions, elle est encore moins logique que les autres.

    « ... Iiih... Q... Qui ? »


Tu es qui?

Alec reste interdit un instant, tentant de lire par-delà le masque de bois. Son esprit tourne à toute vitesse alors que tous ses sens sont aux alertes, surveillant les loups blancs, Écho et la jeune femme à la fois. Sur le même ton qu’il a employé plus tôt, Alec répond finalement :

    « Je suis Alec. Alec Ezilea. Je suis un Frontalier de la Citadelle, gardien des Marches du Nord. »


Joignant le geste à la parole, Alec tend la main pour pointer vers les montagnes de la chaine du Poll au loin. Il pointe ensuite Écho, qui tourne en rond nerveusement quelques mètres derrière lui.

    « Mon ami se nomme Écho. »


Il laisse un moment de silence planer au-dessus d’eux puis, intrigué, mais prudent, il pose à son tour une question. Il refait le même geste qu’elle plus tôt, pointant un index vers elle.

    « Et toi? Qui es-tu? Peux-tu me dire ton nom? »

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Je suis à la fois surprise, heureuse et déstabilisée qu'il soit toujours là. Je crois qu'il ne m'a pas quitté des yeux pendant que j'essayais de formuler ma pauvre et malheureuse phrase. Ah, je me dis que s'il pouvait lire mes pensées, tout serait plus simple. Il verrait que je suis capable de le comprendre et que je sais m'exprimer. Ma mère savait beaucoup de choses, et même si je n'ai pas passé plus de quarante lunes avec elle, je sais qu'elle a su m'apprendre tout ce qu'elle savait. Elle m'a appris à compter, à parler, à sculpter, à coudre à raconter des histoires. Elle m'a aussi appris à grimper aux arbres, à distinguer les plantes comestibles de celles qui ne le sont pas, à parler aux loups, et tant d'autres choses. Si seulement elle était encore là.

La seule chose qu'elle ne m'a jamais enseignée, c'est l'histoire de mes origines. Elle n'a jamais voulu en parler, et je n'ai jamais su si c'était pour me protéger, parce qu'elle n'a pas eu le temps de me le dire, ou parce qu'elle même en avait peur. La seule chose que je sais sur ce que je suis se résume à un mot : navigateur. Mais je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il signifie, ni même d'où je dois aller pour en apprendre davantage. Je n'ai pas encore quitté ma forêt, et je me sens déjà perdue dans ce monde qui me semble beaucoup trop vaste et dont je ne connais rien. J'ai terriblement peur de ce vide immense, même si paradoxalement, le vide lui-même ne m'effraie pas. Mais bien plus que la peur, c'est la curiosité qui prend le dessus, et saura guider mes pas tout au long de mes découvertes.

Et le premier souvenir que je garderai de cet incroyable périple, c'est celui de l'être à l'arc, et de son loup, Echo. Cet être qui est à la fois si semblable et si différent de ma mère, et... Et de moi, aussi. Enfin je crois. Et cet être au visage barré d'une marque blanche a attendu patiemment que j'arrive à formuler ce que je voulais lui dire, sans chercher à m'aider ou à m'interrompre. Je lui en suis reconnaissante. Là où je vis, lorsque l'on doit aider un loup, c'est qu'il est faible. Et les faibles ne survivent jamais, parce qu'ils ne sont pas capables de se nourrir, et donc ne peuvent pas vivre longtemps. En me laissant me débrouiller seule, il m'a montré qu'il ne me considère pas comme une faible.

- Je suis Alec. Alec Ezilea. Je suis un Frontalier de la Citadelle, gardien des Marches du Nord. Mon ami se nomme Écho.

Je fronce les sourcils sous mon masque. Je connais bien ma langue, et il n'y aucun doute que nous parlons la même. Pourtant, il y a la moitié des mots d'Alec Ezilea dont je n'ai pas compris le sens. Un frontalier ? La citadelle ? Les Marches du Nord ? Au lieu de répondre à ma question, il me fait m'en poser encore davantage. Bon. Frontalier, ça doit être son activité préférée, quelque chose qu'il aime vraiment faire, et qui fait partie de sa vie. Oui, il doit être frontalier comme moi je suis sculptrice sur bois ! Mais en quoi ça consiste, d'être frontalier ? Je ne suis pas plus éclairée. Quant à la citadelle et les Marches du Nord, il doit s'agir de deux lieux. Il a dit quoi déjà ? Ah oui, qu'il en était le gardien. Gardien comme un loup garde son territoire ? En tout cas, je suis maintenant sûre que son loup s'appelle Echo.

Je continue de le fixer derrière mon masque. Nous ne sommes pas très loin l'un de l'autre. Il y a peut-être un ou deux mètres qui nous séparent. Lentement, j'appuie mon pied droit sur le sol, puis mon pied gauche, et je m'accroupie à nouveau. J'ai légèrement replié mon bras et ma main vers moi, tandis que mon autre main est plongé dans la neige. Soudain, Alec Ezilea tend le bras vers moi, et pointe son doigt dans ma direction, imitant mes gestes. Je reste immobile, tandis qu'Automne et Ambre relèvent brusquement la tête. Ils restent attentifs à tout ce qui se passe, et je les sais prêts à intervenir en cas de problème.

- Et toi ? Qui es-tu ? Peux-tu me dire ton nom ?

Encore cette voix. Cette voix grave, agréable à entendre, douce et chaleureuse. Celle de ma mère aussi était douce, mais ce n'est pas la même douceur. Celle de ma mère était capable de calmer toutes mes craintes. Celle d'Alec Ezilea me berce et me fascine. J'ai l'impression que je n'ai rien à craindre de lui. Un être doté d'une si belle voix ne peut pas me vouloir du mal. Et puis, ce qui est beau ne peut pas être dangereux, si ? Quoi qu'il en soit, je reste silencieuse un moment, par peur que ma voix me fasse défaut. J'ai la gorge très sèche, la bouche pâteuse. Peut-être que c'est à cause de ça que je ne parviens pas à parler comme je le souhaite.

- HEh...

Ma gorge me fait mal. Alors je décide d'essayer quelque chose. Doucement, je prends de la neige du bout des doigts, et je la porte à ma bouche. Au niveau du petit trou qui s'y trouve, je penche légèrement ma main pour faire glisser la neige jusqu'à mes lèvres. Lorsqu'elle entre dans ma bouche, j'ai un vif mouvement de recul et je secoue ma tête, pourtant habituée au froid. Je fais le même geste plusieurs fois, et à chaque fois que la neige s'écoule dans ma gorge, j'ai un peu moins mal. Finalement, je m'avance encore vers Alec Ezilea, mais en gardant une courte distance entre nous deux, et en tendant à nouveau ma main vers lui.

- Al.. Alec... Ezil... lea...

J'ai un peu moins de mal à parler, peut-être que je vais pouvoir lui poser toutes mes questions. D'un geste hésitant, je m'approche encore, jusqu'à ce que mes doigts effleurent les siens. Le contact ne dure même pas une seconde. Je retire vivement ma main, comme si j'avais été brûlée, et la replie sur ma poitrine. J'ai la tête légèrement baissée, comme un loup lorsqu'il est intrigué par quelque chose. Lentement, je tends à nouveau ma main vers lui, mais mon poing se ferme, et je le ramène tout aussi lentement vers moi, comme pour me désigner.

- Ei...

Je marque une pause, et me concentre intensément. Chaque nouveau prononcé est un véritable effort pour moi. Ils ne viennent pas aussi naturellement qu'ils le devraient. Pas sur mes lèvres, en tous les cas. Mais je sais que je peux arriver à lui parler. Il faut juste que je me concentre. Je l'ai déjà fait de nombreuses fois. Avant que ma mère ne meurt, elle me répétait souvent qu'il ne fallait pas que j'oublie mon nom. Que mon nom c'est tout ce que je possède de plus cher. Elle disait que quelqu'un qui a un nom est quelqu'un qui peut exister. Et je veux exister.

- Eh... Eileen. Eileen Miiiiy... Eh.. Eileen Miy-shaï. Amb'. Automne.

En donnant le nom de mes loups, j'ai tourné la tête, d'abord vers Ambre, puis vers Automne. A l'entente de leur nom, ils ont tous les deux poussés une sorte de plainte. Ils n'ont pas confiance. Je crois que la présence d'Alec Ezilea ne les dérange pas trop, mais qu'ils n'aiment pas voir le loup Echo. Je peux les comprendre. Nous n'avons jamais vraiment été en contact avec d'autres loups que ceux de notre famille, et il est étrange d'en voir un qui nous est totalement inconnu. Je sais que le loup Echo est tout aussi anxieux, et peut-être même que lui, c'est à cause de notre présence à tous les trois.

- Je su...

J'interromps ma phrase, prise de violentes quintes de toux. Ma gorge est tellement sèche. J'ai soif, mais il n'y a pas d'eau, et la neige de me désaltère pas assez. J'aurais aimé lui dire ce que moi j'aime faire, comme lui me l'a dit. Et j'aurais aimé pouvoir lui demander de m'expliquer ce que frontalier veut dire. Mais à défaut de pouvoir le faire, je décide de me taire à nouveau. La tête toujours baissée, je la secoue de droite à gauche, avant de tomber à genoux. Mon regard est toujours rivé sur lui. Je suis totalement fascinée par lui. A quatre pattes, comme un loup, je m'approche encore, et quand je suis assez près de lui, je tends à nouveau ma main vers son visage.

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Alec aurait aimé, plus encore qu’avant, pouvoir lire les expressions de la jeune femme. Son masque lui cachait de précieuses informations. Il n’était même pas certain qu’elle le comprenne vraiment. Néanmoins, après s’être présentée et lui avoir posé une question, la jeune fille recommença à tenter de lui parler, comme pour répondre à sa question.

    « HEh... »


La gorge de l’inconnue semblait lui faire mal. Chaque son et syllabe y était arraché avec difficulté. Alec était complètement concentré sur elle, de peur de manquer le sens des mots si difficiles à prononcer pour elle. Concentrée, elle prend alors de la neige et la porte à l’ouverture de son masque. L’eau lui fera certainement du bien pour délier sa gorge. Alec songe à lui tendre sa gourde d’eau, mais il n’ose pas bouger pour l’instant. La concentration et la frustration de l’inconnue sont presque palpables. Le Frontalier ne souhaite ni l’effrayer en tendant sa main vers sa ceinture ni insulter ses efforts.

Après un moment, elle s’avance vers lui. Maintenant, elle est tout près et Alec perçoit clairement son souffle derrière sa cloison de bois. Le masque en lui-même est sculpté avec une rare précision et Alec le détaille en prenant soin de ne pas fixer les ouvertures pour les yeux. Il a eu peu d’occasions de voir des objets sculptés de la sorte. Le commerce de ce genre d’objet n’est ni courant ni prisé dans les marches du nord. Néanmoins, durant son voyage dans le sud de l’empire, Alec avait croisé à quelques reprises les étalages de marchands, dont ceux que l’on appelait les sculpteurs de bois. Ces hommes et femmes possédaient un don dérivé du Dessin particulier qui leur permettait, au prix d’un long et laborieux travail, de modifier la forme des branches et des arbres. Ils créaient autant des pièces d’ameublement que des pièces artistiques. Alec avait trouvé leur travail d’une grande beauté, mais malheureusement de peu d’utilité pour lui. Ce masque que la jeune fille abordait était différent. Il n’était pas fait de branches recourbées selon les désirs d’un dessinateur, mais sculpté à la main avec tout autant de patience et de précision.

L’inconnue pointa alors de nouveau son poing vers lui.

    « Al.. Alec... Ezil... lea... »


Alec ne peut s’empêcher de sourire du coin des lèvres. Il hocha doucement la tête pour approuver ses paroles autant que pour l’encourager à continuer. Elle ramena sa main vers elle comme pour se désigner et Alec comprit qu’elle allait tenter de lui dire son propre nom. Alec fronça les sourcils de concentration.

    « Ei... Eh... Eileen. Eileen Miiiiy... Eh.. Eileen Miy-shaï. Amb'. Automne. »


Eileen Miyshaï. Les deux autres noms devaient être ceux de ses deux loups, puisqu’elle les avait désignés en parlant. Ambre et Automne, s’il avait bien compris. Il penche la tête comme s’il rencontrait un grand seigneur.

    « Je suis enchanté de te rencontrer, Eileen Miyshaï. »


Alec tenait à ce qu’elle sache qu’il avait compris ce qu’elle mettait tant d’effort à prononcer. Bien des interrogations lui brulaient les lèvres. Elle l’intriguait énormément, mais le Frontalier ne souhaitait rien forcer de sa part ni la brusquer de ses questions. Si elle avait eu autant de difficulté à lui prononcer son nom, il n’osait pas imaginer la complexité de lui demander des explications sur une question aussi complexe que d’où venait-elle. Alec ne doutait plus qu’elle le comprenait parfaitement désormais, même si parler lui était difficile. Du moins, ils parlaient la même langue et ses mots lui étaient intelligibles.

    « Je su... »


La jeune fille partit alors d’une violente quinte de toux qui interrompit sa phrase. Visiblement, parler lui demandait un effort considérable que sa gorge n’était pas prête à assumer. Revenant sur sa décision antérieure, Alec tendit la main vers sa ceinture et y détacha sa gourde de cuir rempli d’eau. Il déboucha le contenant et tendit la gourde devant lui, la présentant à Eileen.

    « Tien, bois ceci. Il s’agit de l’eau d’un ruisseau, elle te fera du bien. »


Il attendit un moment puis, l’air soucieux, il pointa sa propre gorge puis tendit le poing vers Eileen, comme elle l’avait fait un peu plus tôt.

    « Est-ce que tu es blessée, Eileen? »


Il tentait de mettre toute la douceur dont il était capable dans ses paroles, tout en étant assuré. La difficulté à parler de la jeune femme pouvait provenir d’une blessure et Alec ne pouvait en toute conscience laissés cette possibilité filler sans faire quelque chose. Si elle était effectivement blessée, il pouvait peut-être l’aider, ou du moins l’amener à des gens qui pourraient la guérir. Alec connaissait des rudiments en matière de soins, mais principalement pour soigner des blessures dû à des combats ou pour soigner des maladies plus générales, telle la fièvre ou la grippe. L’experte en la matière, c’était sa petite sœur, Daerys. La Frontalière terminait sa formation en médecine à la Citadelle et elle était probablement la plus douée de sa cohorte. C’était elle qui avait enseigné à Alec ce qu’il connaissait.

    « Prends ton temps pour parler. Rien ne presse. »


Écho derrière lui poussa une sorte de plainte mêlée à un grognement. Il s’impatientait et la présence des deux autres loups lui était visiblement très difficile. Alec était même plutôt étonné qu’Écho n’ait pas déjà attaqué les deux loups blancs, mais le contrôle qu’exerçait Eileen sur ses compagnons devait y être pour quelque chose. Les loups blancs étaient nerveux, mais leur agressivité n’était plus offensive comme au début de la rencontre. Ils étaient sur la défensive, incertains, mais pas ouvertement confrontant.

Alec tourna la tête vers Écho. À quelques mètres derrière lui, il faisait toujours des allers-retours nerveux, la queue dressée et les oreilles couchées sur sa tête. Il montrait légèrement les dents, mais rien de trop inquiétant pour Alec qui le connaissait bien. Le Frontalier songea à lui demander de partir dans les bois, mais il savait cette demande inutile. Écho ne le laisserait pas seul ici, alors qu’il considérait à la fois les deux loups blancs comme une menace et comme une intrusion sur son territoire. Il aimait mieux, de toute façon, pouvoir garder un œil sur lui, au cas où l’idée d’attaquer les inconnus lui est plus accessible une fois à l’abri des arbres et hors de portée des directives d’Alec.

Le Frontalier s’efforça alors de lui communiquer par son énergie et sa posture qu’il était détendu et en confiance. S’il parvenait à faire comprendre à Écho qu’il ne considérait pas ces étrangers comme une menace, mais comme des amis, peut-être que le loup en ferait au final autant.

Spoiler :

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J'observe cet homme avec toute l'attention dont je suis capable. A la fois étonnée et intriguée, me sentant terriblement fragile et faible à côté de lui. Il a l'air habitué à rencontrer les autres, habitué à voir du monde. Ce n'est pas mon cas. Je ne connais personne, je ne vois jamais personne. Je ne sais même pas si il est vraiment comme moi. Si je ne suis pas seule, si ma mère et moi n'étions pas les seules êtres à peupler cette terre, combien sont-ils ? Non, combien sommes-nous ? Dix ? Cinquante ? Peut-être même cent ! C'est impossible à dire pour le moment. Je ne connais rien, et le monde par-delà la forêt me semble terriblement dangereux.

Là où je suis, les arbres courent encore sur la terre, l'habillant d'un manteau de couleur rassurant face au blanc de la couche neigeuse. Mais derrière, la terre est nue, et les couleurs la fuient, comme un troupeau de siffleur fuiraient un loup affamé. Comment survivre loin de la protection et du couvert des arbres ? Là où le froid et le vent n'ont plus de limites, plus de craintes. Il n'y a nul part où ils peuvent venir écraser leurs visages hideux, déformés par un sourire macabre, les orbites vides de tout. Hagard, ils viennent vous fouetter, vous mordre la peau, et vous déchirer comme ils le font avec les arbres. Peut-être qu'à force, je finirais par perdre mes doigts, comme les arbres perdent leurs feuilles dés qu'ils sont attaqués.

Mais les mains d'Alec Ezilea ressemble aux miennes. Elles sont plus grandes, mais j'ai beau les regarder, je ne vois pas vraiment de différences. Il a toujours ses doigts, et n'a pas l'air de les avoir perdus. Je suis un peu rassurée, mais pas entièrement. Ce n'est pas parce que ça ne lui est pas arrivé que je suis déjà sortie d'affaire. Et puis, peut-être qu'il y a des choses encore pire que de voir ses doigts tomber, là où les arbres ne poussent plus. Mais si les êtres comme moi sont tous aussi gentil qu'Alec Ezilea, je ne devrais pas vraiment être effrayée. Enfin, je suppose. Tout est nouveau pour moi, et je ne m'attendais pas à trouver quelqu'un si vite. Je suis bien loin de la maison, - trop pour faire marche arrière - et je me demande si le bout du monde est encore loin. J'aimerais beaucoup voir le bout du monde.

Maman ne me l'a jamais vraiment décrit. Elle ne me parlait pas du monde extérieur. Je n'ai qu'un mot pour essayer de comprendre qui je suis vraiment, et pourquoi je me suis réveillée là-bas avec ma maman. Si il y a d'autres personnes ailleurs, ça veut peut-être dire que je ne suis pas née dans cette forêt, et que ma maman non plus. Les loups donnent naissance à leurs bébés régulièrement, s'en occupent, et lorsque ces bébés grandissent, ils donnent à leur tour la vie. Alors ma maman avait forcément une maman, elle aussi ! Quelqu'un pour s'occuper d'elle comme elle s'est occupée de moi. Les questions se bousculent dans ma tête, et j'ai l'impression que je vais exploser.

Heureusement, Alec Ezilea m'aide à garder pied avec la réalité, et à ne pas trop céder à la panique. Mes yeux continuent de le fixer, et de détailler chacun des gestes qu'il peut faire. Lorsqu'ils m'intriguent trop, j'essaie de les reproduire, de faire comme lui, mais je ne suis jamais qu'une pâle copie de lui, incapable de faire parfaitement comme lui. Je me mets à penser à l'image de soit qu'on peut voir dans les flaques ou quelques courants. J'aimerais apprendre à être sa flaque, son image, réussir à faire comme il fait. Je suis fascinée par son visage, qui me semble harmonieux, intriguant, presque... Attirant. Je me souviens avoir ressenti quelque chose de semblable pour ma mère. Elle aussi, avait des traits doux et harmonieux. Chez Alec Ezilea, c'était encore différent. Ses traits étaient plus dures, plus carrés, moins doux. Il avait une sorte de pelage abrupte sur le bas de son visage, chose que ma mère n'avait pas, et que je ne crois pas non plus avoir.

Alors que j'essaie infructueusement de parler, ma gorge se met à brûler, et je me mets à tousser, comme quand je tombe malade. Quand ma mère vivait encore, et que je me mettais à tousser, elle veillait sur moi jour et nuit, me donnant des feuilles au goût affreux, me mouillant régulièrement le visage, et me berçant sur ses genoux, jusqu'à ce que je m'endorme. C'était les moments où elle était la plus douce avec moi. Quand c'est elle qui est tombée malade, j'ai essayé de faire comme elle. J'ai vraiment essayé. J'ai trouvé les mêmes plantes, et elle les a avalé sans faire les mêmes grimaces que moi. J'ai veillé sur elle, je lui ai tenu la main. Elle toussait, plus encore que moi les nombreuses fois où j'avais été dans cet état. Elle posait régulièrement son regard plein de tendresse sur moi, et me disait de m'en aller, de ne pas m'approcher d'elle.

Je sais que c'est ce qui a provoqué sa mort. Elle est morte parce que je n'ai pas su la guérir comme elle l'avait si souvent fait pour moi. Elle m'avait expliqué la mort, peu de temps auparavant, quand Feuille, une louve avec laquelle j'avais grandi, s'en était allée pour toujours. De l'eau salée avait longtemps coulé le long de mes joues, troublant mon regard. Maman m'avait alors serrée dans ses bras, et m'avait dit que je ne devais pas être triste. Tout le monde meurt un jour, la vie n'est qu'éphémère. Il faut profiter de chaque instant, sans se poser de question. Ce n'est qu'un passage, comme quand on grimpe à un arbre. On commence l'ascension, on s'accroche à l'écorce et aux branches, mais un jour, il faut redescendre sur la terre ferme. La vie est une longue ascension, et lorsque l'on arrive au sommet, il faut redescendre petit à petit, et lorsque nos pieds touchent la terre, c'est au tour de l'âme de monter tout en haut, et de se perdre parmi les étoiles.

Je me demande toujours à quoi ressemblera ma mort. Est-ce que ce sera en toussant, comme maman ? Ou bien blessée ? Est-ce que je mourrais demain, ou bien dans plusieurs mois ? Maman m'a dit qu'on ne pouvait jamais savoir quand ça arriverait, et qu'il ne fallait pas s'en inquiéter. La vie est une immense grotte creusée dans la roche. On ne doit jamais s'arrêter d'avancer. Et peu importe si le trajet dure plusieurs jours ou plusieurs années, on finit par sortir de la grotte. Et pour en sortir, on est obligé de passer par un portail immense. La mort. Même quand on est mort, on ne part jamais vraiment. C'est comme un long voyage que l'on commence, dans un endroit où la peur et la douleur n'existe plus. Un endroit où l'on est bien, pour toujours et à jamais. De là-haut, il paraît qu'on peut tout voir, tout observer, et protéger ceux que l'on aime. Feuille me protégerait jusqu'à ce que ce soit mon tour d'aller là-haut, et maman ne me quittera jamais. Elle me l'a promis.

- Tiens, bois ceci. Il s’agit de l’eau d’un ruisseau, elle te fera du bien.

Quand je commence à tousser, Alec Ezilea tend un objet étrange vers moi, comme si il voulait que je le prenne à mon tour. Il me rappelle vaguement certains objets en bois que je sculptais avec ma mère, et dans lesquels on mettait de l'eau ou de la nourriture, pour les ramener chez nous. Il dit qu'il s'agit d'eau aussi. Je suis un peu méfiante, mais l'eau est la chose dont j'ai le plus envie à cet instant. Aussi, je lui arrache presque l'objet des mains, et le porte à ma bouche, une fois qu'il m'a expliqué grâce à des gestes comment je suis censée m'en servir. Malgré le port de mon masque, je n'ai pas de mal à faire couler l'eau dans l'ouverture.

Lorsque je sens le liquide frais dans ma gorge, je pousse un râle de satisfaction. Assoiffée, je bois presque l'intégralité de l'eau, même si il y en a qui se déverse aussi sur le masque, coule au niveau de mon menton, et dégouline le long de ma poitrine. Ce qui reste, je le fais couler dans mes mains, et je le tend à mes loups, qui s'empresse de donner de grands coups de langue afin de ne rien laisser s'échapper. Une fois terminé, je me sens beaucoup mieux, et mes loups semblent aussi avoir apprécier. Je pose l'objet d'Alec Ezilea sur le sol enneigé, et recommence à le regarder. Il me fixe toujours, mais je décèle autre chose dans son regard. Quelque chose que je voyais parfois dans le regard de ma mère, mais que je ne pense pas pouvoir nommer.

- Est-ce que tu es blessée, Eileen ?

Je me fige, et penche la tête vers le côté. Blessée ? Je ne pense pas avoir l'air d'un animal blessé. Avec méfiance, je pose mes mains par terre, et avance vers lui à la manière d'un prédateur. Je finis par m'arrêter assez près pour pouvoir le toucher si je le souhaitais, mais sans répondre à sa question. Je m'accroupis, et m'assois sur mes talons, les bras entourant mes jambes. Derrière moi, mes loups ont recommencé à s'agiter. Je sais qu'ils supportent mal la présence de l'inconnu, et je sais aussi que j'ai beau avoir le contrôle sur eux, il y a  toujours des risques que leur instinct soit plus fort. Mais toute mon attention est focalisée sur Alec Ezilea. Il exerce une sorte de fascination étrange sur moi, que je ne saurais expliquer, et encore moins décrire.

- Prends ton temps pour parler. Rien ne presse.

Je tends la main vers Alec Ezilea, et hésitante, je finis par poser mes doigts sur son visage. Le contact est très bref, parce que, piquée par le poil qu'il a sur son visage, je recule brusquement. Je regarde mes mains, mais il n'y a aucune trace d'une quelconque coupure faite par son visage. J'avance encore vers lui, la main toujours tendu, et cette fois, j'appuie sur sa joue, assez pour le sentir me piquer, mais sans risquer de lui faire mal. Derrière nous, Echo se met à nouveau à grogner, et à faire de petits aller-retours, preuve de son anxiété. Mes loups sont dans le même état. Sans vraiment me soucier d'eux, je fais descendre mes doigts jusqu'aux lèvres du frontalier, et les effleure avec douceur.

Il est comme la plus parfaite des sculptures de bois. Tout est parfaitement à sa place. A part les piquants sur ses joues, il a la peau lisse et douce. Son regard me rappelle le ciel nocturne, piqué d'étoiles étincelantes. Mes doigts continuent leur chute jusqu'à son cou, puis sa poitrine. Ma main cherche la sienne, et j'appuie mes doigts contre les siens, comme pour me persuader que nous sommes pareils. Je regarde nos mains, intriguée. La mienne paraît minuscule par rapport à la sienne. Je lui souris à travers le masque, même si il ne peut pas me voir, et je secoue lentement la tête.

- Non, je... Je ne... Pas blessée.

Ma voix est plus claire, mes mots moins laborieux, mais j'ai toujours du mal à exprimer une phrase correcte. Il va finir par penser que je suis une idiote, et tout ce que ma mère a pris le temps de m'apprendre ne me serviront à rien. Ça fait trop longtemps que ma bouche n'a pas prononcé de mots. Je ne parle pas à mes loups, ils ne comprennent pas. Je ne parle pas à moi-même, ni aux arbres, ni aux étoiles. Avant, parfois, je parlais à maman. Mais elle ne répondait jamais, alors j'ai arrêté. J'ai arrêté, et je me suis concentrée sur un monde de silence et d'infini, un monde où rien ne pouvait être plus évident. Là où j'entendais le bruissement des ruisseaux et des feuillages, les cris du vents et des animaux. Tout ce que seul le silence peut révéler. Je ne parle pas, j'écoute.

- Est-ce que...

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase. La situation s'envenime entre les loups, et sans que je m'y attende, Ambre bondit sur Echo. Automne se redresse immédiatement, et bondit à son tour. Vive comme les éclairs qui tombent par jour d'orage, je m'élance, et me retrouve en prise aux trois loups déchaînés. C'est alors que le ciel se couvre d'épais nuages noirs, et qu'une pluie diluvienne se met à tomber sur nous.

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La jeune femme tend la main de nouveau vers lui, moins hésitante. Alec regarde ses doigts s’approcher de son visage, une étrange impression lui serrant le creux du ventre lors que le contacte se fait entre leurs deux peaux. Ce n’est pas de la gêne ni de l’attirance. C’est simplement le fait d’être touché qui lui parait étrange.

Depuis qu’il s’est isolé, Alec n’a pas seulement que vidé l’espace social autour de lui. Il a également évacué la chaleur du contact humain. Même sa mère, qui n’arrive presque plus à lui adresser la parole, n’ose plus faire ses gestes d’affection dont elle avait été si généreuse avant. Seule sa sœur lui touche encore la main ou le visage avec tendresse. Mais avec Daerys, c’était différent. Pour tout le reste, seuls les bousculades ou les combats le mettaient en contact avec d’autres, et ces contacts sont dénudés de chaleur.

Cela avait créé un vide, un creux à l’intérieur de lui-même, et il n’en prenait conscience que lorsqu’une autre personne posa ses mains sur lui. La dernière personne à l’avoir réellement touchée, c’était Lasbelin. Il avait croisé la jeune femme quelques semaines plus tôt, lors de son voyage, au pied de la passe de la Goule, dans les Dentelles Vives. La retrouver avait déclenché une tempête plus forte qu’un ouragan dans le Grand océan du sud dans la tête, le cœur et la vie d’Alec. Toutes ses certitudes, ses barrières, son masque… tout avait été balayé. Envolé. Il avait ressenti des émotions qu’il croyait ne plus jamais pouvoir ressentir. L’impression de tomber, de mourir, encore et encore, mais également des sentiments plus doux, pourtant tout aussi vifs et douloureux. Il avait aimé Las’ plus qu’il ne pouvait le dire, plus qu’il ne pouvait se l’avouer. Il l’aimait probablement encore, malgré d’autres sentiments plus récents, mais la tempête ravage tout, le bon comme le mauvais, et vous laisse plus vide encore qu’avant.

Il laissa Eileen parcourir son visage de ses doigts. L’idée qu’elle n’ait jamais rencontré quelqu’un auparavant lui revint en tête, tout aussi incongrue qu’avant. D’aussi près, Alec perçoit la lueur des yeux d’Eileen par les fentes dans son masque. Elle l’intrigue encore davantage qu’avant. Il a envie de lui poser mille questions, de comprendre d’où elle vient, l’origine de ses loups, si elle a sculpté elle-même son masque… Toute son attention rivée vers la jeune femme, Alec ne remarque pas qu’Écho s’agite de nouveau derrière lui.

Eileen attrapa alors sa main, et comme pour comparer, elle appuie la sienne contre sa paume. Elle s’y attarde longuement, regardant leurs ressemblances comme leurs différences, de tous les côtés. Alec sourit.

    « Non, je... Je ne... Pas blessée. »


Alec hocha la tête pour montrer qu’il avait compris ses mots. Ceux-ci sont de moins en moins laborieux, de plus en plus clairs. Un sourire flotte toujours sur les lèvres d’Alec, par fascination pour la jeune femme inconnue. Il attend, réfrénant son impatience, laissant à Eileen tout le temps nécessaire pour terminer son observation. Ce fut elle qui parla la première.

    « Est-ce que... »


Alec voit avec horreur l’un des deux loups blancs se jeter en avant, toutes dents sorties, droit sur Écho. Le Frontalier n’a pas le temps de sauter sur ses pieds que le deuxième loup blanc se jette également sur son compagnon. Alec saute sur ses pieds et sans plus réfléchir, fonce droit sur les loups.

Les trois masses de fourrure s’entremêlent dans un chaos de cris et de grognement. Écho est déchainé, rapide et vif, fort, un peu plus âgé et expérimenté que les deux autres loups, mais il peine à tenir tête aux deux loups en même temps. Déjà, plusieurs traces de blessures mineures viennent tacher les fourrures blanches et grises des loups.

Alec attrape son arc laissé au sol et encoche une flèche.

    « ÉCHO! »


Son cri surmonte à peine les hurlements enragés des bêtes et Alec serre les mâchoires, une peur panique envahissant ses veines. Écho tourne à peine la tête vers lui que déjà l’un de ses adversaires tente de l’attaquer à la gorge.

Écho est tout pour lui. Son partenaire, son meilleur ami, son frère d’armes… son frère. Dans son cœur, inconsciemment, Alec à rempli le vide laissé par le départ de Yaan par la présence d’Écho. Comme si le louveteau qu’il avait trouvé, à moitié mort de froid et de faim, quelques semaines à peine après la mort de Yaän, était en fait son frère. Il avait juré de le protéger, que rien ne lui arriverait, qu’il ne referait pas cette l’erreur de le perdre une deuxième fois. L’idée était absurde, mais elle avait empêché Alec de sombrer dans la folie.

L’extrémité de sa flèche frôlant sa joue, Alec mit en joue l’un des deux loups blancs. Il hésitait à tirer, de peur de blesser Écho. Il aurait préféré ne pas avoir à blesser les loups d’Eileen, ni à les tuer, mais il n’avait pas le choix. Il n’avait aucune chance de s’en sortir si l’un des loups se retournait pour l’attaquer lui, même un Frontalier ne peut rivaliser avec un Loup du Nord, mais il préférait mourir en tentant de sauver Écho que de le voir être mis à mort à ses pieds ainsi.

Les mâchoires du plus gros des deux loups blancs se refermèrent sur l’épaule d’Écho, alors que celui-ci se débattait avec le plus petit de ses assaillants, et le loup poussa une grande plainte aigüe. Un sang épais et écarlate s’écoule entre les babines du loup blanc. Alec sentit le sang quitter ses mains et son visage. Le Frontalier serre ses doigts autour de sa flèche et sans détourner son regard du combat entre les loups, hurle d’une voix rendue tremblante par l’empressement et l’inquiétude :

    « EILEEN! Arrête-les! »


Son commandement est autant une supplication qu’un avertissement. Si elle ne parvient pas à faire reculer ses loups d’ici quelques secondes, Alec devra lâcher sa flèche. Le Frontalier fixe son point de mire, directement sur la gorge du plus grand des loups blancs.

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Lorsque les loups se jettent les uns sur les autres, je sens mon souffle se couper. Ce que je craignais est arrivé. Ambre est jeune et fougueuse, elle aime se battre, mais elle s'était calmée. Rien ne laissait présager qu'ils allaient en arriver là. Si Automne se joint au combat, c'est uniquement parce qu'il sait qu'Ambre est menacée. Mes loups ne sont pas habitués au combat. Echo a l'air de l'être. Même si il est tout seul, le loup fait preuve d'une force incroyable. Je m'arrête in-extremis, juste avant d'entrer dans la mêlée. Ce serait stupide, je me ferais arracher un bras avant d'avoir pu tenter quoi que ce soit. Je suis accroupie, et je regarde. Un grondement sourd s'élève de ma gorge. Je suis fascinée par le spectacle, trop pour bouger, comme enfermée dans une torpeur glaciale. Le cri d'Alec Ezilea ne me réveille pas.

Je sens mes muscles qui se nouent, et un sentiment étrange vient s'emparer de mon ventre, et me donne envie de vomir. Lorsque la première tâche rouge apparaît sur leurs pelages, blancs et gris, mes poings se serrent autour de la neige brûlante qui tapisse le sol. Ce n'est pas mon combat, je ne dois pas intervenir. Le loup gris a provoqué Ambre, et c'est une lutte pour savoir lequel est le plus fort. Maman me disait souvent ça, lorsque deux loups se lançaient dans un combat aussi violent qu'acharné. Les loups sont des animaux qui jouent de leur force pour se démarquer et communiquer. Intervenir dans un combat revient à empêcher la nature d'agir. Et lutter contre la nature est toujours punie, tôt ou tard.

Ça aussi, c'est maman qui me l'a appris, quand j'ai commencé à jouer avec mon don. Il ne faut pas en abuser, et toujours s'en servir à bon escient. La nature est le maître de tout, et personne n'est le maître de la nature. On peut tenter de l'apprivoiser, de lier une amitié avec elle, mais il ne faut jamais oublier que ce qui est sauvage restera toujours sauvage. Et qu'on ne contrôle pas indéfiniment le sauvage. C'est ce qu'il se passe en ce moment même avec les loups. Je les regarde d'un œil critique. Je sais que ça va mal tourner. Je sais que malgré la force d'Echo, mes loups en viendront à bout. Alec Ezilea aussi l'a compris. C'est pour ça qu'il est si nerveux.

Il a empoigné son arc, et a déjà tiré une première flèche, essayant maladroitement de rompre le contact entre les loups. Je détache momentanément mon regard du combat, et regarde l'être qui me ressemble. Il tremble, il semble triste, en colère, et désespéré. C'est comme ça que réagissent les loups lorsque leurs petits sont menacés. Ils sont prêts à tout pour les défendre, prêts à tuer, prêts à mourir. Ainsi donc, Alec Ezilea n'hésitera pas à s'immiscer dans ce combat pour défendre Echo. Est-ce qu'il le considère comme un membre de sa famille ? Ou plus encore, comme son propre fils ? Ambre et Automne font parti de ma famille. Ils sont les seuls êtres qui me rappellent encore qui je suis et d'où je viens, surtout maintenant que j'ai tout abandonné.

La gueule d'Ambre se referme sur l'épaule d'Echo. Le loup gris jappe, et riposte comme il peut, encore et encore. Alec Ezilea se fait plus pressé, plus pressant aussi. Je sens qu'il a envie de lâcher sa flèche, de tuer Ambre et Automne, de sauver son loup. Mais il ne fait rien. Il a peut-être peur de ne pas avoir assez de précision pour tirer sur le bon. Avec l'agitation du combat, il est facile de rater sa cible. Une pluie fine continue à tomber, trop insignifiante pour changer quoi que ce soit dans l'issu de ce combat qui sera fatal pour l'un des êtres ici présents. Peut-être que ce sera moi. Ce n'est pas exclu. Il va tirer si je ne fais rien. Si il tue Automne, je tuerai écho. Œil pour œil, dent pour dent. Mais je n'ai pas envie d'en arriver là. Je sais qu'Alec Ezilea serait triste si je faisais ça.

- EILEEN ! Arrête-les !

Mon regard se pose à nouveau sur lui. Il a son arc tendu, une flèche disposée dessus. Prêt à tirer. Un geste venant de lui, et tout serait fini. Enfin, c'est ce qu'il semble croire. Si il tue Automne, Ambre deviendra folle de rage, incontrôlable. Je ne serais même peut-être plus en mesure de l'arrêter. Je sens l'urgence dans sa voix, il tremble encore davantage. Il a l'air paniqué, prêt à tout pour que cette scène s'arrête. Je reste immobile pendant quelques secondes, fascinée par le comportement de l'être, autant que par le combat des loups. Et puis je comprends que je n'ai pas le choix, qu'il faut que je le fasse. La vie de tous dépendent de mes actes.

Je sens une pointe désagréable dans mon cœur. Je n'aime pas avoir la vie d'autres que la mienne entre mes mains. Ce sont de grandes responsabilités. Et les responsabilités sont le premier frein de la liberté. Je n'ai pas envie de perdre ma liberté, mais j'ai encore moins envie de perdre mes loups, et de devoir prendre celui d'Alec Ezilea. Je penche la tête sur le côté en soupirant et demeure immobile. J'ai ramassé mon poignard. J'attends qu'il y ait une brèche, une ouverture dans le combat parfait de ces montagnes de muscles et de poils. Soudain, je l'aperçois. Sans attendre davantage, je bondis et me mêle aux loups.

Je me suis déjà faite mordre par un loup, quand j'étais plus jeune. Le loup aussi était plus jeune. J'avais eu mal, mais ce n'était rien de très grave. En revanche, les crocs qui se referment sur mon bras me font pousser un gémissement. Les loups adultes ont une mâchoire beaucoup plus puissante. Lorsque celle d'Echo se dirige vers mon visage, je sais que je ne dois la vie sauve qu'à mon masque, qu'il m'arrache tout simplement, le faisant voler un peu plus loin, et dévoilant mon visage couvert de sang. J'ai réussi à séparer les loups, mais ils s'en prennent à moi. J'empoigne mon poignard de toutes mes forces, et je fais un mouvement brusque de la main. Je ne touche pas Echo, mais une traînée vermeille apparaît sur le poil d'Automne et d'Ambre. J'ai laissé Echo derrière moi, et je ne tarde pas à sentir une douleur vive à la jambe droite. Je m'écroule sur le côté et mets à hurler, tandis que la pointe dans mon cœur explose.

- Baisse ton arc.

Ordre glacial et froid, inhumain. Ambre et Automne sentent le danger, la menace, ils la craignent comme le poisson craint d'être hors de l'eau. Mais aussitôt que ma lame a tracé son chemin, ils repartent à l'assaut. Je suis couverte de sang, mais cette fois, ce n'est plus celui d'un des animaux sacrifié pour mon repas. Cette fois, c'est le miens. Je prends soudainement conscience de la situation, et je sens la peur s'emparer de moi. Ca y est. Je vais mourir. Avant même d'avoir pu voir le monde, avant même d'avoir pu répondre à mes questions, je vais mourir. Ici, avant d'avoir pu sortir de la limite des arbres et de leur insolence privilégiée qui fait qu'ils se tendent vers le ciel et narguent les petits êtres. Ils me narguent encore plus maintenant que je suis au sol, épuisée.

Ambre et Automne continue à donner des coups, Echo aussi derrière moi. Et moi, je suis prise entre ces trois masses terribles, heureusement trop petite et ex-centrée, là, roulée en boule, pour qu'ils ne fassent vraiment attention à moi. J'essaie de les pousser, mais je n'ai qu'une force de fourmis sur eux qui doivent peser plus de cent kilos ! Ça ne peut pas se passer comme ça. Ça ne peut pas se terminer, là, maintenant. Je refuse... Et Alec Ezilea, que j'ai perdu de vue, que je n'entends plus. Je n'entends plus rien. Est-ce que je suis déjà morte ? Maman... Maman, qu'est-ce que je dois faire...? Aide-moi... Brusquement, ma tête se baisse, et je sens une nouvelle force monter en moi. Je respire profondément. Je ne suis pas encore morte.

- Amb'e... Automne... Ca suffit.

Je me mets debout, bravant la douleur et le danger, me fichant bien d'être ballonnée par les masses gargantuesques des animaux qui me bousculent sans relâche, se souciant à peine de moi, mus par des instincts que je ne comprends que trop bien. Je ne suis pas au milieu d'eux. Juste à côté, mais assez près pour pouvoir les toucher. Ma voix a été calme et claire. Je n'ai pas l'habitude de m'exprimer avec eux par la parole. Mais je me souviens que maman faisait ça lorsqu'elle était vraiment en colère contre eux. Elle leur parlait d'abord à voix basse, et puis si ils n'obéissaient pas, la menace augmentait. Ambre et Automne n'ont pas été habitués à obéir à ma voix. Ils ne la connaissent pas.

- J'ai dit... Ça... Suffit.

Au moment où je dis ça, un vent d'une violence inouïe s'élève. Il siffle, menace d'arracher les arbres qui sont là depuis des siècles, fait s'envoler les feuilles dans tous les sens, et la neige aussi. Il s'immisce entre les loups, et il semble que j'aperçois les oreilles d'Ambre et d'Automne qui s'élèvent. Ils reculent en jappant, se soumettant au vent qui menace de me propulser dans le ciel. La suite du combat et des événements est floue dans ma tête. Le monde tourne autour de moi, je tangue, pour finir ma course dans la neige, allongée sur le dos. Mes yeux sont tournés vers le ciel, mais je ne vois plus rien. Je me sens fatiguée, tellement fatiguée... Je n'entends plus rien, je ne sens plus rien. Lentement, les ténèbres m'attirent. J'ai l'impression d'entendre encore des grognements.

- Alec... Ezilea..., je murmure dans ce que je crois être mon dernier souffle.

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